Histoire du lièvre, de l’éléphant et de la baleine
Charles Baissac
Texte
Charles Baissac (Port Louis, 1831 - Beau Bassin, 1892)
Charles Baissac naquit dans l'Île Maurice. Il partit pour Paris à l'âge de douze où il fréquenta le lycée Henry IV où il obtint son baccalauréat. Il fréquenta les milieux littéraires parisiens mais il dut en 1854 rentrer au pays natal pour des raisons familiales. Il y exerça des activités de précepteur mais aussi de chroniqueur littéraire. Il devint en 1870 professeur au Collège royal.
Il s'intéressa au parler de l'Île Maurice ainsi qu'à la littérature orale en créole mauricien et consacra plusieurs publications sur le sujet. Il rassembla notamment des contes qu'il
publia dans leur version originale en les doublant d'une traduction en français dans Le Folk-lore de l'île-Maurice parus dans le tome XXVII de la collection Les littératures populaires de toutes les nations, Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc, 1888.
En 1892, un cyclone détruisit sa maison et il perdit de la sorte la plupart de ses manuscrits ; il ne s'en remit pas c'est la même année qu'il décéda.
Sept de ses contes ont fait l'objet d'une publication « revisitée » par Dev Virahsawny en créole doublée d'une traduction en anglais de Nadine Sauer, Zistwar Baissac, Bilingual tales from Baissac, volume 1, Curepipe, BM Boookcentre, 2012. C'est de ce volume qu'est extrait le conte reproduit ci-dessous.
Histoire du lièvre, de l'éléphant et de la baleine
texte français de Charles baissac
Un jour compère le lièvre se promenait. Il arrive au bord de la mer, et tandis qu'il contemple la grande eau, il voit passer la baleine. Tout lièvre qu'il est, il ne peut s'empêcher de s'étonner de la trouver si grosse :
« Maman ! quel animal énorme ! »
Il crie à la baleine :
« Hé ! hé vous ! approchez un peu : j'ai deux mots à vous dire. »
La baleine s'approche du bord, le lièvre lui dit :
« Certes, vous êtes grosse ! Mais ce n'est pas la taille qui fait la force, ce sont les nerfs qui font la force. Je suis tout petit, n'est-ce pas? Eh bien, voulez-vous parier que je suis plus fort que vous ? »
La baleine le regarde et se met à rire. Le lièvre lui dit :
« Écoutez. Je vais aller chercher une grosse corde. Vous en attacherez un bout à votre queue, j'attacherai l'autre autour de mes reins. Chacun tirera de son côté. Gageons que je vous mettrai à sec sur le rivage !
– Allez chercher votre corde, mon petit ; nous verrons. »
Le lièvre quitte la baleine. Il va dans la forêt trouver l'éléphant et lui dit :
« Tête énorme, toute petite queue ! Jamais les gens taillés de la sorte ne sauraient être vraiment forts. Je suis tout petit, mais si nous luttions ensemble, parions que j'aurais le dessus et te forcerais à lâcher prise. »
L'éléphant regarde le lièvre et se met à rire. Le lièvre lui dit :
« Écoute. Je vais aller chercher une grosse corde. Tu en attacheras un bout autour de tes reins, moi l'autre autour des miens. Chacun tirera de son côté.
Parions que je t'entraînerai comme un petit poisson au bout d'une ligne !
– Va chercher ta corde, mon camarade ; nous verrons. »
Le lièvre va chercher une corde énorme. Il en donne un bout à la baleine et lui dit:
« Attachez bien serré. Quand je vous crierai me voilà prêt, tirez ! Nous tirerons tous deux en même temps. »
La baleine attache la corde autour de sa queue, et attend.
Le lièvre porte l'autre bout de la corde à l'éléphant et lui dit :
« Attache bien serré. Tout à l'heure je te crierai que je suis prêt, alors chacun de nous tirera de son côté. »
L'éléphant attache la corde autour de ses reins et attend.
Le lièvre va se blottir dans les broussailles. Il crie soudain :
« J'y suis, tirez ! »
La baleine tire de son côté, l'éléphant tire du sien. La corde se raidît comme une corde de boyau sur un violon.
Ils y mettent tout ce qu'ils ont de force; aucun des deux ne peut ébranler l'autre, ils tirent ! ils tirent ! Plack ! ! ! La corde casse. L'éléphant manque des quatre pieds et roule ; la baleine va donner dans le corail et se blesse.
