Edito
Christian V. Quinet
Texte
El Fôkeûse a passè !
Cher amis lecteurs !
Ce titre que nous souhaitons utiliser le moins possible est hélas de circonstance. Le malheur que nous pressentions depuis quelque temps s'est produit le lundi 14 juillet dernier : Arlette Pierlot, notre Arlette nous a quittés un mois jour pour jour avant son quatre-vingt-neuvième anniversaire. Elle s'est éteinte comme on souffle une chandelle dans son logis de la rue Hector Denis alors qu'elle était occupée à un de ses passe-temps favoris : la résolution d'un mot fléché.
Arlette était attachée à notre association par ses qualités musicales. Jusqu'à son dernier souffle, elle a été l'accompagnatrice incontournable de nos cabarets wallons et de toutes les festivités auxquelles nous l'associions. Mais Arlette était plus qu'une précieuse collaboratrice, elle était une amie. Nos contacts avec elle ne se limitaient pas à ses seules et brillantes prestations au synthétiseur. Quand nous ne lui téléphonions pas, c'était elle qui nous contactait, s'enquérant toujours avec empressement de la santé de chacun et de sa famille.
Musicienne d'élite, elle a parcouru la Belgique mais aussi une bonne partie des pays voisins pour participer à des concerts ou accompagner les chorales et chanteurs les plus talentueux. Malgré une relative surdité, son grand âge n'avait en rien altéré la sensibilité de son oreille musicale. Sans partition, elle s'adaptait instantanément à une nouvelle mélodie, identifiant séance tenant la tonalité qui convenait à son interprète. Ces dernières années, elle souffrait de plus en plus d'ulcères aux jambes qui limitaient dangereusement son autonomie. La canne, le déambulateur et les bras de ses amis lui étaient indispensables pour pouvoir accomplir des déplacements dont elle n'a jamais voulu se priver. Quand vous lui demandiez comment elle allait, la réponse était invariable : « Eh bien, mon Dieu, ça ne va pas trop mal... » Et d'emblée, elle enchaînait en s'inquiétant elle-même de votre propre santé. D'humeur toujours joyeuse et optimiste, elle nous avait appris comment conjuguer à tous les temps le verbe « positiver ». Lors de nos cabarets, elle ne se contentait pas de nous accompagner, elle prenait l'initiative d'interpréter ses morceaux favoris et de relancer l'ambiance aux moments opportuns.
Si ses jambes l'avaient depuis longtemps trahie, la tête, elle, restait intacte. Nous ne voyons pas d'autre épithète pour qualifier ce prodige que l'adjectif passe-partout : extraordinaire. Elle vous sortait spontanément de longues tirades d'oeuvres classiques, récitées ou chantées, se souvenait de manière précise d'épisodes lointains de sa longue vie, rappelait aux plus jeunes d'entre nous des passages détaillés de romans ainsi que les noms des personnages que nous avions nous-mêmes oubliés. Une mémoire prodigieuse...
Son plus grand plaisir en société était la dégustation des meilleurs crus de vin rouge. Au point que, les rares fois où l'organisateur d'un cabaret n'avait pas prévu ce breuvage au tarif, après avoir affiché fugitivement une moue désapprobatrice, elle préférait boire un coca car la bière ne l'attirait pas.
Sa déclamation fétiche lors d'une festivité : « In toûr dè noces » de Flori Deprêtre. Elle récitait cette savoureuse scrivète sans une hésitation de mémoire et avec une conviction telle qu'elle faisait rire aux éclats son auditoire, même si celui-ci avait déjà maintes fois entendu ce texte humoristique. Nous lui rendrons hommage en interprétant ce texte lors des prochaines Fêtes de Wallonie mais personne ne pourra l'égaler dans cet exercice. Très pieuse, elle avait contourné tout risque de blasphème en adoptant comme juron standard : « Bathyscaphe à bretelles !... »
Née à Courcelles le 14 août 1925, elle aura donné un sens à sa longue et active vie, prouvant par là même que celle-ci valait la peine d'être vécue. Sa bonne humeur permanente nous aurait interdit de nous lamenter sur sa disparition. C'est pourtant avec une profonde émotion que nous disons aujourd'hui : « Au revoir, et merci, chère Arlette... »
L'éditorial initialement prévu pour ce mois se voit, vu les circonstances, reporté à notre édition d'octobre et nous aurons alors des nouvelles plus souriantes à vous communiquer. Quoi qu'il en soit, du haut de son nuage, Arlette nous souffle à l'oreille :
Bone Fièsse dè Walonîye !...