© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Compte-rendu

Baptiste Frankinet

Texte

Les Kriegscayès : la grande guerre des Rèlîs Namurwès par Joseph DEWEZ, Bernard LOUIS, Axel TIXHONNamur, Société Archéologique de Namur, 2015, 448 p,  30 €.

Le centième anniversaire de la Première guerre mondiale a suscité une large moisson d’ouvrages historiques, de plus ou moins grand intérêt.

Les témoignages en langue régionale n’ont pas été complètement oubliés et on citera, par exemple, les Sov’nances di quatôze de Félicien Barry, parus chez El Bourdon, ou La guerre 1914-1918 dans la littérature dialectale, édité par la Bibliothèque publique centrale du Brabant wallon.

L’ouvrage que nous proposent Joseph Dewez, Bernard Louis et Axel Tixhon est plus ambitieux. Il rassemble et édite les écrits rédigés entre 1914 et 1919 par l’ensemble des membres du cercle des Rèlîs Namurwès sous le nom générique et un brin provocateur de Kriegscayès.
La plupart d’entre eux étaient encore inédits à ce jour.

Ces témoignages littéraires sont dignes d’intérêt à plus d’un titre.
Émanant de douze auteurs alors en pleine force de l’âge, ils évoquent des expériences différentes de la guerre. Certains furent prisonniers, d’autres combattirent au front, d’autres encore s’exilèrent ou demeurèrent à Namur.
Ces écrits rassemblés offrent donc divers points de vue du conflit mondial, et à divers moments entre 1914 et 1919.

En outre, le fonctionnement interne des Rèlîs Namurwès imposant une validation de chaque composition avant publication, tous les textes ont passé l’épreuve de la sélection par un comité de lecture interne expressément constitué en 1919. On constate donc la volonté de chaque auteur de soigner l’écriture, dépassant par là le simple acte de mémoire.

Mais, si le choix des textes avait déjà été établi de longue date par les Rèlîs, l’impossibilité de trouver éditeur, puis l’usure du temps, n’avait pas encore rendu possible une édition des Kriegscayès. Près de cent ans plus tard, et les auteurs de l’époque étant tous décédés, le travail d’édition réalisé par une équipe menée par Joseph Dewez et Bernard Louis n’a pas été simple.

Avant tout, il y a ici une volonté de transmettre, de valoriser et de diffuser les archives précieusement conservées par les Rèlîs.

Puis, au-delà, on constate d’emblée le souhait de donner au lecteur toutes les clés nécessaires pour apprécier au mieux la valeur de chaque texte : des traductions accompagnent les textes édités, des informations complémentaires jalonnent les textes, des pistes de réflexion sont proposées.

On regrettera malgré tout que, par manque de temps ou de moyens, les auteurs et éditeurs n’aient pas employé d’autres sources que celles des Rèlîs. Certaines questions laissées en suspens auraient peut-être trouvé réponse ailleurs.
On sent également un très (trop ?) grand respect vis-à-vis des archives consultées. Les extraits des procès-verbaux sont rigoureusement cités, avec parfois de nombreux détails ou certaines redondances qu’on aurait aisément pu éviter en paraphrasant.

Par ailleurs, les traductions, bien utiles aux lecteurs non familiarisés au wallon namurois, n’ont pas toutes été réalisées selon les mêmes critères. Certaines, rimées, ont bénéficié d’un traitement littéraire, auquel nous aurions préféré une transposition plus fidèle aux termes wallons.

L’ouvrage compte également de belles contributions qui viennent compléter l’édition de base.

La contextualisation est optimale, surtout grâce à la présentation des Rèlîs et à la biographie de chaque auteur.

On appréciera également que les analyses complémentaires, même si elles ne présentent pas toutes un même intérêt scientifique, aient été réalisées par des spécialistes issus de disciplines diverses, et pas forcément familiarisés à l’usage de sources dialectales. On épinglera tout particulièrement le texte d’Axel Tixhon, abordant le champ sémantique de la nourriture dans le corpus des Kriegscayès.

Cet ouvrage dépasse donc largement le cadre de la simple commémoration et, par le sérieux de son édition, rend un hommage durable aux Rèlîs Namurwès.
Espérons qu’il encouragera les historiens et les spécialistes de la littérature à se pencher davantage sur les sources dialectales si souvent délaissées et pourtant si riches.



Baptiste Frankinet

Metadata

Auteurs
Baptiste Frankinet
Sujet
L'ouvrage Les Kriegscayès (1914-1918)
Genre
Recension et critique littéraire
Langue
Français
Relation
Revue Wallonnes
Droits
© Baptiste Frankinet, 2015