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Redécouverte : Jean Wisimus (Verviers 1868 – Verviers 1953)

Guy Belleflamme

Texte

Figure emblématique de la vie culturelle et sociale de la cité lainière, Jean Wisimus a, pendant plus de soixante ans, occupé une place non négligeable sur la scène médiatique verviétoise.

Tant par son action professionnelle et philanthropique que par sa contribution aux débats d’idées – entre autres, en diffusant tous azimuts ses observations dans de multiples publications périodiques et dans différents ouvrages rédigés tantôt en français tantôt en wallon, – il a eu une action indéniable dans le paysage de sa « bonne ville ».

Ami de Jules Feller et de Jean Haust, qu’il a dû avoir comme professeurs à l’athénée royal de Verviers, il a pu compter, lorsqu’il s’exprimait en wallon, sur les encouragements avisés que ceux-ci pouvaient lui donner.

C’est d’ailleurs à ces deux amis que nous devons les informations qui nous permettent de retracer à grands traits ce que fut sa vie et d’évoquer les faits les plus marquants de son activité littéraire xx.


Wisimus, Verviétois « pure laine », commerçant, philanthrope, patriote

Plus qu’à tout autre, cette qualification québécoise peut être attribuée à Jean Wisimus : de vieille souche verviétoise, issu d’une famille « de parents qui ne parlaient que le wallon et exploitaient un petit magasin où venaient s’approvisionner, outre les commères du voisinage, les ouvriers des nombreuses usines proches de leur résidence et aussi les campagnards aux jours de marché, il a vraiment passé toute son enfance et sa jeunesse dans un milieu essentiellement wallon » (Louis Pirard, [3], X), s’élevant par son travail jusqu’à faire partie de la bourgeoisie commerçante d’une ville qu’il n’a jamais quittée, il a consacré toute sa vie à l’industrie lainière dont la renommée était internationale, du moins jusqu’à la deuxième guerre mondiale.

Wisimus était homme de caractère. En quelques traits, Jules Feller dressait le portrait du personnage : « (...) l’esprit, le cœur, l’œuvre de Jean Wisimus sont plus étendus qu’on ne croit. Certes, ses amis ne peuvent se tromper en estimant très haut sa valeur personnelle : ils le voient spirituel, narquois, prompt à la riposte, habile à débrouiller une affaire, actif et diligent ; ils le voient généreux, serviable, compatissant, charitable, toujours le cœur ouvert et la bourse au large [sic] pour toute œuvre de justice et de philanthropie. « ([1] p. 8)
Wisimus était un homme discret.

Selon Jules Feller :

« Jean Wisimus a tout un passé de littérateur et d’homme d’action derrière lui. Littérateur intermittent, il n’a jamais songé à faire œuvre littéraire qu’en wallon, pour son plaisir et celui de quelque cercle d’amis en gestation de gazette wallonne. Comme homme d’action, il a beaucoup moins écrit qu’agi, beaucoup moins écrit en wallon qu’en français, et il n’a guère signé ses articles de son vrai nom que s’il y avait une responsabilité à prendre. » ([1], 8]

On lui connaît au moins deux pseudonymes. Dans le journal « Le Jour », « sous le pseudonyme P. Simiste (pessimiste), il a publié en français (...) de nombreux pamphlets et articles humoristiques » (Feller) – « Sous le pseudonyme de Pierre Lermite, et sous la rubrique lu Ridant ås rahis´, il a (...) alimenté Le Jour, pendant plusieurs années, d’une longue série de pièces satiriques wallonnes et de bluettes... » (Feller)

Feller, une fois encore, parle aussi de son attitude pendant la guerre 14-18, alors qu’il était âgé d’une cinquantaine d’années :
« Un homme de franc parler, d’initiative et d’organisation, n’hésitant jamais devant un acte de courage civique et de patriotisme, devait avoir été signalé dès l’abord par les limiers prussiens comme un être dangereux.

De fait, il fut arrêté sous prétexte d’avoir procuré des vivres et facilité l’évasion à des soldats français cachés dans nos villages de la frontière. Wisimus avait fait beaucoup mieux. Ses juges, heureusement pour lui, l’ignoraient. Il fut emprisonné à Namur, ainsi que sa fille, pendant trois mois. Pour sauver leurs têtes, ils durent jouer serré, fin contre fin... » ([1], 10)

Son attitude lui a valu, après la guerre, d’être décoré de la médaille de la Croix civique belge 1914/1918 et de la médaille de la Reconnaissance française. Il a été membre d’honneur de la Fédération nationale des Combattants, vice-président et membre du bureau fédéral de l’Association des Ex-prisonniers politiques.


