© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Agente littéraire belge francophone

Michel Torrekens
,
Stéphane Levens
,
Isabelle Bary

Texte

Dans un monde qui se complexifie, les agent.e.s servent de facilitatrices et facilitateurs. (On connaît ceux qui agissent dans le football auprès des joueurs au moment du Mercato). On a découvert ceux du cinéma dans la série télé Dix Pourcents. Fréquents en littérature anglophone, ils sont apparus récemment en France et en Belgique francophone. Rencontre avec l'agente littéraire Stéphane Levens et entretien avec l'autrice Isabelle Bary qui lèvent le voile pour nous sur cette activité nouvelle dans la chaîne du livre francophone.



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Le Carnet et les Instants: Comment êtes-vous devenue agente littéraire?




Je n’aime pas le terme agent car il a été galvaudé par le cinéma. Je me qualifie à la fois comme accompagnatrice, conseillère et facilitatrice pour les auteurs comme pour les éditeurs. Après vingt ans en tant qu’attachée de presse, je me suis lancée il y a cinq ans environ. L’aventure a commencé avec Adeline Dieudonné qui avait remporté le prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour une nouvelle.

Nous nous sommes rencontrées via nos filles et elle m’a montré ses nouvelles. Je les trouvais vraiment bien, mais la nouvelle est un genre compliqué à publier. Entretemps, j’avais rencontré Julia Pavlovitch, éditrice à L’Iconoclaste, qui était de passage à Bruxelles. Elle m’a demandé si je connaissais des auteurs intéressants. Je lui ai parlé des nouvelles d’Adeline, mais elle préférait un roman. Adeline Dieudonné venait de commencer La vraie vie, que j’ai soumis à l’éditrice. Celle-ci m’a ensuite incluse dans tout le processus, les corrections, les échanges, etc. C’était nouveau pour moi. Cela m’a apporté une bouffée d’air frais. D’habitude, comme attachée de presse, je défends des livres aboutis, à la réalisation desquels je n’ai pas été associée. Cette expérience m’a donné envie de découvrir d’autres textes, d’autant que j’ai perçu que les auteurs, belges en particulier, ont besoin d’être conseillés quand ils publient, en France surtout où le monde de l’édition compte beaucoup d’acteurs.

 

Quel est votre rôle auprès de l’écrivain.e?

 

Le principal de ma proposition est de leur trouver l’éditeur qui correspond le mieux à leur texte. Le succès d’Adeline Dieudonné n’aurait peut-être pas été le même dans une autre maison. Cela rend aussi service aux éditeurs qui reçoivent de plus en plus de manuscrits qui ne correspondent pas à leur ligne éditoriale. J’ai compris que je pouvais servir d’entonnoir. Je suis aussi là pour leur éviter les pièges. Je négocie l’à-valoir, le pourcentage, c’est important que les auteurs soient justement et dignement rémunérés, le tirage, la couverture, la quatrième de couverture, etc. Des auteurs n’osent pas formuler leurs demandes. Certains sont tellement contents de publier qu’ils signeraient n’importe quoi. J’ai encore vu récemment un contrat d’un éditeur québécois qui ne ressemblait à rien. Quand un auteur arrive avec un agent, l’éditeur va quand même être plus scrupuleux, plus attentif. L’auteur n’est plus seul. Je veille à ne pas compliquer les choses, je suis là quand il y a des messages à faire passer, pas toujours agréables. Il faut aussi négocier la promotion et la défense du livre, car c’est cruel pour un auteur de publier un livre si l’on n’en parle pas.

 

Est-ce que vous intervenez sur les manuscrits?

 

Je lis les manuscrits, j’avoue que j’en reçois beaucoup suite au bouche-à-oreille. J’admire l’acte d’écriture et je peux reconnaître qu’un texte est bon sans nécessairement l’aimer. Je fonctionne donc aux coups de cœur. J’accompagne la réécriture dans la mesure de mes compétences. Je ressens parfois un syndrome d’imposture pour ce qui est de l’editing, du travail sur un texte, puisque je n’ai aucune formation en la matière. En même temps, je crois que c’est très instinctif. Il y a des éléments flagrants qu’un auteur ne voit plus, tellement il est dans son texte. C’est vraiment une discussion au feeling avec les auteurs. Mais tous les auteurs ne sont pas prêts à ce travail. Mais, attention, je ne me substitue pas du tout à une éditrice.

