Namur, l’enquête littéraire (… et petite flânerie littérante à Dinant)
Guy Delhasse
Texte
Dada de Stanislas Georges? Les enquêtes! Il fouine dans les librairies, piste des villes dans ses lectures puis publie les résultats dans de minces carnets. Après Charleroi et Mons, c'est Namur qui a fait l'objet de sa dernière filature. Un vent favorable nous permet d'en dévoiler quelques éléments.
La gare
Stanislas est descendu d'un train gris. Place de la Station, la fière façade « belle Époque » de l'hôtel de Flandre a été dévoilée par Michaël Lambert dans son Femmes de Rops (Murmure des soirs, 2016) et par Hervé Bazin dans Le démon de minuit (Grasset, 1984), l'auteur de Vipère au poing ayant séjourné deux ans à Jambes.
La grande question qui doit secouer immanquablement les foules est limpide ...Quel est le premier roman qui installe Namur dans ses pages?
La réponse est âgée de 185 ans: Voyages et aventures de M. Alfred Nicolas (Leroux, 1835), deux volumes signés « Justin », pseudo de François-Joseph Grandgagnage d'ailleurs né à Namur... Son propos est de faire cheminer deux bonhommes fantasques qui passent à pied à Namur, le long de la Meuse.
Plus loin dans le siècle, dans son Ulenspiegel (Lacroix, 1867), Charles de Coster fera lui aussi passer ses deux gaillards par Namur à pied... Logique mosane: la mère de Coster était de Huy!
Victor Hugo est arrivé à Namur en diligence en 1840. Une ville «sans architecture, sans monument», écrit-il dans Le Rhin (Hetzel, 1842). Chateaubriand évoque les Namuroises qui le soignent dans ses Mémoires d'Outre-Tombe (1848).
Mais il faudra attendre le début des années trente pour trouver son nom dans un titre de roman, Namur la gaillarde (Éditions de Belgique, 1933) signé Maurice des Ombiaux.
Stanislas est perplexe: et Namur dans les romans d'aujourd'hui?
Sous une ancienne aile de la vieille gare se blottit le bureau du tourisme. Le détective pousse la porte vitrée pour bien commencer son enquête. Il demande:
- Y aurait-il des traces d'écrivains à Namur?
Regard en coin de la préposée. Question lunaire sans nul doute. Tout sourire:
- Hum, non pas vraiment. Il y a les chaises de Henri Michaux, François Bovesse, la Maison de la poésie, le musée Rops...
- Catherine Barreau, le prix Rossel 2020?
Inconnue. Quelqu'un sait-il ici à Namur que La Confiture de morts (Weyrich, 2020) propose de solides paragraphes posés au pied de la citadelle? Il va falloir explorer...
À pied vers Aubain
Saint-Aubain... une aubaine pour les romanciers? L'édifice un brin vieillot est mis en évidence dans D'or et de sable (Jourdan, 2008), roman de l'historien namurois Marc Ronvaux, dans Sale temps pour le gardien des morts (Dricot, 2017) de Pascal Riguelle, dans Vade retro, Félicien! (Weyrich, 2019), un polar signé Francis Groff et dans Le trésor d'Hugo Doigny (Pire, 2015) signé Eva Kavian, qui cite même la librairie du coin, Point-Virgule.
Et François Bovesse, l'homme politique qui a donné son nom à l'athénée de la rue du Collège? Stanislas Georges a retrouvé une série de ses nouvelles publiées sous le titre Histoires d'un autre temps (Labor, 1940), portrait d'un certain «Zante» qui prend l'apéro au «Ratintot», fait son voyage de noce le long de la Sambre... L'athénée dont le portail est décrit dans Vade retro, Félicien! sert de lieu de départ de ce polar planté en plein centre-ville.
Saint-Loup et Rops: vedettes littéraires
Au bout de la rue, la vieille baraque érigée par les Jésuites est dédiée à Saint-Loup. Elle reste marquée par la visite de Baudelaire flanqué de son ami Félicien Rops et de son éditeur Auguste Poulet-Malassis. Le 18 mars 1866, Baudelaire titube et tombe sur le parvis. Quel bonheur pour le Namur littéraire! Baudelaire en personne ici!
La scène se retrouve dans Les derniers jours de Charles Baudelaire (Grasset, 1988) de Bernard-Henry Lévy, dans Des injures et des prières (IPW, 2011), une nouvelle de Stéphane Lambert, dans Le grand cerf (Weyrich, 2016) de Nicolas Marchal, dans Femmes de Rops de Michaël Lambert et tout récemment dans les premières pages du terrible Crénom, Baudelaire! (Mialet-Barrault, 2020) de Jean Teulé.
Crénom Namur! Saint-Loup prise au piège... elle devrait figurer sur un plan consacré aux fictions qui s'y déroulent!
Songeur, déterminé reste le détective qui se promet de le suggérer à l'échevin concerné.
Ah, les chaises «Michaux», place du Québec, brillent sous le soleil de l'été...
Sambre et Meuse
La Sambre se cambre contre ses quais ; le détective est passé par une calme Rue des Brasseurs (Denis Riguelle, Weyrich, 2017) ; le quartier est une rencontre entre les pavés du présent et les moellons du passé que Marc Ronvaux reconstitue dans Les héritiers du Lion, Les trois rois...