Wisimus, animateur de la vie culturelle verviétoise

Il a été le fondateur (avec Gui Kaiser) de la Ligue wallonne verviétoise (dont il était le vice-président chargé de la partie littéraire). Il a été : membre de l’Association des Écrivains wallons anciens combattants, membre de l’Association des Auteurs et Chansonniers liégeois, membre correspondant, puis membre titulaire de la SLLW et président du cercle de littérature wallonne « Lu vî Tchêne »...

Il a collaboré à de nombreuses publications : le « Trô d’ sotês » [la caverne aux nutons], « Lu pont d’ Poleur » [le pont de Polleur] feuille intermittente qui, « aux années de vote », égayait « l’âpreté des luttes électorales », le « Journal des soirées populaires », « Le Jour » journal quotidien où il a déversé pendant de longues années son Ridant ås rahis´ « tiroir aux rogatons »), le « Bulletin de l’Entraide militaire », « Franchimont », « La frontière de l’Est ».

Il a fondé la revue locale Verviers-Chronique « qu’il dirige jusqu’à l’invasion et qui prédit avec une surprenante lucidité, la guerre, ses phases et son issue » (Haust, [2], 305).

Œuvres écrites en français

Polygraphe infatigable, Wisimus a écrit en français et en wallon. En français, on lui doit :

– une longue série d’articles de propagande wallonne ;

– un pamphlet cinglant Sind-Wir Barbaren ? (Verviers-Chronique, 1919) ;

– un ouvrage scientifique intitulé L’anglais, langue auxiliaire internationale (Paris, Grasset, 1921).

Sur Sind-Wir Barbaren ? Feller a écrit ceci :

« Il ne s’agit point dans cette brochure des assassinats et des massacres, des incendies et des horreurs que tant d’autres ont racontées : il ne fait que mettre en lumière avec des preuves accablantes le plan de destruction systématique de l’industrie, le vol de nos machines les plus récentes, dont le secret de fabrication était inconnu à l’Allemagne, le vol des précieuses machines-outils, la démolition de tous les ateliers, la réduction en vile ferraille de tout ce monde gigantesque de fer et d’acier qui vibrait, luisait, ahanait, chantait, nourrissait les populations.
Tout ce saccage froidement organisé sous la direction et d’après les renseignements précis de firmes concurrentes allemandes, et sous le prétexte mensonger qu’il fallait aux armées de la mitraille, l’auteur en montre à l’évidence la scélératesse.
Et il conclut : oui, vous êtes des barbares, malgré vos livres, vos écoles et vos caisses de retraite ; non plus des barbares inconscients et primitifs, mais des barbares savants qui avez conçu le projet monstrueux de régner par l’anéantissement des autres nations. La brochure française fut traduite en anglais et répandue sous les deux langues dans le monde entier. » (Feller, [1], 11-12)

Sur L’anglais, langue auxiliaire internationale, on peut lire l’avis de Jules Feller, ([1], 12-14), dont voici quelques courts extraits :

« (...) pendant la journée, tout entier à son trafic des laines, commerçant sérieux, actif et expérimenté, instruit, heureux en affaires, en relations quotidiennes avec les pays de production, les grands marchés, les centres industriels qui commandent et consomment, il songe, au milieu de toute cette correspondance polyglotte, à la simplification qu’une langue unique apporterait au commerce et à l’industrie.

Et son esprit devance les siècles : pourquoi, se demande-t-il, la science, l’art, la littérature, la philosophie n’auraient-ils pas une langue unique ? Ce qui a existé jadis, par le latin, ne pourrait-il se reproduire par une langue moderne ? (...)

J’ai examiné ailleurs, en son temps, les idées et les arguments de ce livre. Que la discussion soit discutable, on le devine ; que les arguments d’un self-made-man et d’un homme d’affaires ne soient pas ceux d’un philologue ou d’un artiste, l’auteur s’en doute bien un peu ; mais il n’a pas non plus lancé sa thèse pour triompher, il n’a voulu qu’amorcer une discussion. Nous pouvons donc porter à l’actif de notre wallonisant les idées capitales de ce livre.

Rejetant avec raison les langues artificielles, il circonscrit le choix entre le français et l’anglais, dont il compare les mérites divers, les qualités internes et la diffusion. (...) ([1], 12-13)


Dans la préface au Dictionnaire populaire wallon-français, Louis Pirard rappelle que ce gros volume est une « œuvre dont les Allemands lui firent grief lors de son arrestation en 1943 » ([3], XI) : il avait 75 ans !


Publications en langue wallonne

Par ses biographes, on sait qu’il a écrit sa première chanson wallonne à l’âge de 14 ans...