Le lièvre arrive à l'éléphant :
« Aîo, mon camarade ! Tu as eu du mal peut-étre ! Mais pourquoi aussi vouloir jouer avec plus fort que toi ! »
L'éléphant ne trouve pas un mot à répondre.
Le lièvre arrive à la baleine au bord de la mer, il voit l'eau rougie par le sang de la baleine, et lui crie :
« Je regrette que vous soyez blessée ; vous vous êtes fait du mal, et j'en ai du chagrin, mais pourquoi aussi vous enorgueillir de ce que vous êtes grosse comme un navire ! C'est bête, l'orgueil ! »
La baleine reste muette, qu'aurait-elle répondu ?
C'est ainsi que l'éléphant et la baleine furent obligés de croire que le lièvre est plus fort qu'eux.
*
créole de l'Île Maurice
Zistwar yev, lelefan ar labalenn
Enn zour papa Yev ti pe promne. Li ti ariv borlamer. Ler li ti pe get lamer pre kot brizan li ti trouv Labalenn pase. Yev mem ti gagn sok. Sa groser la :
« Sa enn papa zanimo sa ! »
Li ti kriye labalenn:
« E matlo ! Apros enpe par isi. Mo enan enn ti parol pou dir ou. »
Labalenn ti apros ater. Yev ti dir li :
« Bien sir ou gro me pa groser enn dimoun ki fer so lafors, so ner ki fer so lafors. Mwa mo bien tipti me mo parye ki mo pli for ki ou ? »
Labalenn ti get li, li ti riye. Yev ti dir li :
« Ekoute. Mo al sers enn gro lakord. Ou amar enn bout ar ou lake, mo amar lot bout dan mo leren. Sakenn ris so kote. Mo sir mo ris ou dan sek !
– Al sers ou lakord, mo piti, nou va gete. »
Yev ti kit labalenn. Li ti al dan bwa. Li ti zwenn lelefan, li ti
dir li :
« Gro-gro latet, piti-piti lake ! Zans kouma twa pa kapav ena gran lafors. Mo kapav tipti me kan mo manz ar twa, mo kas twa, mo obliz twa large. »
Lelefan ti get Yev, li ti riye. Yev ti dir li :
« Ekoute. Mo al sers enn ro lakord. To amar enn bout dan to leren, mo amar enn bout dan mo leren. Sakenn ris so kote.
Mo sir mo ris twa kouma ti poson dan bout lalign.
– Al sers to lakord, mo kamarad, nou va gete. »
Yev ti al sers enn mama lakord. Li ti donn enn bout ar labalenn, li ti dir li :
« Amar bien sere. Ler mo kriye : " Ala mo finn pare ! "
rise ! Nous de nou ris anmemtan. »
Labalenn ti amar lakord dan so lake, li ti aspere.
Yev ti amenn lot bout lakord ar lelefan, li ti dir li :
« Amar sere mem. Taler mo va kriye kan mo pare ; lerle sakenn va ris son kote. »
Lelefan ti amar lakord dan so leren, li ti aspere.
Yev ti al plot dan brousay. Li ti kriye enn kou :
« Mo pare, rise ! »
Labalenn ti ris so kote, lelefan ti ris so kote. Lakord la ti redi kouma difil violon.
Zot ti mete mem, personn napa ti kapav ris so kamarad. Rise, rise, rise. Plak ! ! ! Lakord ti kas enn kou ! Lelefan ti perdi lekilib, tonbe. Labalenn ti pik dan koray, li ti blese.
Y ev ti ariv ar lelefan :
« Ayo, mo kamarad ! Kikfwa to finn gagn dimal ! Me kifer to rod zwe ar dimoun ki pli for ki twa ! »
Lelefan ti res sek, ki li ti pou dir.
Yev ti ariv ar Labalenn dan borlamer, li ti trouv dilo rouz ar disan, li ti kriye labalenn :
« Domaz ou finn blese, mo sagren ki ou finn gagn dimal ; me kifer ou vantar akoz ou gro kouman enn navir ! Vantar napa bon ! »
Labalenn ti gaga. Ki li ti kapav reponn ?
Ala kifer Lelefan ek Labalenn kwar ki Yev pli for ki zot.