© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Le Pari (s) littéraire du Centre Wallonie-Bruxelles (in Vues d'ailleurs)

Michel Zumkir

Texte

Au cœur de Paris, à deux pas de Beaubourg et du Marais, la culture belge de langue française a son îlot de visibilité, d’exposition, d’animation et de convivialité : le Centre et la Librairie Wallonie-Bruxelles.

Ils offrent une vitrine exceptionnelle aux écrivains et aux éditeurs de notre pays. Une vitrine comme à Saint-Nicolas et à Noël, mais toute l’année.

L’histoire commence en 1976, quand le Ministère de la culture acquiert un immeuble de mille mètres carrés pour y promouvoir l’art et la culture francophones de Belgique. Une belle intuition. Un geste heureux. Trois ans plus tard, le 26 septembre 1979, le Centre culturel de la Communauté française de Belgique, devenu par la suite le Centre Wallonie-Bruxelles, ouvre grand ses portes. Il y présentera les créateurs belges francophones de tous horizons et de toutes disciplines : danse, théâtre, chanson, jazz, cinéma, littérature, on en oublie sûrement. Y recevra le public venu les découvrir. Les applaudir. Et répandre la bonne nouvelle, à Paris et ailleurs : la culture belge francophone est vivante, bien vivante. Il faut compter avec elle.

Comme toutes les institutions culturelles, le Centre a pris ses inclinations, ses couleurs, en fonction de ses directeurs et de ses directrices, de leur personnalité, de leur style. Il a évolué avec le monde institutionnel et politique, s’est transformé sous l’impulsion des artistes et des écrivains qu’il a accueillis.

Aujourd’hui, il est un endroit incontournable pour la diffusion, la découverte et le rayonnement du patrimoine et de la création contemporaine de Wallonie-Bruxelles en France.

Parmi les artistes qui s’y sont produits, ont vu leurs films projetés, leurs pièces jouées ou dansées, leurs livres lus et discutés, leurs œuvres exposées, citons, en toute subjectivité : Luc et Jean-Pierre Dardenne, Stéphane Lambert, Annie Cordy, Henry Bauchau, Steve Houben, Vera Feyder, Hergé, Dominique Rolin, Claudio Bernardo, William Cliff, Chantal Akerman, Jean-Marie Piemme, Pietro Pizzuti, Guy Goffette, Marion Hänsel, Patrick Roegiers, les Irréguliers du langage et les plus réguliers, les primés du prix Rossel et les recalés, les poètes oraux et ceux qui écrivent dans le silence...

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Le Carnet et les Instants oblige, nous n’évoquerons que les activités littéraires du Centre et celles de la Librairie. Plus précisément : les activités organisées par la présente équipe.

Nous avons rencontré Anne Lenoir et Pierre Vanderstappen, respectivement directrice et conseiller littéraire du Centre Wallonie-Bruxelles, et Muriel Collart, responsable de la Librairie. Ils nous ont expliqué les enjeux et les missions du Centre, de la Librairie. Ce qu’ils n’ont pas dit, et que l’on peut entendre dans leurs mots, c’est l’enthousiasme qu’ils mettent à préparer et proposer les rencontres avec les écrivains, à promouvoir et vendre leurs livres. À créer un climat de convivialité lors des brunchs ou des bistrots littéraires, des lectures spectacles ; d’un conseil à la librairie.

Avec eux, la littérature, (devenue) art de la solitude, tant pour l’auteur que le lecteur, (re-)devient un moment de vivre ensemble, d’amitié et de partage. Une expérience commune.

- Anne Lenoir, femme d’ouverture
Directrice passionnée et chaleureuse, Anne Lenoir a presque toujours travaillé à diffuser la culture belge francophone, notamment à Wallonie-Bruxelles international. Présente à toutes les manifestations du Centre, elle dévore les livres de chaque écrivain invité. Elle aime tant lire qu’elle voudrait être interdite de Librairie Wallonie-Bruxelles, comme on est interdit de casino, parce qu’elle ne peut résister à la tentation...

Qu’avez-vous fait avant de diriger le Centre Wallonie-Bruxelles ?
Après mes études en philosophie à l’Université de Liège, amoureuse des philosophes présocratiques, je suis partie enseigner le français, le latin, la morale et la philosophie au Congo, le Zaïre à l’époque. J’ai dirigé ensuite le centre culturel de l’ambassade de Belgique. J’ai eu l’occasion d’y organiser des concerts et des expositions notamment de Mulongoy Pili Pili, un artiste de l’école de Lubumbashi, décédé maintenant. C’est là que m’est venue la passion de la culture. J’ai ensuite travaillé au Centre Wallonie-Bruxelles à Kinshasa. Quand je suis rentrée dix ans plus tard, Roger Dehaybe m’a demandé de m’occuper de la partie audiovisuelle du service culturel de Wallonie-Bruxelles international. Puis s’est ajoutée la Foire du livre, enfin la direction du service culturel.

