© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Nicola Mazzanti, Directeur de Cinematek

David Hainaut

Texte

CINEMATEK 
/ La cinémathèque royale de Belgique /
/ Het Koninklijk Belgisch Filmarchief /

Cinergie s'est entretenu avec Nicola Mazzanti depuis le Festival de Bologne 2017, équivalent, pour les films classiques, du Festival de Cannes.
Nicola Mazzanti le conservateur de Cinematek depuis 2010. « La Cinémathèque belge est l'une des cinq plus importantes du monde ! » Gâtés, les cinéphiles belges ! Grâce à la Cinémathèque royale de Belgique, rebaptisée Cinematek en 2009 pour la parité linguistique, notre pays jouit de l'un des musées du cinéma les plus importants du monde, fruit d'une histoire et d'un travail entamés il y a bientôt 80 ans, en 1938.

En témoignent l'éclectisme et l'abondance du programme des cycles de cet été 2017 : des 50 ans du cinéma belge francophone à la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs du dernier Festival de Cannes, en passant par des hommages aux réalisateurs David Lynch, Jean-Pierre Melville, Cédric Klapisch, ou Blake Edwards. Autour de bien d'autres choses !


Nicola Mazzanti :
En toute neutralité, notre Cinematek est l'une des plus importantes d'Europe, et même du monde, compte tenu de la richesse de sa collection, qui vaut le double de celles d'Amsterdam ou de Paris et équivaut en taille à celle de New York ! Nous sommes donc en première classe, dans le Top 5 mondial, et nous avons même longtemps joué un rôle de leadership dans le genre.
C'est lié à notre longue histoire, et surtout, par le concept de «cinémathèque moderne» inventé à Bruxelles par Jacques Ledoux en 1962, avant même son homologue français Henri Langlois dont on parle plus souvent, vu son origine. Ici, Gabrielle Claes a ensuite poursuivi le mouvement, et nous essayons d'en faire autant à présent. En la représentant à l'étranger, comme en ce moment, en Italie.


Cinergie :
Vu ce rang et par rapport à la taille de notre pays, on peut donc parler de petit exploit !
N.M. : C'est sûr, et c'est aussi dû à la position géographique favorable de la Belgique. L'avantage d'être "petit", de n'être ni l'Allemagne, l'Angleterre ou la France, c'est d'avoir une structure très légère. Je rappelle qu'il s'agit d'une «fondation d'utilité publique», et non d'une institution lourde et complexe à gérer comme chez nos voisins, avec des questions politiques qui sont parfois cauchemardesques.
Cela nous rend agiles, éclectiques, indépendants et souples. Par contre, l'inconvénient de ne pas être une grande institution, c'est que nous n'avons pas une législation définissant notre rôle, notre fonction et donc, notre financement, au contraire d'organes culturels comme Bozar ou la Bibliothèque Royale.
La Belgique étant un pays multiforme, Cinematek a un problème de positionnement, bien qu'elle ne soit pas la seule dans le cas.
Notez, la cinémathèque française a longtemps vécu avec ce souci, jusqu'à ce que l'ancien président Jacques Chirac le résolve dans les années 1990 en créant une loi définissant clairement le rôle de l'organe. Cela a réglé beaucoup de choses.
Nous, vu la dimension européenne et mondiale de notre collection, c'est que nous nous retrouvons avec l'équivalent... du Louvre!


C. : ...sans être la France !
N.M. : Oui (sourire)! Mais grâce à Dieu, la Belgique possède un cinéma exceptionnel, francophone et néerlandophone, avec des filmographies en quantité et de qualité.
Je ne connais aucun autre pays de cette taille qui possède un cinéma si actif, si intéressant et si vivace, avec plusieurs dizaines de films qui sortent chaque année, sans parler de la centaine de courts-métrages.
Ce sont des films dont il faut s'occuper, en plus de notre collection historique, pour garantir une conservation à long terme et envoyer des films belges à l'étranger.
Nous l'avons encore récemment fait à New York, avec une projection d'un film de 1960, Déjà s'envole la fleur maigre, de Paul Meyer. 95% de ce qui reste du cinéma belge se trouve chez nous, et nous avons conscience de cette grande responsabilité.
Vous savez, quand on restaure ici Toto Le Héros ou un film de Chantal Akerman, c'est comme quand un grand musée en fait autant pour la Joconde !


