© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Camera-etc, atelier d'animation

Sylvain Gressier

Texte

Cinergie poursuit sa tournée des ateliers de la Fédération en allant taper à la porte de l’asbl Camera-etc. Dans les locaux de cette ancienne école, aux couleurs chatoyantes, nous rencontrons Jean-Luc Slock, directeur de cet atelier de production spécialisé dans le film d’animation.


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Cinergie : Peux-tu nous expliquer Camera-etc ?

Jean-Luc Slock : Caméra-etc est un atelier de production qui a commencé par s'adresser exclusivement au jeune public. Il a vu le jour dans les années 80 et s'appelait alors Caméra enfant admis.
L'idée était de favoriser l'émergence d'une culture cinématographique propre à notre communauté Wallonie-Bruxelles en s'adressant au plus jeune. Depuis, nous avons créé une génération de cinéastes qui, aujourd'hui, envoient leurs propres enfants à nos ateliers.
Le développement technologique, mais surtout celui de la formation des animateurs, a permis une professionnalisation de l’atelier durant ces vingt dernières années.
C'est pour cela qu'on a changé de dénomination et que l'on est devenu Caméra-etc. Nous conservons une spécificité jeune public mais qui ne correspond plus qu'à la moitié de nos productions.
Celui-ci est surtout présent sur les œuvres collectives, avec des stages de vacances ou des projets scolaires, où l'animation est utilisée comme outil de développement personnel, de groupe, social, d'aide psychologique.
On retrouve ces méthodes de travail avec notre public adulte, on collabore beaucoup en projet social avec des associations, pour les primo-arrivants, etc.

Nous faisons également partie des CEC, (Centre d'Expression et de Créativité).
C’est à ce titre que nous accueillons, chaque semaine, un atelier ouvert aux adultes qui viennent réaliser leur premier court-métrage d'animation pendant quelques mois au sein de notre studio.

D'autre part, nous faisons beaucoup de collaborations internationales, nous exportons notre savoir-faire dans pas mal de pays, notamment africains.
On travaille avec différentes ONG sur des sujets citoyens à la production d’outils de sensibilisation en impliquant des enfants. On tâche aussi de faire des formations d'animateurs, de leur donner la possibilité d'utiliser le matériel qui s'est fortement démocratisé ces dernières années.

Un autre secteur qui nous tient à cœur est la production de films d'auteurs, où avec notre association sœur, Zorobabel, nous avons inauguré un système de production qui s'appelle START et qui permet aux jeunes animateurs de produire leurs premiers courts-métrages hors scolaire.

En plus de ça, il y a encore deux secteurs sur lesquels nous travaillons, à savoir les films de commission, c'est à dire des messages d'intérêt général en motion design, pour un message didactique et ludique. On a fait par exemple une vidéo de vingt minutes pour les primo-arrivants qui explique ce qu'est la Belgique, les droits et devoirs de chacun dans une quinzaine de langues différentes.

Le dernier département est plus "laboratoire", ce sont les clips musicaux, qui ont commencé par la valorisation de la vie musicale liégeoise dans un premier temps et qui s'étend aujourd'hui.


C. : Peux-tu nous en dire un peu plus sur le médium animation ?

J.L.S. : Quand on a commencé Caméra enfants admis, c'était un moyen de faire de l'éducation aux medias par la pratique dans les écoles. L'animation permet la réalisation d'un projet collectif, rendant accessible le médium cinéma à un public non initié de manière plus simple que la prise de vue réelle.
À l’époque, il fallait faire un film avec vingt-cinq élèves et il n'était pas question de valoriser l'un ou l'autre dans un rôle de vedette. L'animation met chacun au même niveau.
D’autre part, je suis graphiste de formation, et on a découvert que l'éducation artistique commençait à disparaître notamment dans les écoles primaires. Avec l'arrivée du numérique, les parents sont plus intéressés par des formations sur ordinateurs que par des formations de base telles que le dessin ou le chant.
Tout ça a tendance à se mélanger de plus en plus depuis une quinzaine d'années. Ici, on préfère avoir des participants autour d'un projet avec des techniques manuelles, on utilise la peinture, le dessin, la plasticine, l'argile et bien d'autres choses encore.

D'un point de vue contenu, l'animation a une force éminemment métaphorique et symbolique qui permet la production de films très courts avec des contenus qui passent plus facilement qu'avec la prise de vue réelle. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que l'animation est utilisée comme outil de propagande, en temps de guerre comme de paix. Une autre raison est que nous avons de plus en plus de projets avec des gens qui, pour diverses raisons, n'ont pas envie de témoigner face caméra, s'ils n'ont pas de papiers par exemple, et qui se "cachent" derrière les personnages d'animation à la manière de marionnettistes.

