Mémoire de missionnaires
Dimitra Bouras
Texte
La jeune réalisatrice Delphine Wil livre son premier film : Mémoire de missionnaires, un documentaire qui raconte la colonisation belge au Congo sous un angle inédit, celui de l'évangélisation.
Née en Allemagne, de nationalité belge et d'origine congolaise, Delphine Wil est diplômée en photographie et en journalisme. Après une expérience en journalisme radio à la RTBF, elle voyage au Burkina Faso où elle réalise un documentaire sur l'alphabétisation des femmes burkinabées pour Manivelle Productions.
C'est pendant sa participation à une résidence d'écriture organisée par Africadoc, structure consacrée au développement du cinéma documentaire africain, qu'elle développe Mémoire de missionnaires.
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Delphine Wil : C'est en effet un film sur des prêtres missionnaires belges qui étaient partis au Congo à l'époque coloniale et qui ont remis leur expérience en question et le film part, d'abord, d'une histoire personnelle car mon grand-père était missionnaire. Il est parti au Congo en 1934 et là-bas, il a quitté les ordres et a rencontré ma grand-mère, qui était Congolaise, ils ont eu des enfants et sont restés au Congo plusieurs années avant de revenir en Belgique.
Comme mes grands-parents étaient décédés, je n'ai jamais pu leur poser de questions et c'est là que mon envie de recherche a commencé. J'ai fait des recherches du côté de ma famille et dans des bibliothèques ici en Belgique. C'était un sujet qui ne touchait pas que moi mais d'autres personnes, beaucoup de gens en Belgique ont une histoire similaire, ils ont des parents, des oncles, des tantes, des grands-parents qui sont partis au Congo.
C.: Est-ce que cette histoire était connue chez toi? Est-ce que tu savais que ton grand-père était parti au Congo en tant que missionnaire ?
D.W. : Je le savais, ce n'était pas quelque chose de tabou dans notre famille, mais je ne connaissais pas tout le reste : comment il avait quitté les ordres, ni comment il l'avait vécu à l'époque. Ma mère, plus ouverte sur le sujet, ne le savait pas non plus. Il y avait beaucoup d'inconnues, c'est pour cela que je suis allée voir la congrégation de mon grand-père pour avoir des informations.
C. : Est-ce que ta mère t'a soutenue dans ce projet ?
D.W. : Oui, elle a toujours soutenu le projet, elle a toujours voulu en savoir plus sur l'histoire de la famille et de mon grand-père. Les autres membres de la famille ont plus de principes religieux, mais aujourd'hui tout le monde me soutient.
C. : Comment as-tu été reçue par la congrégation ?
D.W. : Au début, ils étaient assez ouverts, pour parler de l'époque, mais quand on est arrivé à la question sensible de comment mon grand-père avait quitté les ordres, ils disaient qu'il n'y avait pas de témoin vivant pour donner des informations là-dessus. J'ai rencontré quelques personnes, mais je ne connais pas exactement les raisons du départ de mon grand-père. Je suis allée voir d'autres congrégations pour me donner les contacts de missionnaires qui avaient quitté les ordres.
C. : Les missionnaires qui ont quitté les ordres les ont quittés pour des raisons politiques ?
D.W. : Il y a deux raisons principales. Soit parce qu'ils n'étaient plus d'accord politiquement avec ce qui se faisait, soit parce qu'ils ne voulaient plus accepter le célibat qui leur était imposé.
C. : A-t-on des chiffres ?
D.W. : Les congrégations m'ont toujours donné des chiffres très vagues. Mais on sait que lors du Concile Vatican II, vers 1960, il avait été question que les prêtres allaient pouvoir se marier, mais finalement ce ne fut pas le cas. Beaucoup ont quitté les ordres après cette déception.
C. : Ton intérêt, ce n'était pas seulement de parler des missionnaires qui avaient quitté les ordres, mais de découvrir la place de l'Eglise dans la société coloniale ?
D.W. : L'intérêt du film, selon moi, c'est qu'on retrace des itinéraires personnels, tous différents, mais on comprend comment ils ont vécu, comment l'Eglise les a façonnés, comment ils ont respecté des principes dans un pays qui n'était pas le leur. Ont-ils suivi les ordres de l'Eglise qui leur disait d'agir de telle ou telle manière avec les Congolais ?
C. : Et quels étaient ces ordres ?
D.W. : Le relation entre l'État et l'Église à cette époque est un peu ambiguë. Les missionnaires recevaient des concessions de l'État belge pour s'installer au Congo, il y avait une relation assez connexe puisqu'ils avaient besoin de l'État et vice versa pour former la population qui devait être éduquée, même si l'éducation était d'un niveau assez bas.
Il n'y avait pas de règles imposées par l'Eglise aux missionnaires, mais ils devaient se conformer à certains principes et ils devaient contribuer à donner à l'État la main d'œuvre dont il avait besoin.
Les missionnaires du film expliquent comment ils ont fonctionné dans le système colonial et comment ils ont fonctionné dans un pays sans rentrer chez eux pendant parfois 5 ans.
C.: Quelle a été la réaction de l'église face à ces missionnaires qui ont quitté les ordres pour fonder une famille ?
D.W. : Beaucoup d'enfants de missionnaires n'ont pas été reconnus, ils sont restés sans père pendant des années, et on les a abandonnés du jour au lendemain, restés avec leur mère. D'autres missionnaires ont quitté les ordres pour assumer leur famille et sortir de ce devoir de célibat. J'ai contacté le Vatican pour obtenir la lettre disant que mon grand-père quittait les ordres pour se marier et que l’Église l’acceptait mais je n'ai jamais pu l'avoir.
C.: Combien de temps ont duré les recherches pour ton film ? À quelle porte as-tu frappé ?
D.W. : On peut dire que mes recherches pour le film ont démarré il y a plus ou moins quatre ans.
De cette envie de faire des recherches à cette envie de film, il y a eu des résidences d'écriture qui m'ont permis de développer le projet, des recherches auprès des bibliothèques d'ici, d'historiens qui ont travaillé sur la colonisation et l'évangélisation.
J'ai frappé à certaines portes de missionnaires, de congrégations, d'ordres en Belgique, une partie de la communauté religieuse qui m'a aidée à trouver des gens au Congo, pour organiser des tournages là-bas.
Je suis allée frapper à toutes les portes pour avoir le maximum d'informations, pour apporter un regard critique sur ce que je faisais, quand on parle d'un sujet sensible il faut savoir si ce qu'on dit est vrai.
Donc, ça a été un long parcours, de beaucoup de recherches, j'en ai appris énormément sur le sujet.
Dimitra Bouras