© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Vita brevis de Thierry Knauff : Une vie exaltée

 Fred Arends

Texte

Parenthèse enchantée dans une filmographie exigeante et hors-normes, le nouvel opus de Thierry Knauff pourrait passer pour un exercice de style esthétique arty, mais se révèle un film captivant de bout en bout, un hymne précieux à la nature, à la vie et à l'art.

Un été, on se l'imagine, sur les bords de la rivière Tsiza, qui parcourt l'Europe centrale et se jette dans le Danube. Une jeune fille observe la nature alentours. Installée dans une petite barque en bois, elle s'intéresse alors à une étrange créature, insecte fabuleux, dont elle va suivre, comme nous, l'existence ; de l'éclosion du cocon à la mort finale. Dès le premier plan où la fillette (incroyable Hannah Fontaine) est accroupie au bord de l'eau, on sait que celle-ci sera notre guide, nos yeux par lesquels nous découvrirons un nouveau monde, de nouveaux gestes, de nouvelles beautés. Ses mains sont les premières invites à pénétrer un univers étrange et protéiforme, changeant au fil de la lumière, des mouvements et des sons.

Filmé dans un noir & blanc profond où l'eau devient comme une huile, noire et intense, Vita Brevis regarde la vie courte des éphémères, insectes des plans d'eau. Après une vie larvaire antérieure (au film, à nous) d'environ trois ans, celles-ci éclosent par centaine de milliers pour se reproduire, et meurent la plupart à la fin du jour qui les a vues naître. Sous la caméra de Thierry Knauff, cette existence prend des allures de film d'aventures lorsque les larves se battent pour sortir de leur cocon ; de ballets psychédéliques où les nuées d'éphémères voltigent sur les eaux, lumières intarissables et hypnotiques, et de drame émouvant lorsque s'achève la danse de la vie.
Le film enchante car il nous emmène également du côté du conte et du merveilleux. Dotées de deux longs filaments qui prolongent leur corps telles des traînes de princesses, les éphémères vont s'attacher aux cheveux de la petite fille et les faire danser comme les moineaux de Blanche-Neige. Elles s'envolent comme des fées rieuses et brillantes. Cela fonctionne comme un documentaire sur des créatures chimériques, paradoxe étonnant.

Les passages brusques des avions au-dessus de la rivière ramènent soudain l'espace à des proportions immenses, le passage entre ces deux échelles de grandeur apparaît aussi violent qu'infini. Cette perspective renvoie à nos propres existences éphémères dont la fille représente la part naissante, qui va vers le monde.

Présenté au dernier festival international de Rotterdam dans la section « As Long As It Takes : Short & Mid-Length », Vita Brevis de par sa durée originale (40') interroge aussi le formatage des films, alors que contrairement à de nombreux longs métrages, elle se suffit à elle-même. Ni long, ni court, le moyen métrage est sans doute le plus invisible hors télévision. Peut-être faudrait-il, dès lors, repenser le temps des « Double-Tickets » où deux moyens métrages pourraient être projetés lors d'une seule séance ? Un documentaire poétique comme celui-ci a en effet toute sa place dans nos salles de cinéma.

Fred Arends

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Une jeune fille observe la nature, © Thierry Knauff, 2015

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 Fred Arends