 

Est-ce que vous accompagnez comme agente des auteurs que vous n’avez pas défendus comme attachée de presse?

 

Oui, bien sûr. Lisette Lombé, qui avait publié Brûler, brûler, brûler à l’Iconopop m’a contactée, car elle recevait beaucoup de sollicitations et ne savait plus trop quelles directions prendre. Ensemble, nous avons appris à dire non, à poser des choix. Nous essayons de construire un ensemble cohérent, une carrière. C’est ainsi qu’après Venus Poetica (L’arbre à paroles, coll. «If»), Lisette a publié Eunice au Seuil, puis deux livres jeunesse, Enfants poètes, chez Robert Laffont et À hauteur d’enfant chez CotCotCot éditions. C’est devenu une magnifique collaboration.

 

Comment vous rémunérez-vous?

 

Je me calque sur le schéma classique, soit 10 % de ce que l’auteur perçoit. Mon nom figure dans le contrat de l’éditeur.
Mais je vis grâce à mon activité d’attachée de presse.

 

Quelles sont les qualités d’une bonne agente?

 

Avoir un réseau. Comme j’ai travaillé pendant des années avec plusieurs maisons, cela m’a permis de nouer des contacts et de créer une certaine confiance, mais j’approche aussi des éditeurs avec qui je n’ai jamais travaillé.
De la persévérance aussi, car le temps de l’édition est très long. Le temps qui passe est une des choses à gérer avec les auteurs, d’autant que les éditeurs ont de plus en plus de choses à faire.

Le point noir, c’est le nombre de livres publiés en même temps. Il faut être vu en librairies et la concurrence est forte, raison pour laquelle je discute de la date de sortie d’un livre.
C’est important de trouver la bonne période, de savoir qui sort en même temps que vous, y compris dans la même maison d’édition.

 

Est-ce que les éditeurs ne vous font pas faire leur travail à leur place?

 

Non. Ils ne m’ont pas demandé de devenir agent. D’où l’importance d’être rémunéré. On pourrait d’ailleurs imaginer un apport de l’éditeur pour ce travail. Dans mon premier contrat, j’étais renseignée comme « apporteuse d’affaires », ce qui est encore plus laid qu’agente. Je recevais un pourcentage sur les ventes.
Des éditeurs démarchent parfois les agents littéraires d’autant qu’une relation de confiance se crée entre nous, mais je me concentre actuellement sur les auteurs. C’est la littérature qui m’anime. Et ce que l’on ne doit pas perdre dans ce métier, c’est la relation avec les auteurs.

 

Est-ce qu’il y a des déconvenues?

 

Oui, je découvre ce monde. Ce métier n’est pas encore connu, ni reconnu chez nous. Certaines personnes peuvent se tromper sur ce que l’on peut en attendre. En plus, on est dans l’humain et il y a toutes les personnalités. On avance, on galère parfois, il faut dire les choses, on se bat, mais toujours dans la franchise, le respect et la confiance. Un agent français m’a dit récemment, à juste titre, que l’on n’était pas là pour embêter les éditeurs mais certains ne veulent pas travailler avec des agents.

 

Pourquoi est-ce que vous travaillez surtout avec des éditeurs français?

 

J’estime que les auteurs belges n’ont pas besoin de moi pour publier en Belgique. Mais cela m’arrive, par exemple quand on me soumet des textes aux accents très belgo-belges. Je viens de travailler avec 180° éditions pour Ne pas nourrir les animaux, premier roman de Cécile Hupin.

 

Quelles sont les collaborations récentes que vous avez envie de mettre en avant?

