Réception des Rèlîs Namurwès au Palais provincial
Bernard Louis
Texte
Le jeudi 30 avril 2015, les autorités provinciales ont reçu les Rèlîs Namurwès pour la sortie de presse et la présentation de leurs Kriegscayès. En présence du gouverneur Denis Mathen, et du député Philippe Bultot chargé de l’Enseignement, on entendit les discours de Jean-Marie Van Espen, député-président, de Geneviève Lazaron (en wallon), députée en charge de la Culture, et de Cédric Visart de Bocarmé, président de la Société archéologique de Namur, coéditrice de l’ouvrage.
Jean-Luc Fauconnier parla au nom du Conseil des Langues régionales endogènes qu’il préside, tandis que Joseph Dewez, président des Rèlîs Namurwès, adressa une longue série de remerciements à celles et ceux qui ont apporté leur collaboration ou leur contribution financière pour la réalisation de ce livre qui fera date.
Axel Tixhon, professeur d’histoire à l’université de Namur et coauteur, souligna la place originale tenue par l’édition des Kriegscayès dans la masse des publications consacrées à la Grande Guerre.
Ensuite Christiane Binamé, Anne-Marie François, Pierre Lazard, Maurice Dubois et Bernard Louis, membres du cercle littéraire, présentèrent une invitation à la lecture composée par leur président Joseph Dewez.
Nous la reproduisons ci-dessous, en indiquant les références des textes dans le volume.
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Invitation à la lecture : brève évocation des textes des Kriegscayès
La date de parution des Kriegscayès n’a pas été choisie au hasard. En fait, nous célébrons un anniversaire. Il y a tout juste cent ans, les quatre Rèlîs artilleurs dans les forts de Namur et prisonniers en Allemagne, se sont retrouvés pour une courte période dans le camp de Soltau (Basse-Saxe) . Ils y ont reconstitué le Cercle littéraire et ont pu tenir trois réunions avant d’être de nouveau dispersés peu après la troisième réunion du 5 mai. Le 22 avril, Edmond Wartique, secrétaire, rédige le compte-rendu de la première réunion. Il note avec une pointe d’auto-dérision :
Les “ Rèlîs Namurwès ” prisonniers à Soltau ayant décidé de continuer à poursuivre le but de leur société ont organisé une séance d’ouverture. Grâce à l’initiative du camarade Thirionet, ces quatre vaillants se sont donc retrouvés en dépit de toutes les difficultés, dans un local offrant toutes les commodités (latrines de la baraque 69 A) et y ont tenu leur séance d’inauguration.
Cette séance a commencé par un discours solennel du président auto-proclamé Thirionet, qui exhorte ses compagnons à reprendre l’écriture en wallon (KC, pp. 280-283). Sa conclusion est une véritable profession de foi dans les ressources de la langue wallonne :
Alons, Rèlîs, nos n’èstans pus ètranjes dins nosse gayole, nos-èstans èchone ; nos-avans r’trové nosse patwès, ritrové nos tchansons... Divant vosse caboléye aus pétrâles, vos-avoz dit tortos :
« Lès-Alemands polenut prinde tote li crauche ; li pia èt lès-ouchas, i n’ lès-auront nin. » Alez l’zeû lèyî on bokèt d’ vosse keûr di Walon ?Non ! E bin d’abôrd, tchantans, Rèlîs, tchantans. « Tchantans à tot spiyî nosse vî lingadje. »
Cette dernière phrase est en réalité le refrain de l’hymne des Rèlîs, écrit par Émile Robin et adopté en mai 1914. Lors de la deuxième séance des RNP (Rèlîs Namurwès Prîjnîs), le 28 avril, Fernand Danhaive présente sa “ Lettre à Nibor ” destinée à communiquer des nouvelles de Soltau aux amis restés à Namur (KC, pp. 286-287). (Nibor est le nom de plume d’Émile Robin).
En voici quelques lignes, elles aussi empreintes d’humour :
Qui l’aurait cru ? Nous nous sommes retrouvés, deux, trois, quatre Rèlîs, maigris, déçus, pauvres et prisonniers. Et de suite, des germes d’ambition ont fécondé dans le cerveau de Douard (Thirionet), des effluves d’association ont émané de Wartique, le levain de rouspétance a levé dans le cœur d’Arnould-Danhaive. C’était bien, cher Nibor, la reconstitution des séances passées, avec le cadre en moins.
Il conclut : ...nous ne voulons pas démériter de vous ; notre patrie namuroise nous tient trop à cœur. Fidèles à nos traditions, à votre affection et à nos devoirs, en exécution du serment prêté à notre société, nous songeons à vous pour pleurer moins et pour espérer toujours.
