Livres nouveaux en wallon
Joseph Bodson
Texte
Calixte Culot, Raglènadjes î pö pa t’tavô (Glanages un peu partout), coll. « Paroles du terroir », Musée de la Parole en Ardenne, rue du Chant d’Oiseaux 3, B 6900 Marche-en-Famenne. T 0479 220 381
Bienvenue à Warmifontaine. Entrez sans frapper, nous dit la 4e de couverture. Et c’est tout à fait ça... Comme dans le temps, on entrait par la porte de derrière, qui restait toujours ouverte, tandis que celle de devant était réservée au protocole, enterrements et compagnie. Ce n’est pas un livre « arrangé », c’est un homme vivant qui nous parle, engagé, enragé même parfois, pour son wallon, la vie d’autrefois, la simplicité, la confiance des gens entre eux. Mais méfiez-vous quand même, lorsqu’une petite lueur brille au coin de l’œil: ce n’est pas un livre pour pleurer, mais un livre bourré d’humour jusqu’au culot, et vous ne vous ennuierez pas en le lisant.
Calixte Culot fut l’un des fondateurs du Groupement des auteurs dialectaux luxembourgeois, et fut rédacteur en chef de la revue Le Luxembourg dialectal.
Ce sont quelques fagots bien fournis qu’il nous apporte pour cette veillée au coin du feu, avec du petit bois, quelques bûches et des brindilles qu’il a ramassées ça et là: histoires, poèmes, chansons, il y en a pour tous les goûts, et c’est du meilleur.
Ecoutez-le:
« An sét ossi qu’an 1787, I gn’avét 72 djans a Warmich; cés-ci astièt cultivateurs û vatchiès, û bèrdjiès, û vaniès, û marchôs… Quéques-îk s’ant mètu d’dès la tésse du douvri ène câriére; fôt crwâre quu la fwâre êrt bone èt la pière ossi ca en 1818, i gn-avét 149 djans ou viladje!
C’è tu an 1845 quan- z-è douvri lès premières fosses èt qu’an-z-è c’mincè a tiré d’ la pière dou fand; ça n’alét fört biè; ô c’mincement d’l’année 1912,
l’ardwasière avét 300 ouviès qui favriquièt 12 milions d’ardwases su l’année. mës lu 6 du mârs du ç’t-année- là, i gn-è stu ène tèribe rakcheûse, ca a côse d’èn-èboul’mant, an-z-è du clôre l’ardwasière; i gn-è min.me sutu 5 mêjans qu’ant croulè èt l’èglîje è stu clôse pou 5 années. Lès-ouvriès, tout dènortés, ant du r’kèri du l’ôte ouvrafje pou nûri leûs-afants. Mintes fammîyes nn-ant nalè travayè d’dès lès vêr’rîes dou costé d’ Manage èt d’ La Louvière. Çu n’èst qu’an 1924 qu’an-z-è r’mètu le travô an route.
A l’eûre d’aneût, an tire co d’ la pière èt an fêt co dès- ardwases (en 1976), mês qu’a quand! Çu s’rét domadje pou nosse viladje si an dvét co î cöp r’clôre lu travô!
On sait aussi qu’en 1787 il y avait 72 habitants à Warmifontaine, ils étaient cultvateurs ou bergers, ou vanniers, ou marécjal-ferrant. Queleques-uns se sont mis dans la tête d’ouvritr une carrière.. Il faut croire que l’affaire était bonne et la pierre aussi, car en 1818, il y avait 149 habitants au village. Ce fut en 1845 qu’on ouvrit les premières fosses et qu’on a commencé à tirer la pierre du fond, cela allait fort bien, au commencement de l’année 1912 l’ardoisière avait 300 ouvriers qui fabriquaient 12 millions d’ardoises sur l’année mais le 6 mars de cette année- là il y eut une terrible catastrophe, car à cause d’un éboulement, on a dû fermer l’ardoisière, il y eut même cinq maisons effondrées et l’église a été fermée pour cinq ans. Les ouvriers, tout perdus, ont dû trouver un autre travail pour nourrir leurs enfants. Plusieurs familles sont parties travailler du côté de Manage et La Louvière. Ce n’est qu’en 1924 qu’on a remis l’ardoisière en route. Aujourd’hui, on tire encore la pierre et on fait des ardoises (en 1976), mais jusqu’à quand ? Ce serait dommage pour notre village si on devait encore arrêter l’exploitation ! »
Et voilà! Vous savez où c’est, à présent sur Warmifontaine ou Wamich, à deux pas de Neufchâteau!