On lui doit un drame en deux actes : Mâle vôye, créé en 1902 au Grand théâtre de Verviers par Le Sillon.

Il a aussi écrit une adaptation de L’Ami Fritz d’Erckmann-Chatrian, sous le titre de L’Ami Zidôr.

Il a aussi écrit, en collaboration avec Maurice Noël, « un hilarant vaudeville en trois actes » (Haust), Djônes mariés.

Mais son œuvre maîtresse est un beau recueil Dès Rôses èt dès Spènes (1926) :

« ‘modeste bouquet de fleurs wallonnes’, mélange de proses et de vers où se succèdent les rires et les larmes : souvenirs de jeunesse, tableaux réalistes de la rue, contes, satires et chroniques exhumées de son inépuisable Ridant ås rahis´. Que dire du recueil et de l’auteur après la magistrale préface où Jules Feller a caractérisé l’un et l’autre ? (...)

J’aime surtout, de ce livre, les pages où les êtres et les coins disparus de notre vieux Verviers se retracent avec la netteté vigoureuse de l’eau-forte. Tout d’ailleurs semble jailli de prime-saut, tant ces pages sont vivantes.

Mais qu’on y prenne garde : il y a là plus d’art subtil qu’il n’y paraît, l’art consommé qui consiste à effacer toute trace du métier, à évoquer la vie et la nature dans leur apparente ingénuité. Aussi l’heureux auteur a-t-il vu son œuvre accueillie par le plus franc succès. » (Haust, Anthologie des poètes wallons verviétois, 1928, pp. 305-306)

Dans la longue préface qu’il consacre à l’ouvrage, Jules Feller se montre tout aussi élogieux :

« [Jean Wisimus] se sert du réel talent que la nature lui a donné, mais tantôt comme un folkloriste revivant la vie du peuple et retraçant des tableaux ou des souvenirs d’enfance et de jeunesse, tantôt comme un homme d’action mettant la satire ou le conte au service de quelque idée patriotique, plus rarement en poète et en rêveur.(...)
C’est la vision originale d’un témoin, ou indigné ou amusé, sympathique ou ironique, des croyances et des usages, des griefs et des misères du milieu populaire wallon. » ([1], 17).

Parlant de ce recueil, Rita Lejeune y voit un : « mélange de proses et de vers dont certaines évocations du passé verviétois sont bien réussies XX. » De son côté, Maurice Piron a écrit que l’ouvrage « se recommande au moins par la probité de la langue et une franchise de ton qui lui attire la sympathie. XX » Il caractérisera l’œuvre en ces termes et parlera de « pages fugitives nées de l’observation, de l’évocation et du sentiment : tableaux populaires, souvenirs de jeunesse, récits, fables, chroniques, etc. XX . »

En 1928, en collaboration avec Jules Feller, il publiera une volumineuse Anthologie des poètes wallons verviétois, avec « préface, notices biographiques et choix XX. » Ouvrage incontournable, l’anthologie s’ouvre sur deux belles préfaces, dues l’une à Jules Feller (pp. 6-9), l’autre à Jean Wisimus (pp. 9-21). Et celles-ci sont suivies, sous la signature de Jules Feller, de considérations très utiles sur le « système orthographique » utilisé (p. I-XI).

Enfin, c’est en 1947 que Jean Wisimus publiera son Dictionnaire populaire wallon-français en dialecte verviétois, ouvrage qui, s’il est consulté avec les précautions d’usage XX, rendra de nombreux services, non seulement aux auteurs wallons à qui il est destiné, mais aussi aux linguistes et aux chercheurs.


Dernières considérations

En dehors des bibliothèques publiques où elles peuvent être consultées, les œuvres de Jean Wisimus sont pratiquement introuvables en librairie.

En ce qui concerne le Dictionnaire, après une première réédition en1986, par Hexachordos, une nouvelle réédition par la SPRL Amélie Productions a été annoncée en 2010 dans la presse locale :

La même information se trouve reprise (en 2010 encore) à l’adresse Internet suivante :
Je ne suis pas parvenu à obtenir confirmation de ce projet.

Pour ce qui est du recueil Dès rôses èt des spènes, il est possible d’en trouver sur les sites spécialisés de vente en ligne de livres d’occasion du type priceminister, ebay, delcampe, kapaza... Les prix sont très variables : cela va de 9 € à 160 €. Pour ceux qui aiment chiner sur la toile...