Belle citadelle veille en robe de terre et de pierre. Stanislas Georges voudrait la prendre dans ses bras tellement elle semble ouvrir les siens. Elle est place forte à la Vauban dans Le passé superposé (Citadelle, 2018) signé Jean-Pierre de Hortius, elle est lieu d'histoires souterraines, de Verdur'rock dans Le trésor d'Hugo Doigny.
Et le quartier du pied des remparts?
La rue Notre-Dame est présente dans le Flaubert (Lettres du Monde, 2011) de Mireille Maquoi, dans La Disparition de l'échasse d'or (Éditions namuroises, 2018), roman construit pour perpétuer le folklore local et dans La Confiture de morts...
Stanislas Georges tressaille de bonheur: ce roman de Catherine Barreau s'est ouvert sans complexe régional à une évocation précise de la ville. Une Rosselle demoiselle qui raconte ses tendres années dans une maison modeste au bout du chemin des Bordiaux lequel est arrêté par les premiers remparts.
Les promoteurs ne viennent pas ici, le quartier est sombre mais désormais délicieux à visiter. Namur valorisée par un roman de prix, un roman fort! Stanislas Georges se dit: pourquoi la préposée du tourisme ne guide-t-elle pas les visiteurs vers ces recoins grâce à ce roman? Il est vrai qu'en chatouillant les pieds pierreux de la citadelle, le détective n'a trouvé aucun chemin dit «des Bordiaux». L'autrice pourra-t-elle nous en dire davantage?
Namur noir?
Du polar à Namur? La ville semble si dormante, sans maux, sans crime. Stanislas Georges a fouillé les librairies qui exposent ce «mauvais genre». Il a trouvé Namur dans le Quartier de la vengeance (Livre de poche, 2009) signé Pieter Aspe quand deux personnages y passent une nuit. Dans Hôtel du grand cerf (Seuil, 2017), Franz Bartelt en fait une ville de passage. Maigret y est passé en train sans y rester, tandis que Francis Coplan dans une aventure signée «Paul Kenny», Guet-apens pour FX-18 (Fleuve Noir, 1966), traverse la ville à bord de sa DS.
Et les romanciers d'aujourd'hui? Ils sont présents dans le noir, comme on l'a vu ici et là.
Patricia Hespel, Frédéric Ernotte, Eric Istat et son commissaire Laffineur, François-Xavier Heynen et son inspecteur Huquet... Namur, ville noire, de passage, comme dans le De profundis (Cherche-midi, 2016) d'Emmanuelle Pirotte.
Stanislas Georges sait que les débuts de la Première guerre mondiale ont été des «prétextes fictionnels» ; c'est-à-dire que la bataille des forts n'a pas échappé à la littérature héroïque. Ici, la bataille a été si brève qu'elle transforme Namur en ville de combats de retrait dans les romans.
Les citations sont rapides dans Pendant la Grande Guerre (Bonne Presse, 1916) du Français Paul Deschamps, dans Les ceinturonnés de la 88ème (Dewit, 1920) d'André Hoornaert, dans Les voleurs de gloire (Albin Michel, 1931) de Maurice Fronville, dans La rafale (Édition de Belgique, 1933) signé Jean Tousseul, quatrième tome de la saga Jean Clarembaux.
Dans le roman très montois d'Alexandre Millon, 37 rue de Nimy (Murmure des soirs, 2019) des obusiers Skoda et la Grosse Bertha écrasent la ville et tuent la jeune Florine, l'amour de Léon Losseaux...
Le roman de Pascal Riguelle et Étincelles d'Éric Causin, (Genèse, prix Saga 2020) ramènent au présent la mémoire de l'héroïque résistance des forts de la ceinture namuroise.
*
Dinant en flânant
À Profondeville, le détective s'est rappelé le titre d'un polar jauni, La mystérieuse affaire de Profondeville (Pax, 1934) signé Ghisles & Marc, alias Désiré Grevesse, un obscur rexiste, ainsi que les descriptions émouvantes signées Camille Lemonnier dans son Thérèse Monique (Espace Nord).
À Dinant, il dînera après avoir flâné dans les rues de la jolie cité mosane et découvert ses richesses littéraires.
Les nouvelles signées Aurélien Dony, Le Cœur en Lesse (MEO, 2018) seront ses premières nourritures puisqu'elles abordent des figures comme Sax ou de Gaulle et même des inquiétudes pour l'avenir.
Deux nouvelles de Jean-Marc Rigaux dans L'Armistice se lève à l'Est (Murmure des soirs, 2018) seront de belles visites de la Première Guerre mondiale ; elles devraient rejoindre les évocations du même drame dans Fille de Meuse (éditions de Belgique, 1933) de Maurice des Ombiaux.
Stanislas pousse la porte de chez DLivre , librairie indépendante de la rue Grande. Il déniche un thriller, Dinant 2024, signé David Chibane, auteur local. Une piste à suivre. Assis sur un banc de la calme Croisette, le détective regarde les vaguelettes qui grattent sa peau mosane.
© Guy Delhasse, revue Le Carnet et les instants n°207, 2e trimestre 2021