© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Le Retour des escargots

Gérard Platevoet

Texte

Il écrit en picard tournaisien. Lauréat de nombreux prix: concours Prayez, organisé par le Cabaret wallon tournaisien, concours de l’Agence pour le picard d’Amiens et du concours «Un auteur, une voix…», il est membre de l’Atelier de langue et culture régionales de la Maison de la Culture de Tournai.
Chansonnier à la Compagnie du Cabaret wallon tournaisien, Gérard Platevoet preste aussi dans le Nord de la France. Ses textes, de la poésie au conte, ont souvent une note surréaliste et humoristique à la fois.


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Le Retour des escargots



«À l’enterrement d’une feuille morte, deux escargots s’en vont.»

C’est ainsi que Prévert l’avait chanté, en français, bien sûr.
En fait, ils n’y allaient pas, ils y retournaient, comme ils le faisaient chaque année. Toutes les années, allez savoir pourquoi, il y avait des morts dans la famille des chênes. Toutes les années, il y avait des feuilles qui mouraient, toujours à la même saison, quand les jours devenaient plus courts.

Les escargots étaient amis avec ces arbres parce qu’il y avait des champignons qui poussaient dessous: de ceux qu’on ne trouve que là-bas. Les escargots en étaient friands, ils en bavaient de plaisir et s’en remplissaient le ventre.

Ainsi, après avoir fait le nettoyage de printemps dans leur coquille, ils se mettaient en route, antennes au vent, comme en camping-car, pour être sûr d’arriver à temps pour l’enterrement, à l’automne.
Comme les chênes étaient déplumés, c’était les sapins toujours verts qui les accueillaient. Aux retrouvailles, les baveurs avaient le cœur tout retourné. Ils ne s’embrassaient pas. Les sapins ne se rasent jamais et donnent des baisers à aiguilles.

«Quel bonheur d’être arrivés et de vous revoir!, disent-ils. Les enfants ont bien grandi. Vous leur donnez de la poudre de perlimpinpin?
– Non, non, mais on est très fiers. Ils vont bientôt nous quitter pour devenir des sapins de Noël. Et vous autres, avez-vous fait bonne route?
– À un croisement, nous nous sommes trompés de chemin. Il a fallu faire demi-tour. Cela nous a fait perdre une semaine. Il y eut aussi une grosse branche qui était tombée au milieu de la route; il nous a fallu quatre jours pour passer au-dessus. Mais enfin, nous voilà.
– On vous a préparé une platée de champignons, de ceux qu’on ne trouve qu’ici.»

Après avoir été si bien reçu, ils sont allés à l’enterrement de la feuille d’un de leurs amis chênes. Ils ont pleuré un petit peu pour bien montrer qu’ils avaient le cœur triste.
Au moment du retour, comme chaque année, on leur a offert un gland à chacun, «en souvenir du défunt», disaient-ils. Pour ne pas faire de peine, ils n’osaient pas refuser, surtout que ces gens n’avaient pas grand-chose d’autre à donner. Mais bon, ce n’était pas facile à charger et à transporter.
«Allez, au revoir et à l’année prochaine.»


Il ne fallait pas traîner s’ils voulaient arriver pour le printemps. En glissant comme sur du verglas, ils ont suivi leurs traces de l’aller. Seulement, c’était la période des fêtes et de beaucoup de saints qu’on boit. Ils ont chanté à la Sainte- Cécile et dansé la polka à la Sainte-Catherine. À la Saint-Éloi et à la Sainte Barbe, ils ont mis bien des bières derrière leur gosier. C’était autant pour se réchauffer que pour faire bombance. Quand il faisait vraiment trop froid, ils rentraient dans leur coquille. À peine le temps le 25 décembre de laisser des nouvelles de la famille aux sapins de Noël, et de souhaiter la Bonne année à tous au premier janvier, ils arrivaient à leur maison au printemps.
C’était au frais, dans les marais. Ils déchargeaient les glands dégoulinants qui s’enfonçaient dans le bourbier. Ils restaient quelques jours à raconter leur voyage aux autres escargots, puis ils se remettaient en route pour l’enterrement suivant.


Il y a un mystère que même les grands scientifiques n’ont jamais compris, c’est comment une forêt de chênes a poussé là, dans cette prairie. C’est ainsi avec les experts: quand ils ne comprennent pas, ils parlent de miracle de la nature ou de génération spontanée. Mais aucun n’a pensé que c’était des escargots de retour d’un enterrement qui avaient fait le travail.


© Gérard Platevoet, revue MicRomania 4-2020
traduit du picard tournaisien par l'auteur


Lire ce conte en picard tournaisien: L’ortour des caracoles, dans ce même n° de MicRomania.




Metadata

Auteurs
Gérard Platevoet
Sujet
A l'enterrement d'une feuille morte, deux escargots s'en vont. À l’intierr’mint d’ein’ fwèlé morte, deux caracoles s’in veont.
Genre
Conte
Langue
Français traduit du picard tournaisien
Relation
Revue MicRomania 4-2020
Droits
© Gérard Platevoet, revue MicRomania 4-2020