Guy Belleflamme xx



Notes

  1. Il y a surtout la préface que signe Jules Feller, pp. 7-16, dans [1] Jean Wisimus, Dès rôses et dès spènes. Sovenances du djônèsse, Tåvelês dèl rawe, Fåves, Lawes èt Ridant ås rahis´. [Des roses et des épines. Souvenirs de jeunesse, tableaux de rue, fables, brocards et tiroir aux rogatons.] Verviers, Auguste Nicolet, 1926, 199 pages. Il faut y ajouter la présentation de Jean Wisimus par Jean Haust, pp. 305-306, dans [2] Jules Feller et Jean Wisimus, Anthologie des poètes wallons verviétois. Verviers, Auguste Nicolet, 1928, 623 pages. Et enfin, on se référera également à la préface que signe Louis Pirard, pp. ix-xiv, dans [3] Jean Wisimus, Dictionnaire populaire wallon-français en dialecte verviétois. Verviers, Ch. Vinche, 1947, 490 pages.
  2. Rita Lejeune, Histoire sommaire de la littérature wallonne, Office de publicité, Bruxelles, 1942, 116 pages, p. 108, note 1.
  3. Maurice Piron, Les lettres wallonnes contemporaines, Paris-Tournai, Casterman, 164 pages ; p. 107.
  4. Maurice Piron, Anthologie de la littérature dialectale de Wallonie (poètes et prosateurs). Liège, Pierre Mardaga, 1979, 661 pages. [Jean Wisimus, pp. 315-317.]
  5. Verviers, Aug. Nicolet, 1928, 624 pages.
  6. On lira la recension critique qu’en a faite Élisée Legros avec la minutie toute bénédictine qu’on lui connaît, dans le BTD (« Bulletin de Toponymie & de Dialectologie »), tome xxii, 1948, pp. 451-461.
  7. N. B. : Dans les textes qui suivent l’orthographe de l’édition originale a été homogénéisée. « Le problème avec le verviétois, même avec Wisimus, qui pourtant a fait œuvre philologique, est que les nasales sont souvent très mal notées, plus exactement que les dénasalisations ne sont pas notées systématiquement. Problème aussi pour les longueurs de voyelles (notamment -êye) et pour le ê très ouvert (généralement ignoré, et que je n’ai pas relevé non plus dans tes transcriptions). » (Jean Lechanteur)

[1] Il y a surtout la préface que signe Jules Feller, pp. 7-16, dans [1] Jean Wisimus, Dès rôses et dès spènes. Sovenances du djônèsse, Tåvelês dèl rawe, Fåves, Lawes èt Ridant ås rahis´. [Des roses et des épines. Souvenirs de jeunesse, tableaux de rue, fables, brocards et tiroir aux rogatons.] Verviers, Auguste Nicolet, 1926, 199 pages. Il faut y ajouter la présentation de Jean Wisimus par Jean Haust, pp. 305-306, dans [2] Jules Feller et Jean Wisimus, Anthologie des poètes wallons verviétois. Verviers, Auguste Nicolet, 1928, 623 pages. Et enfin, on se référera également à la préface que signe Louis Pirard, pp. ix-xiv, dans [3] Jean Wisimus, Dictionnaire populaire wallon-français en dialecte verviétois. Verviers, Ch. Vinche, 1947, 490 pages.

[2] Rita Lejeune, Histoire sommaire de la littérature wallonne, Office de publicité, Bruxelles, 1942, 116 pages, p. 108, note 1.

[3] Maurice Piron, Les lettres wallonnes contemporaines, Paris-Tournai, Casterman, 164 pages ; p. 107.

[4] Maurice Piron, Anthologie de la littérature dialectale de Wallonie (poètes et prosateurs). Liège, Pierre Mardaga, 1979, 661 pages. [Jean Wisimus, pp. 315-317.]

[5] Verviers, Aug. Nicolet, 1928, 624 pages.

[6] On lira la recension critique qu’en a faite Élisée Legros avec la minutie toute bénédictine qu’on lui connaît, dans le BTD (« Bulletin de Toponymie & de Dialectologie »), tome xxii, 1948, pp. 451-461.

[7] N. B. : Dans les textes qui suivent l’orthographe de l’édition originale a été homogénéisée. « Le problème avec le verviétois, même avec Wisimus, qui pourtant a fait œuvre philologique, est que les nasales sont souvent très mal notées, plus exactement que les dénasalisations ne sont pas notées systématiquement. Problème aussi pour les longueurs de voyelles (notamment -êye) et pour le ê très ouvert (généralement ignoré, et que je n’ai pas relevé non plus dans tes transcriptions). » (Jean Lechanteur)

 

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Metadata

Auteurs
Guy Belleflamme
Sujet
Biographie littéraire de Jean Wisimus
Genre
Chronique
Langue
Français
Relation
SLLW/ revue Wallonnes
Droits
© Guy Belleflamme, 2015