Livres nouveaux en wallon
Joseph Bodson
Texte
Jean-Marie Warnier, Li Blanke Leûve, illustrations de Pauline Claude , (réédition), CRIWE, rue Surlet 20, 4020 Liège
Une bien jolie légende, ou nouvelle, comme on voudra: le merveilleux n'y manque pas, les illustrations de Pauline Claude y contribuent bien joliment, et puis, bien sûr, il y a la louve.
Si le récit ne commence pas par Il était une fois, c'est qu'il commence par le présent, et non l'imparfait. Et qu'il commence par la nuit, ou, plus exactement, par cette heure entre chien et loup où tout se mêle, où les ombres s'allongent à l'orée des grands bois. Et, comme dans tout conte qui se respecte, il y a quelqu'un qui va venir au secours du héros, pour l'aider à réaliser ce passage important dans la vie, symbolisé ici par la recherche de Pèrvintche: ce sera la louve blanche, qui tiendra la place d'une fée bienfaisante. Il faut pour cela aller s'asseoir sur la pierre Hena - là, si vous habitez la région de Durbuy, vous savez où la trouver - et c'est un air de vielle qui va vous guider, lorsque vous serez endormi, et vous mener droit à la louve blanche. Voilà, vous avez ainsi tous les ingrédients d'un songe des plus romantiques, de ceux que l'on se racontait, à la vêprée, du temps où les animaux parlaient encore: la nuit, les grands arbres, la louve, la vielle...sans oublier bien sûr votre moncoeur.
Mais rassurez-vous, je ne vous raconterai pas tout, je vous laisse le plaisir de la découverte, dans le wallon à la fois savoureux et simple dans sa beauté qui est celui de Jean-Marie Warnier.
I s'a rètrôklé tot près dèl pîre Hèyna, po n'nin qu'il åye trop freûd. I sére sès deûts écwèd'lés inte di sès djambes. Il a dès påpîres di plonk, mins n'si pout èdwèrmi po l' bon.
Un air, une chanson d'enfance, pour les enfants petits et grands.
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Jacques Warnier, Fahène, contes, CRIWE, rue Surlet 20, 4020 Liège
Jacques Warnier, lauréat du prix de la Ville de Liège en 1989, a réuni ici, pour notre plus grand plasisir, onze contes, onze histoires, qui ont pour dénominateur commun de se passer dans les grands bois, les villages perdus de notre Ardenne, et de faire la part belle au merveilleux.
Un merveilleux qui n'a rien de mièvre, mais qui se dégage tout naturellement de l'atmosphère, des arbres, des forêts, des saison, que Jacques excelle à évoquer.
Écoutez plutôt (Lès blouwètes) :
"Ci n'èst qu' dès blouwètes, nin dandjî d'avu sogne." Lu vî ome èt l'èfant rotèt è grand bwès, èl nut' qu'è-st-asteûr neûre come gayète. Vola dèdja 'ne hapêye qu' il-ont qwité l' viyèdje po l' ham'tê da costé qu'ine vîle feume deût-èsse bin anoyeûse di n' nin 'lzê veûy riv'ni. C'èsteût 'ne bèle fin d' djoûrnêye d'årîre- såhon. Li solo avizéve aveûr pris èn-èsprès ine oranje louweûr po fé r'glati totes lès coleûrs di fièsse qui lès-åbes avît mètou.
Un sentiment très juste de la nature, rude, âpre, parfois, ou riante et colorée, selon les saisons, bien loin du sentimentalisme qui dépare parfois ce genre de descriptions chez nos auteurs wallons; un style concis, précis, bien adapté au contexte de chaque récit; enfin, une connaissance exacte de la vie quotidienne, des souffrances et des joies du petit peuple villageois, rien n'y manque, pas même l'évocation colorée de ces bandits d'Ardenne qui couraient les bois, au cours des périodes troublées.
Bref, un livre qui plaira aux grandes personnes (quel plaisir, de temps à autre, que de retourner en enfance), et aux enfants eux-mêmes, que le merveilleux intrigue toujours, même au cœur de notre civilisation technicienne.
Un lexique vient compléter le livre, et les illustrations de Jean-Baptiste Warnier sont parfaitement adaptées aux récits.
