"Le ministre des poubelles", film de Quentin Noirfalisse
Fred Arends
Texte
À Kinshasa, ville-monde, Emmanuel Botalatala est un artiste singulier. Depuis la fin des années 1970, il parcourt la cité pour récupérer les matériaux qui serviront à la réalisation de ses tableaux-sculptures, fresques en relief qui racontent l'Afrique, les guerres et l'espoir.
À travers ce beau portrait documentaire, Quentin Noirfalisse mène une habile réflexion sur les liens entre pratique artistique, engagement politique, défis environnementaux et contraintes économiques.
Tourné en 2016 alors que Joseph Kabila tente, contre la Constitution, de rester au pouvoir pour un troisième mandat, « Le Ministre des poubelles » accompagne l'artiste dans son quotidien et dans ses relations avec les Kinois auprès desquel-l-e-s il trouve et négocie les matières premières pour la création de ses tableaux.
Personnalité emblématique, il ne cesse de suivre l'évolution de la société congolaise et des tragédies qui parcourent son histoire. Faussement naïves, ses représentations sont, au contraire, très virulentes et très évocatrices ; l'Afrique surveillée par les fabricants d'armes, ex-colonisateurs qui poursuivent leur entreprise systématique d'exploitation et de bellicisme.
Après des études universitaires et un passage dans une banque, Emmanuel Botalatala prend conscience de son Art comme vecteur de discours et d'outil démocratique. Autodidacte, il compose ses premières oeuvres sous le règne de Mobutu qu'il vend d'abord dans la rue, sur les marchés. Il n'aura de cesse d'interroger l'évolution de l'Afrique et particulièrement de la RDC.
La philosophie de sa pratique révèle un engagement à plusieurs niveaux : l'esthétique de ses tableaux est basée sur le recyclage des déchets, constat amer d'une société, d'un monde où tout est jetable, y compris l'être humain.
Ce « dialogue avec les poubelles » comme il aime à appeler sa méthode de travail, constitue déjà une assertion puissante : la fange enluminée, politisée et sensibilisée devient matière poétique et subversive. Le déchet devient trésor, instrument d'une pensée et d'une expression émouvante.
Cette forme forte est rehaussée par un contenu tout aussi dense où la mort et la terreur s'invitent ; massacres d'enfants au Kivu toujours en proie à un violence insoutenable, droits des femmes inexistants ou sans cesse bafoués. « Artivisme » total.
L'utilisation subtile d'émissions radiophoniques qui relatent les tensions liées aux positions antidémocratiques de Kabila, inscrivent le film dans un présent inquiétant mais non dénué d'espoir.
Ce qui pourrait n'être qu'un joli portrait devient également la quête d'un homme pour assurer une certaine transmission de son savoir.
Il souhaite en effet créer un centre d'art où de jeunes talents pourraient recevoir un apprentissage et où il pourrait laisser une trace de sa trajectoire.
En filigrane, Quentin Noirfalisse trace aussi le beau parcours de Richi, assistant de l'artiste et jeune homme marqué par la douleur, prêt à reprendre le flambeau d'un art unique et indispensable.
© Fred Arends, 2017