© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

" Charlayana " par Rose-Marie François

Joseph Bodson

Texte

L’auteure s’explique en couverture sur le sens de son titre : Charlayana, c’est une divinité du folklore picard... qui doit son nom au peintre Charles Delhaes, dont elle admire beaucoup les tableaux : «...sa recherche s’est orientée vers la guration, en relation permanente avec l’esprit des Maîtres Anciens », et sa muse, « qui est aussi son épouse, porte le doux prénom d’Ayana».

Il est vrai que les illustrations de Charles Dehaes, superbes, évoquent la mer, les éléments déchaînés. La mythologie tient, dans ce long poème/récit, tant en français qu’en picard, une place éminente.
Et le picard lui-même, quasiment assimilé à une personne vivante. Il est bien difficile de le résumer : j’évoquerais bien plus volontiers un vaste mouvement de fux et de reflux, de vacarme et de silences, de tempêtes et d’apaisement, de déluge et d’aubes nouvelles....Tout cela sans cesse mêlé et dénoué, plongeant sans cesse dans les affres d’apocalypses surgissant du néant...

Et l’on songe tantôt à ces navigateurs hardis partis au-delà des colonnes d’Hercule (p.51), à la découverte d’une nouvelle soleille (féminine, comme chez les Baltes, les germains...), à l’Odyssée et à ses sirènes, à la traite des nègres avec ses cercueils flottants, à l’homo occidens et à l’Occident colonisateur... et finalement à l’art, à la peinture qui ouvre le chemin (p.81), en attendant le retour de l’apocalypse. Il s’agira alors pour les deux fées picardes, la jeune et la vieille, de trouver un bateau assez solide pour a ronter les éléments : ce sera peut-être l’enfant qui apparaît dans le poème final.

Dans des œuvres précédentes, Rose-Marie François nous avait entraînés à sa suite à la découverte du folklore de Lettonie, mis en parallèle avec celui de sa Picardie natale. Ici, ce sont – ou presque – les mythologies de tous les continents qui se trouvent convoquées, avec une amplitude, une éloquence rares.  Victor Hugo, ou Lautréamont ? Non, Rose-Marie François, tout simplement, avec son tempérament impétueux, sa verve étincelante, ses périodes à perdre d’haleine :

« Av’nèz nanjèr avè nous-ôtes
Jusqu’ô pèyis qu’on n’è r’vièt nié !
Av’nèz dècouvrîr lès rivâjes,èls- arbes a fwits qu’on n’ counwat nié,
lès jins qui d’vis’tè tous lès langues/qui d’vis’tè minmes avè lès biètes. »

C’èst-in ôt dèl finte/en plonjée vins l’ombe
Què l’ pléji
‘st-al coupète,
L’ tamps d’inwanèr,, pa d’zous
l’ parole, èl prumièr dwaté/dè nos counivinches.

« Venez donc nager avec nous
jusqu’au pays du non-retour !
Venez découvrir les presqu’îles,
les arbres aux fruits inconnus,
les êtres qui parlent toutes les langues
aussi celles des animaux nus. »

C’est au sommet de la fente
encore plongée dans l’ombre
que le plaisir culmine.
Le temps d’allumer sous
Les mots le premier doigté
de nos connivences.

 

© Joseph Bodson, 2016

Metadata

Auteurs
Joseph Bodson
Sujet
Charlayana, recueil de poèmes épiques picards et autres par Rose-Marie-Francois . MicRomania éditions, Charleroi.
Genre
Chronique littéraire
Langue
Français
Relation
Revue Cocorico n° 39 - 3e trimestre 2016
Droits
© Joseph Bodson et Rose-Marie-Francois 2016