C. : Le cinéma restant un art relativement jeune, chaque année qui passe étoffe donc votre collection. De quoi varier et offrir des cycles toujours plus différents, non?
N.M.: Complètement. Et il y a de plus en plus de public pour (re)découvrir le patrimoine, qui devient même une valeur économique. Les chiffres de ces derniers mois le prouvent.
Des classiques comme Métropolis, Le Jour se lève ou un film inconnu des années 1970, peuvent faire salle comble !
Et ici au Festival de Bologne, 5.000 personnes ont applaudi La Promesse des frères Dardenne l'an dernier.
Ce sont des moments mémorables ! En fait, malgré cette époque qui pousse à l'individualisme, les gens sont en train de se rendre compte qu'ils ont plus que jamais besoin de se rassembler, de rire ou de pleurer, même devant un film avec Marlon Brando ou Robert Mitchum.
Un phénomène qui s'étend aux grands festivals : fin des années 1980, Cannes avait restauré un classique muet, Nosferatu : c'était exceptionnel, alors qu'aujourd'hui, il y a chaque année les « Cannes Classics » et depuis 2009 le Délégué-général Thierry Frémaux gère en parallèle à Lyon le Festival Lumière, dédié au patrimoine.
Personne n'aurait imaginé cela il y a encore quelques années. Et je serais ravi de voir des festivals belges s'aligner sur ce segment, qui attire toujours un public.

C. : Au niveau de votre public à la Cinematek, le chiffre de 80.000 visiteurs pour l'année 2016 a récemment été cité. Est-il juste ?
N.M.: Oui, c'est le chiffre d'une année moyenne. En 2013, pour nos 75 ans, on l'a fait grimper jusqu'à 140.000, soit au même niveau que La Monnaie.
C'est positif pour Bruxelles ; et nous collaborons aussi plus largement avec plusieurs salles en Flandre et en Wallonie (comme l'UGC) qui diffusent nos films. De même qu'à l'étranger.
Nos trois salles actuelles, situées à Flagey et à la Cinematek, fonctionnent à un rythme soutenu, qui n'a rien à envier aux salles traditionnelles.


C. : ... avec des spectateurs qui disent apprécier l'accueil, le calme et les conditions de vision. De quoi lui valoir un bon bouche-à-oreille...
N.M.: Absolument ! et je le dis souvent, je suis convaincu que la Cinematek a encore un potentiel non exploité.
Certes, avec trois salles de 29, 117 et 120 places, cela reste parfois « limite ». Avec des infrastructures plus larges, nous pourrions offrir plus à notre public ainsi qu'à la ville, en matière de tourisme notamment.
Nous manquons d'un espace d'envergure, ce qui est paradoxal, car nous envoyons régulièrement des objets dans des expositions étrangères, comme pour celles des Frères Lumière ou Chris Marker.
Mais pour la décennie à venir, nous gardons en tête le rêve de créer un vrai espace muséal, et d'avoir des salles pouvant répondre mieux à la demande. Car quand nous diffusons de grands classiques comme Le Parrain, nous devons refuser du monde... Ce qui arrive hélas souvent.


C. : Nous sommes à quelques mois des 80 ans de la Cinematek. Vous songez déjà à des festivités ?
N. M. : Comme nous l'avons fait pour nos 75 ans oui, bien sûr ! Mais nous commençons à peine à y réfléchir, car Cinematek n'existe que grâce à la passion d’une soixantaine de personnes qui y travaillent / NDLR : 45 personnes à temps plein/. Alors que nous programmons à Bruxelles 30% de films de plus que Paris !
Je suis du genre à toujours vouloir améliorer les choses, mais tout cela reste un miracle quotidien.
Les Belges et les Bruxellois ont en fait une chance immense d'avoir une Cinematek comme celle-là !



© David Hainaut, 2017

Metadata

Auteurs
David Hainaut
Sujet
La Cinematek de Belgique commentée par son directeur Nicola Mazzanti
Genre
Entretien
Langue
Français
Relation
Webzine Cinergie juillet 2017, n° 228
Droits
© David Hainaut, 2017