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Dominique Heymans, Pleuves, poèmes, Tétras- Lyre, collection De Wallonie,
2018, bilingue wallon-français. Contact : Primaëlle Vertenœil, rue des Croix de Guerre, 31 à 4020 Liège, editionstetraslyre.be
editions.tetraslyre at gmail.com
Un recueil à marquer d’une pierre blanche, et qui, espérons-le, sera le premier d’une longue série. Pourquoi? Comme le dit la préface : La collection de littérature bilingue « De Wallonie » est une initiative des éditions Tétras-Lyre soutenue par la Direction des Lettres et le Service des langues régionales endogènes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le but : remédier à la méconnaissance de notre littérature wallonne auprès du public qui devrait être le sien; peu de gens lisent le wallon, et bien souvent, les œuvres publiées le sont uniquement en wallon, par un repli frileux, qui a pour conséquence d’enfermer notre littérature dans une sorte de ghetto. La littérature en wallon, la littérature en français, dans notre communauté, forment le plus souvent deux mondes étanches.
C’était un pari à faire : y a-t-il, parmi le lectorat en français, suffisamment de gens disposés à lire des œuvres en bilingue. Pour ma part, j’en suis persuadé. Il y aura, bien sûr, le problème de la diffusion. Mais l’expérience valait d’être tentée.
Et c’est une chance, et un vrai bonheur, qu’elle débute avec ce recueil Pleuves, de Dominique Heymans, lauréat du prix triennal de littérature en langue régionale endogène (il paraitra dans la collection deux volumes par an, l’un, réédition d’une œuvre notable, en bilingue, et l’autre, consacré à une production récente).
Certains – il faut s’y attendre – qualifieront cette œuvre de minimaliste – un terme galvaudé, qui ne veut plus dire grand’chose.. Non, en fait, Dominique Heymans est un grand sorcier, capable de changer en poésie, et poésie chargée d’une haute teneur de densité poétique ce qui n’est pour la plupart des gens qu’une gêne, un inconvénient. Non, la pluie, c’est bien plus que la pluie. Haute densité poétique, mais aussi un long passé rituel. Aussi bien nos populations, qui avaient recours à tel ou tel saint pour implorer la pluie, – l’une des raisons de nos marches folkloriques – que les peuplades primitives, qui avaient leurs faiseurs de pluie (c’est d’ailleurs le titre d’un beau film américain). Un grand sorcier, vous disais-je, capable de transformer la Stilles Regen en une sorte de Stilles Leben.
C’est ainsi qu’il part, parfois, d’un proverbe commun, sous diverses formes, à presque toute la Wallonie. Ecoutez-le donc:
Inmacralâdjes
I plût, i lût,
Lès sorcières son-st-à à Félû
Vût co dire soléy tout cru
N’inscôfe pus èm dûr cabus
I plût,
n’ lût pus
Lès sorcières ont disparu
Mès sorcières nè r’véront pus
Lès côk’mwârs ont stè rwès djûs
I plût, i plût…
Envoûtements
Il pleut
le soleil brille
Les sorcières sont à Feluy
Veut encore dire soleil mouillé
N’échauffe plus ma tête dure
Il pleut, le soleil ne brille plus
Les sorcières ont disparu
Mes sorcières ne reviendront plus
Les cauchemars ont été emportés
Il pleut, il pleut…
Et le vent, le porte-pluie, fait aussi partie de cet univers sourdement enchanté, et toujours en attente, d’un regain de pluie, d’un amour reverdi.
« Tot ç’ qui vént d’rif, è r’va d’raf » dit un autre de nos proverbes, et il ne faut pas être grand géomètre pour réaliser que le contraire est aussi vrai:
Dèvise dè clipotia
Vos mè rvérèz
M’n amoûr
Quand m’keûr sè r’sèkira
D’zous lès minteûs solèys
Vos mè r’vérèz
D’dins s’ré sôvè
Vos mè r’vérèz
Pô vint d’Ecosse
Paroles de girouette
Vent d’Ecosse
Tu me reviendras
Mon amour
Quand mon cœur s’assèchera
Sous les soleils menteurs
Tu me reviendras
Et je serai sauvé
Tu me reviendras
Par le vent
d’Ecosse
Oui, je puis vous l’assurer, Dominique Heymans est un grand sorcier. Un grand sourcier. Même s’il vous regarde, parfois, d’un œil malicieux. Et puis, pour assaisonner son wallon du Centre, il y a cette musique qui nous vient de bien loin, du sud des Etats-Unis, sans doute, et qui a besoin du vent pour fendre les eaux du fleuve.
© Joseph Bodson, 2018