Dans l’intimité de la bibliothèque de Joseph Ndwaniye
Rony Demaeseneer, Joseph Ndwaniye
Texte
À l’occasion de la réédition, dans la collection patrimoniale Espace Nord, de son premier roman, La promesse faite à ma sœur XX, Le Carnet s’est invité dans l’intimité de la bibliothèque personnelle de Joseph Ndwaniye. Oscillant entre roman, science et conte, son univers s’étoffe, patiemment, doucement au fil des publications et au contact des lectures qui l’ont façonné. Avec son nouveau roman, Plus fort que la hyène, publié en 2018, l’auteur mêle adroitement les genres qui font la singularité de son écriture. Le tempo lent de la narration, une humanité dans le ton ainsi que la récurrence de certains thèmes assurent, à cette œuvre en pleine maturation, une haute cohérence littéraire. À insérer sans hésiter sur les rayonnages de nos propres bibliothèques…
*
Rony Demaeseneer: Lorsque tu découvres la beauté et la richesse de la langue française au Rwanda, tu as ce désir d’apprendre, de lire. Même s’il y avait peu de livres à ta disposition, quels sont tes premiers souvenirs de lecteur? Quels sont les premiers auteurs qui vont te marquer?
Joseph Ndwaniye: Dans un premier temps, mon intérêt, mon désir était de parler le français et non pas spécialement de le lire. Je n’avais ni livre de français à la maison ni la possibilité d’aller à la bibliothèque les mercredis après-midi à la sortie de l’école. Parce que tout simplement il n’existait aucune bibliothèque dans ma région.
Ces premiers souvenirs de lecture sont-ils marqués par un grain de papier particulier, une illustration, une couverture?
Oui, la coupe de cheveux en brosse de Bob Morane! C’est vers la fin des années septante, au moment de quitter mon village pour poursuivre mes études à Kigali, que j’ai commencé à fréquenter le centre culturel français où j’avais dès lors accès aux livres. Je me souviens très bien des couvertures des livres d’Henri Vernes qui m’avaient frappé à l’époque. Déjà un lien avec la Belgique en quelque sorte.
Lorsque tu débarques en Belgique justement, au milieu des années 1980, pour poursuivre tes études scientifiques, continues-tu à lire, fréquentes-tu les bibliothèques, les librairies, les bouquinistes?
C’est à ce moment que je découvre l’abondance des livres. Mais également, je prends conscience de la dureté, de la difficulté de la vie en Europe lorsqu’on se trouve dans une situation précaire, sans bourse d’études et qu’on doit en même temps poursuivre ses études pour rentrer au pays plus tard avec un beau diplôme. À cette époque (fin des années 1980), la littérature n’est pas vraiment à l’ordre du jour. Entre les cours et les jobs d’étudiants, j’ai de quoi occuper mon temps avec les syllabus que je dois ingurgiter pour achever mon cursus d’infirmier et de laborantin.
Tu as parlé, à plusieurs reprises, de la représentation que tu te faisais du monde littéraire. Tu es aujourd’hui toi-même l’auteur de trois livres. Quel est ton regard actuel sur cet univers dont tu fais à présent partie?
Ce qui a changé dans mon regard par rapport à l’image que j’avais des écrivains (des gens avec une cigarette dans une main et un verre d’alcool dans une autre pendant les émissions de télévision), c’est que finalement tout le monde qui en a l’envie ou la passion, ou les deux, peut s’essayer à l’écriture tout en étant quelqu’un de « normal », ayant, à côté, une vie professionnelle. Il n’empêche que je mes sens encore un peu en marge du métier d’écrivain. En effet beaucoup de mes amis auteurs, bien que n’étant pas tous des écrivains à temps plein, ont des métiers très proches de la littérature (professeurs de français, comédiens, conférenciers…). Souvent quand je me présente aux gens, ils ne retiennent de moi que le métier d’infirmier et non celui d’écrivain. Je leur donne un peu raison même si je m’assume aujourd’hui en tant qu’auteur aussi. Cela dit, le métier de soignant est une grande source d’inspiration pour moi. Je trouve que la souffrance nous nourrit plus que les moments de joie. Elle nous permet de nous rendre compte à tout instant de notre fragilité, de notre fugacité et donc aussi de notre sensibilité en tant qu’êtres humains. C’est d’ailleurs un des thèmes qui revient régulièrement dans mes textes, ce rapport que mes personnages entretiennent avec les esprits des défunts.
Dans ton premier roman que l’on réédite actuellement dans la collection Espace Nord, tu cites, à la fin de l’ouvrage, quelques noms d’auteurs que Jean, le personnage principal lit notamment dans le métro, Amélie Nothomb ou Muriel Barbery. Est-ce une manière pour toi de faire un clin d’œil à des auteurs que tu as lus, découvert en Belgique?
En fait, si je l’ai écrit, c’est que je lisais vraiment ces auteurs à ce moment-là. Je ne me rappelle plus exactement. Mais Amélie Nothomb fait partie des auteurs que j’ai découverts depuis son premier roman Hygiène de l’assassin publié en 1992; et je continue à la lire chaque fois qu’elle sort un nouveau livre, c’est-à-dire chaque année. Elle reste à beaucoup de points de vue une femme assez énigmatique.
