© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Li nwârôde, par Jean-Luc Fauconnier

Jean Lechanteur

Texte

Singulière, originale, indépendante, telle apparaît de prime abord l’héroïne de ce livre plaisant et enlevé. Noiraude, elle détonne par ce trait physique dans une famille dont tous les membres, ses parents et ses trois sœurs cadettes, sont blonds comme les blés. Son caractère indépendant, volontaire est tout à l’opposé de celui de sa mère, apathique, soucieuse seulement de cultiver avec modération les quelques arts d’agrément qu’elle a appris en même temps que les bonnes manières dans l’internat religieux dont elle fut retirée, avant la fin de ses études, pour un mariage précipité avec un homme costaud, stokas´, et bon vivant.


L’auteur tire de l’opposition entre ces deux conjoints tout à fait imprévus des effets comiques du meilleur aloi. Une sorte de goguenardise empreint, d’ailleurs, tout le récit.
Voyez, par exemple, la scène de la visite au cours de laquelle se fera la proposition de mariage, dont nous ne citerons que le portrait des deux sœurs du futur marié :

Is-ont sonè a l’uch èyèt ’ne mèsquène – ça vout dîre qu’i gn’aveut né qu’yène – lès-a fét muchî dins l’ salon. Lès deûs skètes lès ratindît ; toutes drwètes astampéyes, èles chènît co pus grandes qui toudis. Dès skètes, non fét, dji m’ va r’ssatchî l’ mot paç’ qu’èles n’èstît né mégues... èy’ èles n’èstît né spèsses pourtant... branmint dèl tchô èt pont d’ crôs, s’apinse a m’ cous´, li tokeû.

Tout est à l’avenant, tel est le ton, qui fait la chanson. Même les moments graves et douloureux (car il y en aura dans l’existence de la noiraude et de sa famille) sont narrés avec un humour discret qui désamorce les réalités au profit du plaisir de les raconter.

C’est, par petites touches, le portrait d’une personne et le récit d’une existence, qui sont esquissés en une suite de courts tableaux.
Le lieu du récit n’est pas nommé, il se devine par la langue du narrateur.
Quant à l’époque, les deux guerres mondiales servent de repères : la noiraude doit être venue au monde tout au début du 20e siècle ou à l’extrême fin du 19e. Rétive aux apprentissages dont elle ne perçoit pas l’utilité comme à une discipline trop pesante, elle termine cependant sans encombre l’école primaire, mais, au lycée, si elle se force à étudier des cours qui ne lui plaisent qu’à moitié, elle finira par être renvoyée pour indiscipline. C’est une adolescente quand la guerre de 1914 est déclarée. Deux soldats allemands âgés sont logés chez ses parents, puis, en outre, un officier musicien qui cherche à se montrer aimable, mais ne récolte, d’abord, de notre jeune révoltée que brimades et vexations, jusqu’à ce qu’il épargne de graves ennuis à sa famille d’accueil, soupçonnée de vols au détriment de l’armée occupante.

La guerre se termine enfin. La vie reprend son cours. L’aînée des blondes accompagne un des libérateurs en Amérique ; l’officier allemand, à la suite d’une correspondance soutenue, vient enlever la noiraude. Mais le père, fatigué d’excès de toutes sortes, de nourriture, de boisson, mais aussi de travail, est victime d’une attaque qui le laisse fortement handicapé. La noiraude, alors, revient au pays et reprend le commerce en mains.

Elle refuse plusieurs beaux partis, et reste célibataire. Quand l’histoire s’achève, c’est une vieille jeune fille – tout le monde l’appelle Mam’zèle –, ses cheveux ont grisonné. La deuxième guerre mondiale vient d’être déclarée, les soldats allemands sont de retour. Mais comme tout est changé sous la similitude des situations !

Une vie qui a commencé dans l’éclat et la révolte se termine dans la grisaille et dans la soumission. Les petits événements qui la parsèment sont placés tantôt sous le jugement bienveillant d’un ancêtre qui observe tout du haut du tableau où il est portraituré ou sous le jugement critique des rumeurs de voisinage. Le narrateur, quant à lui, garde une distance un peu ironique et tient à montrer qu’il est le maître du jeu, mais sa jubilation laisse percer son empathie pour ses personnages et entraîne le lecteur à sa suite.

Un riche lexique d’une quinzaine de pages clôture le volumeXX.

Li nwârôde, par Jean-Luc Fauconnier, ilustrâcions da Gabriel Belgeonne, Charleroi, éditions micRomania /25, 2014


Jean Lechanteur

Notes

  1. À la p. 111, la traduction de scaper l’ doube, loc. v., « échapper au capot » mériterait d’être explicitée ; quant à la forme, on a bien doube, avec ou bref, aux pp. 23 et 72, mais doûbe, avec oû long, à la p. 27 (doûbe aussi chez Deprêtre-Nopère). – À la suite du lexique, à la p. 115, les références à des citations sont malheureusement toutes inexactes : par ex., pâdjes 20, 34 et 35 doit se lire 24, 40 et 41, etc.

Images

Metadata

Auteurs
Jean Lechanteur
Sujet
Li nwârôde, récit de Jean-Luc Fauconnier
Genre
Recension littéraire
Langue
Français et wallon