 

Outre Adeline Dieudonné et Lisette Lombé, il y a aussi Isabelle Bary avec qui je travaille depuis longtemps. Sophie Wouters m’avait contactée pour négocier les droits pour la France et le reste du monde de son premier roman, Célestine, un gros succès chez 180° éditions.
Pour son deuxième texte, Esprits de famille, j’ai approché les éditions Hervé Chopin, des gens délicieux de Bordeaux.
J’ai aussi accompagné Daphné Tamage, 32 ans, qui a publié À la recherche d’Alfred Hayes, chez Maurice Nadeau, et je viens de signer son deuxième roman chez Stock pour la rentrée littéraire, Le retour de Saturne, ce qui m’a amenée à l’accompagner lors des présentations devant les libraires et les représentants commerciaux. Ce travail fait aussi partie de mes missions et plusieurs autrices m’ont dit: «C’est bon de t’avoir à nos côtés».



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Entretien avec l’autrice Isabelle Bary
«Nous, pauvres autrices et auteurs, on est souvent isolé.e.s»

L’autrice belge Isabelle Bary a collaboré avec deux agentes, l’une française, l’autre belge.
Son roman, Zebraska, publié initialement chez Luce Wilquin, est reparu six ans plus tard grâce à une agente française à qui le livre avait plu.Celle-ci l’a transmis à une éditrice des éditions J’ai lu qui a proposé de le rééditer dans une version augmentée et remise au goût du jour pour la France.

«Mon éditrice, Luce Wilquin, trouvait dommage que mes livres ne soient pas publiés en France, se souvient Isabelle Bary. Je me suis tournée vers cette agente pour bénéficier de son carnet d’adresses et de ses connaissances. Pour m’aider aussi à m’y retrouver dans le milieu littéraire où le service permet d’éviter certaines erreurs.
De plus, si un agent t’accepte dans son écurie, c’est qu’il croit en toi car sa rémunération dépend de celle de l’auteur, un système très sain car il crée de la confiance.»

Cette agente, Valérie Miguel-Kraak, avait créé la maison Hyphen VMK et accompagnait d’autres écrivains belges comme Mathilde Alet, Valérie Cohen, Paul Colize, Alain Lallemand. Elle a malheureusement dû arrêter ses activités pour raisons de santé.

Du coup, Isabelle Bary signe avec une nouvelle agente, Stéphane Levens.

«Je ne me voyais pas tout recommencer de zéro. J’avais envie de m’en remettre à des mains professionnelles. Nous, pauvres auteurs, on est souvent isolés. Mon ancienne agente avait été éditrice dans plusieurs maisons.
Stéphane Levens a son expérience d’attachée de presse. Elles connaissent le milieu. Certes, c’est un intermédiaire en plus mais, grâce à lui, l’auteur n’est plus seul face à l’éditeur».

C’est à nouveau sur Zebraska que la nouvelle agente va apporter son expertise en vue d’une adaptation BD du roman.

«Stéphane Levens a trouvé pour moi le coscénariste Éric Corbeyran et le dessinateur Ludowick Borecki. Elle a concrétisé le projet avec une éditrice chez Dupuis. Sans Stéphane, cela ne se serait pas fait.»

L’agente belge continue à apporter ses conseils sur d’autres manuscrits d’Isabelle Bary.

«Je lui ai proposé de choisir celui qu’elle préférait, me disant que c’est celui qu’elle défendrait le mieux. Elle m’aide depuis à réaliser un travail de pré-édition. Elle suggère des modifications en fonction de telle ou telle maison, d’autant que les éditeurs attendent de plus en plus un texte fini. Nous discutons aussi sur les choix d’éditeurs, la manière de les approcher. L’agent aide l’auteur à se vendre. Surtout, il y a échange, partage, même si l’on n’est pas toujours d’accord ou si l’auteur aimerait que ça aille plus vite».

 

© Michel Torrekens, Stéphane Levens, Isabelle Bary, revue Le Carnet et les instants n° 220, Bruxelles, juillet 2024

 

Metadata

Auteurs
Michel Torrekens
,
Stéphane Levens
,
Isabelle Bary
Sujet
Profession agente littéraire. Belgique francophone. Stéphane Levens agente. Isabelle Bary autrice
Genre
Entretien
Langue
Français
Relation
revue Le Carnet et les instants n° 220, Bruxelles, juillet 2024
Droits
© Michel Torrekens, Stéphane Levens, Isabelle Bary, revue Le Carnet et les instants n° 220, Bruxelles, juillet 2024