*
Pour en venir à ta bibliothèque physique, que peut-on y trouver ? Les romans ou les essais voisinent-ils avec des ouvrages plus scientifiques? Peux-tu nous citer quelques auteurs, quelques titres qui occupent une place particulière sur les rayonnages de ta bibliothèque?
Dans ma bibliothèque on trouve bien sûr des livres scientifiques en relation avec mon métier, avec le milieu médical, mais surtout des romans, quelques essais et un peu de poésie et des recueils de nouvelles. Depuis quelque temps je m’intéresse aussi à la littérature pour la jeunesse. Mes goûts en matière de lecture sont éclectiques. Je lis des auteurs du monde entier en tête desquels on trouve Gabriel Garcia Marquez dont je n’hésite pas à relire les livres. Je reste attentif à ce que publient les auteurs africains mais aussi européens et américains. Je pense à Maylis de Kerangal et son livre Réparer les vivants, Mabanckou, Cortázar, mon ami Sami Tchak et ses Filles de Mexico ou encore Ananda Devi, etc.
Ton dernier ouvrage paru en 2018, Plus fort que la hyène, est un livre qui oscille entre la fiction et l’aspect scientifique puisqu’il s’agit de contextualiser et d’expliquer la maladie (ici la drépanocytose) à des enfants sous forme de conte poétique. L’ouvrage est illustré par Anne-Marie Carthé. Comment s’est faite cette rencontre avec l’illustratrice et comment avez-vous travaillé?
La genèse de ce livre remonte à quelques années déjà et fait partie d’un certain nombre de textes qui me sont inspirés par mon quotidien dans l’unité hospitalière au sein de laquelle je travaille, celle des greffes de moelle et de cellules souches. Il a fallu que je me décide, après une longue réflexion, à en faire un récit pour la jeunesse et non un roman ou autre type de texte.
Après avoir pris la décision d’écrire pour un public jeune, ce que je n’avais jamais fait auparavant, il m’a fallu chercher un éditeur. La rencontre avec Anne-Marie Carthé qui a illustré le livre s’est faite par l’intermédiaire de mon éditrice Sylvie Darreau des éditions La Cheminante, qui a accepté de publier Plus fort que la hyène avec le soutien de la Fondation Saint Luc.
Anne-Marie Carthé est une artiste d’une grande sensibilité et dotée de multiples talents. Je ne l’ai pas rencontrée physiquement, mais aujourd’hui avec internet, on peut facilement travailler en collaboration et à distance.
De manière générale, dans les librairies, es-tu attiré par une illustration de couverture, une photo, un ouvrage illustré?
L’image d’une couverture peut attirer mon regard en effet. Mais c’est surtout le titre, donc le thème du livre qui me séduit et qui m’oriente vers la quatrième de couverture. Bien sûr aussi il y a des articles dans les journaux ou sur internet, des émissions radio ou télévisées. C’est ainsi par exemple que j’ai découvert Underground railroad, un magnifique roman de Colson Whitehead, un auteur américain né à la fin des années 1960 et qui parle de l’esclavage des Noirs aux États-Unis.
Par rapport à ta pratique de lecture, t’arrive-t-il d’annoter tes livres, de corner les pages?
Oui, il m’arrive de corner les pages d’un livre qui m’a passionné. C’est en général à la deuxième lecture lorsque j’éprouve un intérêt particulier d’explorer plus en profondeur le sujet.
Entre ton travail d’infirmier en milieu hospitalier, la famille et l’écriture, te reste-t-il du temps pour la lecture?
Effectivement mon travail à l’hôpital me prend beaucoup de temps. Et puis il y a la famille, les amis, etc. Entre les deux j’essaye de trouver du temps pour écrire. Je profite de mes jours de récupération après mes gardes à l’hôpital. J’essaye aussi de mettre à profit les trajets entre mon domicile et l’hôpital pour lire ou écrire.
Pour finir, quel est le livre que tu ne prêterais jamais? Soit parce que tu y es sentimentalement attaché, soit parce que c’est un livre qui te tombe des mains.
Je garde un peu jalousement un exemplaire de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez et Les frères Karamazov de Dostoïevski auxquels je suis très attaché. De nombreuses pages sont cornées justement. Ces exemplaires sont aussi truffés d’innombrables post-it, de signets de différentes couleurs qui me permettent de retrouver un passage, un extrait rapidement. Deux livres vers lesquels je reviens régulièrement.
© Rony Demaeseneer, Joseph Ndwaniye, revue Le Carnet et les instants 201, 2019
Note
1. La promesse faite à ma sœur, postface de Rony Demaeseneer, Bruxelles, FWB, coll. «Espace Nord» n°371, 236 p.
La postface est augmentée d’un entretien inédit avec l’auteur réalisé à Bruxelles en août 2018 dans lequel il revient, entre autres, sur la genèse de ce premier roman ainsi que sur son rapport à l’écriture.
Notes
- La promesse faite à ma sœur, postface de Rony Demaeseneer, Bruxelles, FWB, coll. « Espace Nord » n°371, 236 p. La postface est augmentée d’un entretien inédit avec l’auteur réalisé à Bruxelles en août 2018 dans lequel il revient, entre autres, sur la genèse de ce premier roman ainsi que sur son rapport à l’écriture.