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George Fay, Lès plédeûs, El Bourdon, 2017, boulevard Roullier 1, 6000 Charleroi
Il s’agit, on l’aura deviné, d’une adaptation en wallon des Plaideurs de Racine. De plus, adaptation en vers, ce qui ne gâte rien, bien au contraire, mais qui a dû compliquer grandement les choses pour le traducteur.
Difficile d’en juger, bien sûr, aussi pour le critique : le théâtre est fait pour être joué, et non pour la lecture silencieuse.
Tout ce que l’on peut dire, c’est que le texte de George Fay est fidèle à l’original. Un bel exercice de style, car le ton même, ainsi que les données culturelles de chacune des deux époques sont forcément très différents. Une sorte de grand écart, dont George Fay se tire à son avantage: le naturel qui est celui de Racine – on est loin ici de Phèdre ou d’Athalie – a été transposé sans trop de peine dans le Charleroi de notre époque.
En wallon comme en français, les gestes sont naturellement appelés par le texte, le lecteur les voit véritablement, les anticipe. Qu’on en juge plutôt sur pièces, par le passage qui a donné place à la citation célèbre :
L’INTIMÉ
D’vant qui l’ monde èn’ coumince…
DANDIN (baîllant)
Avocat, passons râde ô dèlûje.
L’INTIMÈ
Donc, divant
Èl crèyâcion du monde èyèt l’ sint trambleumant,
No planète, l’univers, èt l’ nature toute ètire
’Stît machis dins ‘ne bèrdoûye qu’on n’âreût seû vîre pîre.
Èl feu, l’ér, èyèt l’ têre, èt co l’eûwe, tout çoula
Ni fèyeut qu’in bruwèt, in machô, in moncha,
Ène soupe èyu ç’ qu’in tchat ni r’trouveut nén sès djon.nes
Ène djoute ou co bén ‘ne pape n’èrchènant a pèrsone;
On l’a scrît:
« Masse informe et chaos qui mêlait
Tous ensemble le bien, le mal, le laid. »
(Dandin, endormi, tombe de son siège)
Ici, la difficulté – le ton, le vocabulaire de la Bible et des premiers philosophes grecs – est gardée intégralement, plutôt que d’avoir recours à cent tours et détours pour extraire du wallon un embrouillamini de phrases qui ne lui ressemblent guère. Mieux valait, effectivement, en faire l’objet d’une citation ancienne, avec le clin d’œil d’ On l’a scrît.
Il est amusant de lire dans l’introduction la justification de Racine, suite à cette adaptation qu’il avait lui-même faite du grec d’Aristophane :
" Je ne me rendis pas à la première proposition qu’ils m’en firent. Je leur dis que quelque esprit que je trouvasse dans cet auteur, mon inclination ne me porterait pas à le prendre pour modèle si j’avais à faire une comédie, et que j’aimerais beaucoup mieux imiter la régularité de Ménandre et de Térence, que la liberté de Plaute et d’Aristophane. On me répondit que ce n’était pas une comédie qu’on me demandait, et qu’on voulait seulement voir si les bons mots d’Aristophane auraient quelque grâce dans notre langue."
Rien de nouveau sous le soleil, nos auteurs wallons sont tout aussi frileux devant les adaptations de pièces apparemment étrangères à leur culture ; et, quand une réussite se profile, elle n’est pas suffisamment soutenue.
Le texte de la pièce est précédé d’une introduction assez fournie sur le caractère et la carrière de George Fay, qui avait aussi adapté le Médecin malgré lui de Molière, et qui fut président de l’Alwac.
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Felix Timmermans, Sint Nicolas dins lès rûjes, mètu an walon dèl réjion di Châlèrwè par Jean-Luc Fauconnier, illustrations de Else Wenz-Viëtor,
éditions Tintenfass. Crombel, Môjo dès Walons, Charleroi.
et
Felix Timmermans, Sint Nicolas Rèyûs’, èrmis in picârd (dè Douvrègn-Bôdoûr) pa Rose-Marie François.
Le texte de Felix Timmermans, par sa naïveté, sa bonhommie, se prêtait merveilleusement à la mentalité wallonne, et les deux traducteurs ont fait merveille dans le récit de ce charmant conte. Les personnages sont fermement campés, un peu à la manière de Dickens, avec des contours bien dessinés, et les dialogues sont pleins de naturel. Qu’il s’agisse de la vieille marchande de bonbons, du Père Fouettard, du poète, du veilleur de nuit, chacun est bien dans son rôle, il n’y a pas une seule fausse note, et l’on verrait bien cette belle et naïve histoire portée au théâtre et jouée par des enfants.
