© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Saint-Germain ou la négociation (1958) de Francis Walder

Rony Demaeseneer

Texte

Qui se souvient du Prix Goncourt 1958 ? [1] Pas grand monde, certainement ! 
Pourtant, c’est bien une plume de chez nous qui l’emporte cette année-là, second lauréat belge, depuis la création du prix, après Charles Plisnier en 1937 pour son livre Faux Passeports.

Une année 1958 d’ailleurs riche pour la Belgique qui empoche également le Prix Femina avec L’Empire céleste de Françoise Mallet-Joris. Battant au dernier tour un habitué du monde littéraire en la personne de Robert Sabatier, Francis Walder (1906-1997) est un parfait inconnu. Né à Bruxelles en 1906, ancien soldat et diplomate, l’auteur, de son vrai nom Waldburger, participera aux dialogues diplomatiques dans les années qui suivent la seconde guerre mondiale. C’est sur cette expérience que se noue l’intrigue de son ouvrage Saint-Germain ou la négociation.

Nous sommes en 1570 dans le contexte des guerres de religion qui opposent catholiques et protestants. Le livre raconte à la première personne, du point de vue du négociateur catholique, les circonvolutions dont il use pour convaincre son interlocuteur huguenot et qui doivent aboutir à la signature du traité de paix de Saint-Germain-en-Laye.

Tout le roman repose sur cette négociation, sur ce dialogue qui se tisse selon les trames d’un ouvrage de «dentelle diplomatique». De concessions en tractations, de cachotteries en perfidies, la paix sera bel et bien signée, mais de courte durée puisqu’éclatera, deux ans plus tard, la funeste nuit de la Saint-Barthélémy.

Si la critique de l’époque est très loin d’encenser le roman, jugé par certains d’»un mortel ennui», le livre mérite néanmoins le détour! N’oublions pas déjà que Jean Paulhan en personne, le «pape» des Lettres de l’époque, l’a en quelque sorte adoubé puisqu’il décide de l’éditer chez Gallimard, même s’il est vrai qu’il ne le publie qu’à très faible tirage. La première raison de ce demi-désaveu et de cette réception acerbe tient sans doute dans le fait que le livre est difficilement identifiable. S’agit-il d’un roman historique, d’un essai romancé? Un dialogue dramatique, voire un recueil d’aphorismes? L’auteur lui-même, paradoxalement peu disert et mal à l’aise en public, ne parvient pas à classer le livre se contentant d’un: «C’est un roman tout de même!»



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Il n’en reste pas moins que le livre parvient à décortiquer, avec minutie et subtilité, tous les ressorts d’une joute verbale épique entre les deux protagonistes. Dans ce registre, il est difficile de ne pas penser au dialogue mémorable imaginé par Jean-Claude Brisville, entre Fouché et Talleyrand en 1815, dans Le Souper paru chez Actes Sud en 1989. S’apparentant à cette littérature de la «négociation» ou de»dialogue», le roman déploie par ailleurs une réelle maîtrise de la langue où l’on se plaît à pointer la pureté des subjonctifs et l’efficacité de la concordance des temps.

Ce qui n’est pas sans rappeler le succès, à l’époque, de nos distingués grammairiens. Moment d’apogée pour Le Bon usage de Grevisse notamment (6e édition en 1958) dont André Gide disait qu’il s’agissait assurément de la meilleure grammaire de langue française.

Le roman ne sera pas une grande réussite en termes de vente d’exemplaires en comparaison d’autres ouvrages primés. Il sera toutefois adapté pour la télévision en 2003 par Gérard Corbiau avec, dans les rôles principaux, Jean Rochefort, Rufus et Marie-Christine Barrault incarnant Catherine de Médicis.



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La suite de la carrière de l’auteur verra la publication de quatre autres livres dont Une lettre de Voiture publié en 1962 chez Gallimard et dans lequel il retrace, de manière romanesque, le destin du poète et courtisan du 17e siècle Vincent Voiture. La langue de Walder exploite un charme désuet qui colle parfaitement au sujet. Proche du plaisir de l’esprit, l’expression de Walder se veut avant tout élégante, soignée, très classique en somme, de cette «prose française classique à visée universelle» comme le souligne Marc Quaghebeur [2] à son propos. Une plongée dans l’art subtil de la négociation où le lecteur, tapi dans les coulisses, devient le témoin privilégié de cet art oratoire de l’ombre.

 

Extrait

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«Il est vain, conclut-elle en se levant, de fonder sa politique sur une intransigeance de fait. La rigueur doit viser les principes, non les mesures. Il faut que sous le signe d’un article de foi les citoyens puissent accomplir des actes qui l’enfreignent, pourvu que dans leur esprit l’article demeure. Tout est de souplesse et d’imprécision dans le métier de conduire les hommes. Les idées claires ne font pas le bonheur d’un peuple […]»
Ayant ainsi pris à son compte, par une récapitulation, ce que je venais de lui faire entendre en détail, elle me donna congé. Je me retirai, emportant comme chaque fois que je vins en présence de Catherine de Médicis, une admiration étonnée pour cette femme, qui eût fait un excellent diplomate si elle n’eût été un grand chef d’État. 

»

 

 

© Rony Demaeseneer, revue Le Carnet et les instants 219, avril 2024, Bruxelles


Notes

1. Quelques éléments de cet article proviennent de Jean-Yves LE NAOUR et Catherine VALENTI, 120 ans de Prix Goncourt: une histoire littéraire française, Perrin, 2023.

2. Marc QUAGHEBEUR, Histoire, forme et sens en littérature, la Belgique francophone, tome 3: l’évitement (1945-1970), Peter Lang, 2022, p. 39.






Metadata

Auteurs
Rony Demaeseneer
Sujet
Francis Walder Prix Goncourt 1958. Roman Saint-Germain ou la négociation
Genre
Chronique littéraire
Langue
Français
Relation
revue Le Carnet et les instants 219, avril 2024, Bruxelles
Droits
© Rony Demaeseneer, revue Le Carnet et les instants 219, avril 2024, Bruxelles