© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Édito. Le livre du futur

Nausicaa Dewez

Texte

L’édition 2019 de la Foire du livre de Bruxelles a mis à l’honneur le thème « Nos futurs ». Jouant avec la devise punk, cette thématique ramasse en une seule formule l’absence d’horizon de son modèle et en même temps un regard ouvert, curieux sinon optimiste vers l’avenir, ou les multiples avenirs possibles et à inventer. Sujet d’une actualité brûlante à l’heure où les marches pour le climat se multiplient, où chaque jeudi voit revenir dans la rue les jeunes Belges clamant leur inquiétude face à une planète déglinguée et réclamant une politique environnementale digne de ce nom.

Bien qu’initié par d’autres, le combat pour un monde durable percole aussi, évidemment, dans le monde du livre. On se souvient ainsi qu’Adeline Dieudonné a fait de son discours de réception du prix Rossel une tribune contre les orientations néolibérales et anti-écologiques actuelles, dans la droite ligne de son seule-en-scène Bonobo Moussaka (Lamiroy).

Trois chercheurs, Gauthier Chapelle, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, auteurs et propagateurs du terme et du concept de « collapsologie » proposent d’apprendre à « vivre l’effondrement » XX. Mais la question écologique a désormais dépassé le champ de l’essai pour devenir un matériau de fiction.

Dans sa nouvelle Oasis XX, Katia Lanero Zamora imaginait, dans un futur plus ou moins proche, les Européens en réfugiés climatiques au cœur d’une Afrique réticente à leur délivrer des titres de séjour. Une problématique qui hante aussi des auteurs a priori éloignés de la littérature d’anticipation comme, entre autres, Jean Claude Bologne (L’âme du corbeau blanc, Maelström, 2019), Emmanuelle Pirotte (De profundis, Cherche midi, 2017) ou Antoine Wauters (Moi, Marthe et les autres, Verdier, 2018) : les trois romanciers ont placé leurs personnages dans un univers post-apocalyptique, où survivre devient la préoccupation de chaque instant.


Si la catastrophe écologique, désormais considérée comme un horizon probable, fait couler l’encre des chercheurs qui la théorisent et des romanciers qui l’imaginent, la question environnementale concerne aussi le livre dans sa matérialité même. À l’heure des déforestations sauvages, un objet entièrement fait de papier attire forcément la suspicion. Et l’habitude de certaines maisons d’édition, certes minoritaires, d’imprimer en Europe de l’Est ou même en Asie pour ensuite acheminer les livres par camion ne donne pas du secteur une image très vert(ueus)e. La dématérialisation n’est pas une alternative crédible : des études ont montré que si un livre numérique pollue effectivement moins qu’un livre papier, l’empreinte carbone laissée par la fabrication d’une liseuse est à ce point énorme qu’elle ne serait compensée que dans le cas des très gros lecteurs XX.

Le tableau n’est pourtant pas si noir : nombre d’éditeurs sont sensibles aux questions environnementales et travaillent avec des papiers et des encres éco-friendly, impriment dans des entreprises locales, tandis que se multiplient les initiatives visant à prolonger la vie des livres déjà lus, par l’échange ou le don. Créant au passage de nouveaux espaces de sociabilité. Et inventant déjà, un peu, le livre du futur.


© Nausicaa Dewez, revue Le Carnet et les instants 202, 2e trimestre 2019



Notes

  1. Pablo SERVIGNE, Raphaël STEVENS, Gauthier CHAPELLE, Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), Seuil, coll. « Anthropocène », 2018.
  2. Disponible en téléchargement sur le site de la Fureur de lire : http://www.fureurdelire.cfwb.be/
  3. Cf. « Le livre papier, plus écolo que le livre numérique ? », dans RSE Magazine, 03/02/2018. Disponible en ligne : https://www.rse-magazine.com/Le-livre-papier-plus-ecolo-que-le-livre-numerique_a2582.html

Metadata

Auteurs
Nausicaa Dewez
Sujet
Futur du livre. Autrices auteurs engagés. Foire livre Bruxelles 2019 thématique Nos futurs.
Genre
Editorial
Langue
Français
Relation
Revue Le Carnet et les instants n° 202 - 2e trimestre 2019
Droits
© Nausicaa Dewez, Le Carnet et les instants 202, 2e trimestre 2019