Jean-Luc Outers: «La collection Espace Nord est devenue une marque»
Laurent Moosen, Laurent Moosen, Jean-Luc Outers
Texte
Jean-Luc Outers dirigeait la Promotion des Lettres lors du rachat de la collection Espace Nord par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Une opération qu’il a donc suivie au plus près et qu’il évoque pour ce numéro spécial.
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Quel est votre premier souvenir de la collection Espace Nord?
En fait, je ne l’ai réellement découverte qu’en 1990, à mon arrivée à la tête du Service de la Promotion des Lettres.
Je trouvais que c’était une initiative intéressante et bien menée.
Elle comblait un véritable vide au regard des nombreuses œuvres d’auteurs belges francophone devenues indisponibles. C’est ce que mon prédécesseur, Marc Quaghebeur, avait constaté en voulant identifier notre littérature, la singulariser par rapport à la littérature française. Le monde scolaire et les professeurs de français étaient particulièrement visés pour les familiariser avec cette littérature et pour qu’ils puissent l’enseigner.
En ce qui me concerne, comme je venais plutôt du monde du cinéma, je n’étais pas du tout préparé à diriger ce service. J’avais une connaissance très partielle de la littérature belge. Je connaissais quelques grands noms comme Maeterlinck ou Simenon mais je les avais à peine lus. Je me suis donc mis à lire l’intégralité du catalogue de la collection qui comportait alors une petite centaine de titres.
Comme directeur du Service de la Promotion des Lettres,
quelle était votre vision du rôle de cette collection?
Je la voyais comme un fanion ou un étendard.
Par exemple, j’ai un jour été contacté par une université indienne, la Fondation Nehru à Delhi, qui venait d’ouvrir un département consacré aux littératures francophones mais qui n’avait aucun titre de notre littérature dans sa bibliothèque. Dans ces circonstances, on a envoyé une collection Espace Nord complète constituée de deux cents titres environ. Les enseignants de ce département nous ont écrit quelques semaines plus tard pour nous remercier, très enthousiastes. Mais comme ils n’avaient alors aucune connaissance de cette littérature, ils m’ont invité là-bas pour y donner un séminaire.
En 2011, Wallonie-Bruxelles International y a créé un poste de lecteur. Voilà le rôle que peut jouer cette collection: servir d’amorce, en particulier à l’étranger, pour faire découvrir la littérature belge francophone.
Après plusieurs changements d’éditeurs, la Fédération Wallonie-Bruxelles
a fait l’acquisition de la collection Espace Nord en 2010.
Dans quelles circonstances cet achat est-il intervenu?
Lorsque le groupe RTL, qui avait racheté la collection en même temps que les autres activités éditoriales de Luc Pire, l’a revendue à Renaissance du livre dirigée par Alain Van Gelderen, j’ai considéré que tous ces soubresauts la mettaient en péril.
Or son seul élément de stabilité, c’était finalement la subvention que la Communauté française versait chaque année à l’éditeur qui la commercialisait.
En rencontrant Alain Van Gelderen, j’ai rapidement compris que ce dernier avait des ambitions éditoriales, notamment dans le domaine des livres pratiques ou touristiques, mais que cette collection n’en faisait pas partie.
Il y avait donc un risque qu’elle soit à nouveau revendue ou dispersée. Nous lui avons alors proposé de la racheter pour un montant un peu supérieur à la subvention que nous versions chaque année.
La Ministre de la Culture de l’époque, Fadila Laanan, a marqué son accord sur ce projet et nous sommes donc devenus propriétaires d’Espace Nord.
Pour en assurer la gestion, nous avons lancé un marché public auquel une dizaine d’éditeurs ont répondu.
Sur la base des offres reçues, nous avons désigné Les Impressions Nouvelles pour réaliser cette mission. La collection est donc devenue une marque et le restera, quel que soit l’éditeur qui, à l’avenir, s’en occuperait pour le compte de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Son intégrité est donc désormais garantie, avec un cahier des charges précis.
Comment faire vivre commercialement une collection
qui comporte de nombreux titres patrimoniaux et en sachant que,
très souvent, lorsqu’une œuvre a un potentiel commercial avéré,
elle existe déjà en poche?
L’ouverture aux auteurs contemporains est importante. Personnellement, je regrette évidemment que des auteurs comme Jean-Philippe Toussaint ou François Weyergans ne soient pas disponibles en Espace Nord. Les exigences financières pour la cession de droits sont parfois trop importantes.
Il faut dire aussi que certains auteurs ne voulaient pas rejoindre Espace Nord, pour différentes raisons. C’était le cas de William Cliff, mais on peut désormais trouver une remarquable anthologie qui lui est consacrée dans la collection. L’anthologie est une solution originale pour accueillir un auteur dont les œuvres sont disponibles ailleurs, en poche ou non.
Quels sont, d’après vous, les défis futurs de la collection Espace Nord,
après ces quarante premières années?
Avant tout la diffusion. Actuellement, c’est Harmonia Mundi qui s’en charge, via Les Impressions Nouvelles.
C’est une structure très professionnelle mais il me semble qu’il faudrait réaliser un travail beaucoup plus soutenu auprès des librairies, en Belgique comme en France, pour que la collection y soit plus visible et reconnue.
Et quels sont les trois titres de la collection Espace Nord
que vous conseilleriez à un lecteur qui la découvrirait?
Olivia de Madeleine Ley. C’est un livre qui est très fort, avec une écriture remarquable et une émotion intacte.
Ensuite, Le Trésor des humbles de Maeterlinck. Il y a une fluidité dans cette langue, un rapport au silence qui sont marquants.
Et plutôt qu’un troisième titre, je reviens aux anthologies, notamment celles consacrées à Guy Goffette ou à Carl Norac qui sont très réussies et qui constituent une excellente approche pour aborder un auteur.
© Laurent Moosen, Jean-Luc Outers, revue Le Carnet et les instants n° 216, juillet 2023
Livres cités
William Cliff Immortel et périssable, anthologie Espace Nord n°378
Guy Goffette, L’oiseau de craie, anthologie établie par Rossano Rosi, Espace Nord n°401
Madeleine Ley, Olivia, Espace Nord n°32
Maurice Maeterlinck, Le Trésor des humbles, Espace Nord n°30
Carl Norac, Piéton du monde, anthologie établie par Jean-Luc Outers et Gérald Purnelle, Espace Nord n°391