Écrire en wallon est donc une manière de « pleurer moins et d’espérer toujours », une façon de relever la tête, une stratégie de résistance face à leurs pénibles conditions d’internement. Écrire en wallon leur permet aussi de se donner une sorte de « patrie portative » qui les met en communion avec leurs amis de Namur. Tout cela, Édouard Thirionet l’exprime dans un texte plein d’humour qu’il a déjà écrit fin 1914 au camp de Munsterlager (Basse-Saxe) et qu’il a présenté lors de la première réunion des RNP : le ventre crie famine, et ce n’est pas la soupe trop claire qui va apaiser la faim. Mais voilà qu’au fond du bol, il aperçoit un petit morceau de lard. Hélas, il est moisi. Tout juste bon à nettoyer le poêle ! Ce qui dégage une de ses odeurs qui fait penser à la cuisson des galettes maternelles.
On bokèt d’ laurd su li stûve
Gn-a l’iviêr qu’è-st-à l’uch èt m’ soupe di prîjonî
È-st-audjoûrdu si spèsse qui dj’ vwè l’ fin fond di m’ taîle :
Di l’aîwe, saquants carotes, lès canadas... rôvîs
Èt l’ tchau... lès cuisiniers l’ont rosti dins leû pêle.
Pupont d’ magnom´ à cûre, pupont d’ crosse à rondjî ;
Portant, si dji p’leûve tinre on polèt pa lès-éles...
Oyi, vinte, t’aurès t’ soupe, faurè t’ crwêre soladjî.
In, qui nn-èstan-n’ à Moûse po sucî dèl blanke déle !
Avalans todi ça ; dijans-nos : c’è-st-assez...
Tin, l’ bia p’tit bokèt d’ laurd !... Êk ! il èst tchamossé.
Frotans li stûve avou, qu’èle nos chone mwins´ man.nète...
Îy l’agostante ignéye... ! Tènoz, come ça sint bon !
Rapinse-tu m’ pôve vî vinte. Ès´ binauje ? Sins´, di ? Non !
Moman qu’ècrauche li fiêr : èle va fé lès galètes !
(KC, pp. 266-267)
Les Rèlîs Prîjnîs, une fois dispersés, continueront d’écrire, envers et contre tout. De leur côté, les Rèlîs de Namur eux aussi ont repris la plume. Eux aussi écrivent. Lors de leur seconde réunion du 30 mai 1915, le secrétaire Lucien Maréchal indique au rapport :
Nous apportons chacun le modeste fruit de nos rares heures d’inspiration, quelques petites pièces dont le sujet sera invariablement la situation présente, les horreurs de la guerre, la plainte de la patrie opprimée.
Il ajoute : Flupe (alias Charles Camberlin), qui a toujours le mot pour rire, dit que nous en ferons un Kriegscayè dédié à nos camarades soûdârds.
Kriegscayè : le mot est lancé avec une pointe d’ironie contre l’occupant. Il mobilisera tout l’effort d’écriture des Namurois autour du retour des soldats, pour leur montrer ce que nous pensions en leur absence, dira encore le secrétaire en 1916.
C’est un Nûton, qui incarne pour son créateur Lucien Maréchal, l’esprit de la Wallonie, qui exprime sans doute le mieux ce que les Rèlîs ont pu trouver dans la langue wallonne.
Li Walon, dins s’ maleûr, ni sondje nin cor à s’ plinde.
Al place do piède si timps à braîre èt à djèmi
I saye di s’ doner l’aîr di n’ nin yèsse asplati ;
Vaut-i nin cint côps mia ? Nos somadjans afîye
Maîs nos-aurdans tot l’ minme, come on feu qui djômîye
On p’tit rèstant d’ vîye djôye tote prète à s’dislachî,
Èt s’il arive qu’èle brotche, c’èst qu’èle diveûve brotchî.
C’est ça qui nos sotint èt nos faît prinde pacyince
Po sopwarter dès maîsses sins coûr èt sins consyince.
Tot causant d’ nos rascrauwes, di nos pwin.nes, di nos crwès,
Nos-èstans co plaîjants bin sovint, sins l’ sawè ;
Èt d’ nos r’vindjî afîye s’i nos vêreûve l’idéye,
Ci sèreûve por on fion, one lawe ou one riséye.
(KC, p. 186)
« Un petit reste de vieille joie toute prête à se libérer ». Cette vieille joie, nous la retrouvons dans plusieurs chansons qu’un tout nouveau Rèlî, Ernest Montellier, va mettre en musique. Il rejoint la société littéraire au début de 1915, et trouve dans les textes d’Émile Robin, de Joseph Calozet, de Lucien Maréchal de quoi se lancer dans « la chanson populaire ». Il composera une dizaine de chansons pendant la guerre, et donnera plus tard une centaine de partitions pour des textes de 25 Rèlîs différents.