La littérature enfantine, française, anglaise ou allemande, renferme encore bien des histoires de ce genre, le trésor en est inépuisable, et je ne pense pas qu’internet et consorts parviennent un jour à supprimer le merveilleux dans l’esprit des enfants. Avis aux amateurs…
Mais je ne pourrais mieux faire que de vous donner un échantillon du travail méticuleux des deux traducteurs. C’est de l’orfèvrerie. Il s’agit ici de la fin du récit, quand Rosine, la petite fille, reçoit enfin le bateau en chocolat, le Congo, dans sa cheminée.
Et Les dessins de Else Wens-Viëtor sont vraiment ravissants ; ils nous replongent en plein cœur du bon vieux temps.
En picard : Mès ravisèz! Par boneûr, èl batiô « Congo » tot la, vins lès chènes èrfwadies, nié skwatè, nié skèté, sins minme ène grate, tout lwisant doré, avè pou ‘ne bone dîzin.ne dè jiques dè wate qui wigot pa lès k’minées. Comint ç’ t-i possibe? Èle n’avot rié intindu!
Ê bè, i n’a noulu qui l’ sèt. Ch’èst justèmint l’ sècrèt Pére Fwètâr èyèt i nè l’ dira jamés a noulû.
Et voici le wallon de Charleroi :
Mins, tènèz! Qué boûneûr, èl batia, « Èl Congo », èsteut la dins lès frèdès cindes, sins pète ni grâwe, blinkant d’ardjint, fumant pou sèt’ mastokes èt d’mîye di blantche oûwate truviès sès deûs tchiminéyes! Comint ç’ qui çoula aveut advènu? Comint ç’ qui çoula s’aveut passè t’t-ossi pôjêr’mint?
Gn’a noulu qui l’sét, c’èst dèl côse dèl maliç’tè du malén èt toûrsiveûs Père Fwètârd èyèt c’è- st-ène afêre qui n’ voûra jamés racontér a lès djins.
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Marcel Slangen, Guide des expressions en wallon liégeois, CRIWE 1995, Réédition, 2017
En ce petit livre, ce n’est pas moins de 1 800 expressions, classées par ordre alphabétique des entrées thématiques en français, qui nous sont proposées.
Le mot principal désignant le thème, en français, est suivi du proverbe, en wallon uniquement. Rappelons que le Dictionnaire liégeois peut à présent être consulté en son entier sur internet – cela vous prendra un peu de temps, mais cela vous permettra aussi de vérifier, si pas d’approfondir, vos connaissances.
En voici quelques extraits :
8. accaparer: sètchî tot so s’ molin.
63. batailleur: on findeû d’ narènes.
82. bourru: on må vêlé.
92. buissonnière (faire l’école): fé barète.
108. chauve: ine pane di veûle; on crolé sins dj’vès; i dv’rè fèrer sès pious a glèce; pèlé come li cou d’on mårticot.
272. embarras: (un faiseur d’): on baron do tchèstê d’ poussîre, on fricasseû d’ fèves.
489. lessive (petite – de quelques pièces): ine bouwèye matante.
521. (de travers): è cwèsse (come lès dj’vås qui riv’nèt d’al fièsse).
649. prétentieux (à l’adresse d’un -): vos-aprindrez tot-rade a vosse pére a fé dès-èfants.
850. vierge: èlle a co l’ florète so l’oûy.
Ici aussi, certains thèmes reviennent très souvent, ou bien suscitent à eux seuls une abondance d’expressions: les femmes – spécialement les vieilles et les veuves; le plaisir des sens, la gourmandise notamment, et la boisson; les gens qui veulent paraître au-dessus de leur condition. C’est aussi une école de sagesse, et l’on y conseille assez souvent que mieux vaut se taire que de trop parler.
Mais comment résister à l’envie de placer un bon mot, une fine raillerie? Le remède serait parfois pire que le mal…
Comme le dit en 4e de couverture le député Charles Janssens, Outil de travail autant que de délassement – quel régal que de lire quelque lignes en famille ou entre amis! – je suis certain que ce Guide des expressions en wallon liégeois rencontrera le succès qu’il mérite.
© Joseph Bodson, 2017