C. : Comment perçois-tu la réception du film d'animation au fil des années ?

J.L.S : En réalité il n'y a pas grand-chose qui change. La fascination pour l'animation traditionnelle connaît même un renouveau du fait de la production de séries TV animées dans ce format. Les jeux optiques comme les zootropes, les phénakistiscopes, les folioscopes ce sont des trucs qu'on utilise depuis trente ans et qui fascinent toujours autant l'enfant, qui est pourtant dix fois plus gavé de matière audiovisuelle que ses parents en leur temps. L'attrait vient aussi de l'accessibilité, un logiciel de stop motion comme celui qu'on utilise va être maîtrisé par un enfant en trois minutes.

C. : Qu'en est il de votre autonomie ?

J.L.S : On est autonomes jusqu'à un certain niveau... On a par exemple toujours besoin de finaliser le son en studio professionnel. Mais on est capable de produire nous-mêmes. Et puis, il y a beaucoup d'aide entre les ateliers. Pour les films d'auteurs la co-production, notamment avec la France, est inévitable, notamment sur des techniques particulières.

C. : Peux tu nous parler de la vie des films après la production ?

J.L.S. : C'est un sujet très important pour nous, l'éternel sujet de l'implication de l'animateur dans le projet et de la relation entre le processus de réalisation et la production finale.
On pense que les deux sont d'égale importance et que ça ne sert à rien de faire des films avec les enfants pour ne pas les utiliser.
Nous trouvons indispensable, par respect des participants, de mettre en œuvre tous les moyens techniques possibles afin de produire des films qui pourront être vus par un public plus large. Ainsi, nous n'avons pas de hiérarchie quant à la qualité de production, ce n’est pas parce qu'on travaille avec des enfants que l’on va utiliser d'autres conditions techniques que pour des films d'auteurs.
Le résultat est qu'en terme de visibilité, ces films, tout comme nos films d'auteurs, sont diffusés dans de nombreux festivals internationaux et ça donne des résultats exceptionnels.

J'ai toujours plaisir à citer Benoît Feroumont, que j'ai connu à 11 ans lors de son premier stage en Super 8 et qui a découvert sa passion avec les activités de Camera-etc. Ce n'est pas notre objectif principal, mais on est toujours content et fier quand le petit garçon qu'on a connu dans les années 80 devient un réalisateur majeur du cinéma d'animation en Belgique francophone.
On organise toujours des premières de manière très professionnelles avec un speech d'ouverture, un petit diplôme, des choses comme ça, pour valoriser le groupe.

C. : Ces films ont également des qualités sociales à valoriser.

J.P.S : Étant donné la frilosité des chaînes de télévisions, on a un réseau de diffusion dans le milieu éducatif qui est très chouette. Nos films sont utilisés très souvent comme base de discussion, comme outil de sensibilisation sur différents sujets. On diffuse pas mal nos productions au niveau international.

C. : Quelle est la réception de votre travail dans le corps enseignant ?

J-L.S : On ne peut travailler qu'avec une collaboration du corps enseignant. On n’a quasiment jamais de mauvaise expérience puisque les enseignants font appel à nous parce qu'ils connaissent notre travail.
Quand on se présente aux enfants, on joue le vrai jeu du cinéma, on leur dit : "Ce n'est pas un film fait par des enfants mais avec des enfants. Vous faites partie des protagonistes de la production, mais il y a également un producteur, etc..."
Le professeur fait également partie de cet ensemble.
Le story-board par exemple est une phase qui pour nous est essentielle et incontournable car il constitue le contrat que nous avons avec les participants et qui permet de maîtriser le processus de réalisation.

C. : Souhaites-tu ajouter quelque chose ?

J.L.S. : J’aimerais revenir sur le travail des animateurs à l’atelier.
C’est un travail extrêmement compliqué qui demande des compétences dans trois domaines essentiels. Il y a une compétence pédagogique, qui demande des capacités de prise de parole, d'analyse, d'évaluation, un ensemble de choses indispensables. Il y a des compétences artistiques, savoir dessiner, trouver des solutions de mouvement.

Cinq de nos sept animateurs sont d'ailleurs issus de la Cambre. Les dernières compétences et pas des moindres sont les compétences techniques. Pour être animateur ici, il faut maîtriser une dizaine de logiciels de prises de vues, de son, de montage, de post-production. Donc bravo aux animateurs de Camera-etc qui sont de supers professionnels.


© Sylvain Gressier, 2017

Metadata

Auteurs
Sylvain Gressier
Sujet
L'atelier de création "Camera-etc"
Genre
Entretien
Langue
Français
Relation
Webzine Cinergie avril 2017
Droits
© Sylvain Gressier, 2017