En guise de conclusion de cette invitation à la lecture, nous vous proposons d’écouter une chanson que le Nèsse a écrite et mise en musique durant la guerre. Une chanson dont le refrain reprend les termes même d’un poème de François Bovesse interprété au Théâtre de Namur le 26 avril 1914 : I n’ nos plaît nin ! (KC, pp. 300-302). Un petit groupe de Rèlîs va vous l’interpréter, sous la direction de l’une de nos dernières recrues, Maurice Dubois.
(Aux Rèlîs cités ci-dessus comme lecteurs, s’étaient joints Marie-Jeanne Goffinet, Joëlle Spierkel et Bernard Thiry).
Un premier compte rendu de la publication, émanant de notre ami Joseph Bodson, est disponible via le lien suivant :
http://areaw.org/author/bodson/
La publication « Lès Kriegscayès : la Grande Guerre des Rèlîs Namurwès » est sortie de presse le 30 avril 2015 !
La publication est éditée par la Société archéologique de Namur en collaboration avec Lès Rèlîs Namurwès, l’UNamur et le TreM.a.
Elle comporte 448 pages au format 22 x 30, est agrémentée de nombreuses illustrations en noir et blanc, et pèse 2 kg 400. Tous les textes wallons sont traduits en français.
L’ouvrage est disponible au TreM.a (Hôtel de Gaiffier d’Hestroy, rue de Fer, 24, 5000 Namur, tél. : 081/77.67.54) et dans les librairies Au Vieux Quartier, rue de la Croix ; Papyrus, rue Bas de la Place ; Point virgule, Place Saint Aubain, à 5000 Namur.
Prix de vente : 30 €
Informations :http://relis-namurwes.be/ - www.lasan.be
La littérature wallonne namuroise au cœur d’un conflit mondial
Durant la guerre 14-18, les membres du cercle littéraire Lès Rèlîs Namurwès (« Les Namurois choisis») vivent différentes expériences dramatiques : résistance face à l’occupant, engagement sur le front de l’Yser, exil ou captivité en Allemagne. Pour témoigner, exprimer leur ressenti et soutenir leur moral, ils choisissent d’écrire en wallon et de rassembler leurs œuvres dans les Kriegscayès (Cahiers de guerre), un terme ironique mêlant l’allemand et le wallon. « Les Kriegscayès : la Grande Guerre des Rèlîs Namurwès » constitue l’édition scientifique bilingue de ces textes qui étaient restés, pour la plupart, manuscrits.
Les écrits sont publiés dans leur langue originale avec une traduction française pour rendre accessible au plus grand nombre ces paroles de Namurois qui ont honoré leur région et leurs racines dans la souffrance et parfois l’horreur. Le travail de retranscription et de traduction des écrits originaux a été réalisé par les Rèlîs Namurwès, sous la coordination de Joseph Dewez et Bernard Louis. Axel Tixhon, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université de Namur, a accompagné la mise en perspective historique et scientifique.
La langue wallonne comme « patrie portative »
La langue wallonne a été, pour les Rèlîs Namurwès restés à Namur, une manière de tenir bon face à l’occupation allemande, grâce à l’humour et à la chanson. Pour les Rèlîs Namurwès engagés dans le conflit (prisonniers, fantassin sur l’Yser ou exilé dans le centre de la France), le wallon a été une sorte de « patrie portative », une façon de se retrouver « chez soi » malgré l’éloignement forcé. Et ce, avec une charge émotionnelle plus puissante que ce que la langue française leur aurait permis.
La Société archéologique de Namur, éditeur et partenaire
En éditant ce deuxième volume de sa collection Namur. Histoire et patrimoine, la Société archéologique de Namur (SAN) soutient les Rèlîs Namurwès dans leur défense passionnée et rigoureuse de la langue et la littérature wallonnes. Ayant acquis au fil des années un statut d’expert en matière d’édition d’ouvrages d’art, la SAN se positionne aujourd’hui en mettant ses compétences, notamment éditoriales, au service des autres institutions culturelles namuroises.
À propos de la Société archéologique de Namur
Fondée en 1845, la Société archéologique de Namur (SAN) se consacre à la sauvegarde du patrimoine, à son étude et à sa diffusion. De la Préhistoire au XXIe siècle, ses collections sont le reflet de l’histoire de Namur et de sa région. La SAN participe à l’organisation d’expositions temporaires, édite de nombreuses publications scientifiques et de vulgarisation et conçoit des animations pédagogiques à destination de tous les publics. La SAN présente ses collections au sein de trois musées namurois: le Musée archéologique, le Musée des Arts décoratifs et le TreM.a (Musée des arts anciens du Namurois – Trésor d’Oignies).