Vous n’êtes pas la seule à avoir fait vos études à Liège, Pierre Vanderstappen et Muriel Collart aussi. Est-ce que cela s’explique ?
C’est un hasard de circonstance. En même temps, on peut remarquer que dans la programmation figurent aussi beaucoup de Liégeois. Je pense qu’il y a un vrai dynamisme culturel dans cette ville. La programmation le reflète, à juste titre. Je ne connaissais pas bien Pierre en prenant mes fonctions, Muriel pas du tout. Je ne dirai jamais assez le bonheur que j’ai de travailler avec eux. D’avoir cette empathie. Pour eux comme pour moi, travailler c’est rechercher, se dire que rien n’est jamais acquis, essayer d’aller plus loin, ailleurs. Je vois maintenant comment, pour nos événements littéraires, la fréquentation du public a augmenté. Pour le bistrot littéraire, il y a jusqu’à septante personnes. D’ailleurs on ne sait plus comment faire, ou mettre le public...

D’où vient ce succès ?
Le bouche à oreille fonctionne bien. Il y a, évidemment, la qualité intellectuelle de Pierre, de ses échanges, il est particulièrement doué. Il travaille énormément. Combien d’heures de lecture, de préparation pour présenter le Dictionnaire amoureux de la Belgique de Jean-Baptiste Baronian, pour arriver à cette qualité d’entretien ? Pierre valorise les écrivains que nous recevons et cela mérite de l’audience. Nous travaillons à trouver le public. À chaque fois, nous nous demandons quel doit être l’angle d’attaque pour promouvoir tel écrivain, où dénicher un public qui n’est pas encore familier du Centre.

Après avoir travaillé à l’international, ne travailler qu’à Paris, n’est-ce pas un rétrécissement de votre champ d’action ?
Pour la première fois de ma vie, je ne suis pas nomade. Je vis dans la ville, travaille dans un petit îlot dans la ville, mais grâce au réseau mis en place, cet îlot est un lieu d’ouverture. Mon pari est le partenariat et la collaboration avec les opérateurs français. Créer un réseau est important pour la mise en vente, la diffusion des créateurs. Quel pari formidable !

Quel est le public du Centre ?
Il est majoritairement français. Nous ne nous regardons pas le nombril entre Belges, même s’il est important d’avoir, à certaines occasions, la présence de nos autorités.

Quelle est votre touche personnelle dans l’organisation du Centre ?
Avant tout, la notion d’ouverture vers les partenaires français. Lorsque je suis arrivée, on ne parlait pas de partenariat, de collaboration. Monter des projets avec d’autres institutions, d’autres maisons, rend plus fort, plus visible. Mobiliser l’attention de professionnels français plus performant. J’ai cette envie d’ouvrir les portes, de respirer, d’aller voir ailleurs. Mais aussi d’accueillir le public. Communiquer, parler, échanger avec lui est important. J’aime la chaleur et la convivialité, ce qui est très liégeois. J’aime cultiver cela dans mes rapports. D’ailleurs les Français apprécient beaucoup.

- Pierre Vanderstappen, le goût du partage
Que ce soit sur la scène du théâtre ou l’espace de son bureau, Pierre Vanderstappen, conseiller littéraire du Centre, ne semble avoir qu’une ambition : mettre en lumière les œuvres littéraires belges, ainsi que leurs auteurs. En partager le goût avec le plus grand nombre.

Quelles étaient les missions principales du poste de conseiller littéraire quand vous êtes arrivé, en 2003 ? Ont-elles changé ?
La mission principale était de promouvoir en France les lettres belges de langue française. Il fallait organiser des rencontres littéraires à Paris et dans les régions de France, gérer et animer le centre de documentation, présenter des auteurs francophones dans les salons du livre, promouvoir auprès de la presse les ouvrages littéraires publiés en Wallonie et à Bruxelles. Assez rapidement, la question de la presse a été posée : Quel livre promouvoir ? Sur quels critères ?

Je n’aurais pu le faire avec toute la production belge. Aujourd’hui, je me contente d’aider si on me le demande, en communiquant par exemple une liste de contacts. Le centre de documentation s’est réduit aussi. Il est avant tout une bibliothèque avec des ouvrages de références consultables sur place, sur rendez-vous. Le cœur de la mission actuelle, c’est la programmation des rencontres et la présence des auteurs dans des festivals ou des salons du livre, à Paris et en province.

Arrivez-vous à drainer du public pour des auteurs belges publiés en Belgique dont la réception est réduite en France ?
Très modestement, je pense que puisque nous avons densifié la programmation, que le public est satisfait, nous pouvons nous permettre de programmer des auteurs moins connus, comme dans la formule des bistrots littéraires, une formule qui a fait ses preuves. On sait que le public sera présent. Les soirées de poésie orale et de slam fonctionnent aussi très bien, même si les poètes et les artistes que nous invitons sont encore peu connus du public parisien.

Comment se fait la programmation, le choix des écrivains ?
On essaie, de manière constante, de s’informer de ce qui sort, notamment via la Promotion des lettres, l’association Espace Livres & Création. La librairie est aussi précieuse car elle a, sur table et en rayon, toutes les nouveautés. Nous recevons aussi des propositions de la part d’éditeurs belges et français. J’essaie d’équilibrer la programmation entre découverte et patrimoine. Il y a trente-cinq manifestations par an. Pourtant, je me pose souvent la question de ce que nous pourrions faire pour promouvoir davantage de livres.

Quelles sont vos plus grandes angoisses et vos plus belles joies ?
L’angoisse principale concerne la fréquentation. Quand on fait venir un auteur de Belgique, on lui prend de son temps, on est là pour le promouvoir, il faut qu’il y ait du monde. Je n’ai aucun souvenir d’une rencontre qui se soit mal passée sur le contenu, mais il y a eu des moments, et heureusement de moins en moins, voire quasiment plus jamais, où la fréquentation a été décevante. Le plus passionnant de ce métier est de rencontrer un livre, un auteur et de partager quelque chose avec lui et le public. Je me souviens de grandes soirées, celle par exemple que nous avons organisée autour d’Henry Bauchau à la fin de sa vie, nous avions l’impression de vivre une soirée historique.... La semaine consacrée à Patrick Declerck est aussi un souvenir marquant. Elle a lieu dans un contexte très particulier, la semaine qui a suivi les attentats de novembre.

- Muriel Collart, libraire de fonds
La Librairie Wallonie-Bruxelles est l’une des très belles librairies de Paris, une librairie comme on en rêve. Qui ne consacre pas uniquement ses rayonnages et ses tables aux livres les plus nouveaux et les plus vendus, mais aussi, et surtout, à ceux qui ont construit l’histoire de la littérature belge, à ceux qui lui donnent sa vitalité contemporaine. Qui façonnent son identité.
Muriel Collart a la chance d’en être la responsable.

Quel est le statut de la Librairie ?
La Librairie a été constituée en 1994 selon la volonté de la Communauté française. Elle n’est pas un service du ministère. Association loi de 1901 (ce qui équivaut à une ASBL en Belgique), elle est une société de droit français avec des employés sous contrat de droit français. L’intervention des pouvoirs publics apparaît sous la forme d’une subvention annuelle donnée par le service de la Promotion des lettres et par la mise à disposition des locaux par le Centre.

Quelles sont les missions de l’association ?
La diffusion des auteurs et des éditeurs belges de langue française par le biais de la Librairie, des salons, mais aussi par celui du site internet et la mise en route d’un comptoir de ventes avec Espace Livres & Création. Cette dernière mission répond à l’attente de petits éditeurs et de presses universitaires pour trouver une solution administrative et logistique à la distribution en France.

Comment les choix de livres sont-ils faits ?
Avant tout, on cherche à avoir un fonds exhaustif. Si on vend un livre des années antérieures, s’il est toujours disponible, on le recommande. On a deux contraintes : le manque de place et ne pouvoir mobiliser un capital trop important. Choisir un livre est une question de repérage, dès que l’on sait qu’un titre est belge, on l’achète. On veille à avoir la grande majorité des titres disponibles, ainsi que des titres devenus rares. On est là pour respecter la mission de service public qui nous a été donnée et à laquelle on tient beaucoup.

Qui est le public de la Librairie ?
Il est essentiellement « non belge ». Mais quand un Belge entre, notamment au moment des expositions, il est content de voir une librairie avec un tel assortiment belge. On est la seule librairie typiquement belge dans le monde. Même en Belgique il n’y en a pas... On a de nombreux fidèles, qui savent qu’ils vont trouver des livres comme ceux du Daily-Bul, de Marcel Mariën, ou des éditions Didier Devillez, ce qu’on pourrait appeler globalement le surréalisme belge. D’autres viennent parce qu’ils savent qu’il y a une exposition au Bozar ou au Wiels, qu’ils vont trouver le catalogue. On a aussi des clients très réguliers pour Henri Vernes, Bob Morane. Puis, il y a le public des curieux, que je ne peux spécifier.

Quels sont les livres les plus vendus en 2015 ?
Si j’exclus les livres vendus lors des soirées et des événements organisés par le Centre,Vivre (Un poème pour) de Benoît Jacques est le best-seller de l’année. Il l’est depuis qu’il a paru, voilà trois ans.
On est dans une librairie très particulière, une librairie où on vend surtout du fonds. Ni la rentrée littéraire ni les prix, même le Rossel, ne boostent les ventes. Le Temps des Cités - Donation François Schuiten, édité par la Fondation Roi Baudoin, est un des autres livres que l’on a bien vendus. On était les seuls à le proposer en France. Parmi les autres succès, il y a Comment devenir belge ou le rester si vous l’êtes déjà, Bruxelles. Ceci n'est pas une ville de François Janne d'Othée, le livre de Stéphane Lambert sur Mark Rothko.
Si je prends maintenant les livres liés à des événements du Centre ou à des soirées littéraires, nos meilleures ventes sont le catalogue L’âge d’or de la bande dessinée belge paru aux Impressions nouvelles et Amour perdu de William Cliff.

Metadata

Auteurs
Michel Zumkir
Sujet
Le Centre et la librairie Wallonie-Bruxelles à Paris
Genre
Interview
Langue
Français