© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Lady Bird: Greta Gerwig déploie ses ailes (Cinéma)

Natalie Malisse

Texte

Après avoir co-écrit Frances Ha avec son compagnon Noah Baumbach, en 2012, l’actrice Greta Gerwig (Jackie, Mistress America, Maggie’s Plan...) s’illustre pour la première fois en tant que réalisatrice avec Lady Bird, ouvertement inspiré de sa propre adolescence en Californie, s’appropriant subtilement le film d’apprentissage.

Lady Bird ramène le public en 2003 en plongeant dans le quotidien de l’anticonformiste Christine McPherson (Saoirse Ronan). Élève rebelle et culottée dans un lycée catholique de Sacramento, Christine se fait surnommer Lady Bird. Tiraillée entre soif de culture et d’émancipation, envie de sortir du lot et désir d’appartenance au groupe, Lady Bird rêve avant tout de quitter sa Californie natale et sa famille de ploucs pour intégrer une université de la côte Est des États-Unis.

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Lady Bird s’ajoute à la longue liste de coming-of-age movies ou films d’apprentissage qui retracent l’évolution psychologique du personnage principal, généralement un adolescent évoluant comme dans les classiques Sixteen Candles et The Breakfast Club de John Hugues mais aussi La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, Boyhood de Richard Linklater ou The Perks of being a Wallflower, adapté du roman éponyme de Stephen Chbosky.

Différents épisodes de la dernière année de lycée de Christine sont compilés, de sa première cuite au jour de ses dix-huit ans, le tout ponctué d’ellipses narratives. Greta Gerwig, malgré ce pitch des plus classiques, offre un portrait nuancé de l’adolescence, évitant les éternels stéréotypes, retrouvés notamment dans Glee et l’humour graveleux d’American Pie.

Le casting des personnages adolescents évite les acteurs trentenaires et met en lumière la nouvelle génération d’étoiles montantes du cinéma anglophone : Saoirse Ronan (The Atonement, Lovely Bones, Brooklyn), Lucas Hedges (Three Billboards Outside Ebbing Missouri, Manchester By The Sea, Moonrise Kingdom), Timothée Chalamet (Call Me By Name, Hostiles, Interstellar),…

Incarnant Lady Bird, Saoirse Ronan, prononcez son prénom « sœur-ché », déride le spectateur par son regard courroucé, fait inhabituel pour l’actrice qui s’illustre majoritairement dans des drames. Délaissant son accent irlandais pour l’accent californien, l’actrice n’en est pas moins authentique jusque dans sa peau marquée d’acné juvénile. Elle est entourée de seconds rôles délicieux : Beanie Feldstein interprète la meilleure amie timide et fidèle, Lucas Hedges est le gendre idéal, propret et francophile, tandis que Timothée Chalamet endosse le rôle du rockeur ténébreux et technophobe de cette chronique lycéenne.

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Laurie Metcalf incarne, quant à elle, une mère plus vraie que nature, jonglant entre son travail d’infirmière en hôpital psychiatrique, la dépression de son mari au chômage et les lessives quotidiennes.

Les personnages sont tellement attachants que l’on regrette certaines scènes coupées au montage, évoquées en conférence de presse, qui développaient leur personnalité et les intrigues secondaires. J’ai retrouvé, dans cette large galerie de portraits, certains proches, d’anciens professeurs et camarades de classes.

On se délecte des répliques qui fusent et de la plume, tout en justesse, de la réalisatrice, déjà adulée par les aficionados de cinéma indépendant et en particulier du mumblecore (sous-genre du cinéma indie américain caractérisé par une production low-cost, des protagonistes à la fin de la vingtaine et des dialogues improvisés prenant le pas sur l’intrigue). Greta Gerwig est à présent la cinquième femme de l’histoire ayant obtenu une nomination pour l’Oscar de la meilleure réalisation.

La réalisatrice a par ailleurs obtenu l’autorisation d’utiliser les tubes qui ont bercé son adolescence pour la bande-originale de son film. Cry Me a River de Justin Timberlake, Crash Into Me de Dave Matthews et la voix d’Alanis Morissette ramènent le public à l’aube de l’an 2000. Pour immerger son équipe dans cette époque qui précède l’invasion des réseaux sociaux, Greta Gerwig a banni les téléphones portables des plateaux du tournage de Lady Bird.

La bande sonore et le traitement de l’image font de Lady Bird une œuvre nostalgique. Même si Gerwig n’a pas franchi le pas de tourner en Super 16 mm comme le directeur de photographie Ed Lachman pour Carol, elle et son équipe ont cependant travaillé le grain et les dominantes orangées et cyan, selon les scènes, pour évoquer le souvenir. La musique de John Brion oscille entre la mélancolie des instruments à vents et la légèreté des cordes.

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Comédie dramatique douce-amère sur la fin de l’adolescence, l’envol vers l’âge adulte et les relations conflictuelles entre mère et fille, Lady Bird est un film jubilatoire qui a touché en plein cœur l’adolescente que j’ai été. Quel étonnement qu’il soit revenu bredouille des Oscars malgré ses cinq nominations, l’enthousiasme de la critique, ses deux Golden Globes (Meilleure Comédie et Meilleure Actrice dans une comédie) et sa note record sur le site Rotten Tomatoes.

La pop culture s’est d’ores et déjà emparée de la figure emblématique de Lady Bird, la propulsant à l’affiche de nombreuses pancartes et bannières lors de la Women’s March visant à défendre l’égalité des droits entre hommes et femmes aux États-Unis.

Greta Gerwig a, par ailleurs, confié dans une récente interview qu’elle souhaitait que les spectateurs téléphonent à leurs parents en sortant de la séance. Cette œuvre aborde en effet avec subtilité la délicate géométrie des relations entre les générations, fait écho à l’adolescence du spectateur.

Le pasteur et professeur de théâtre de Christine affirme : « It is not important to be right, it is important to be true », traduisez « Il n’est pas important d’avoir raison, il est important d’être vrai ». Et cela, la très prometteuse Greta Gerwig l’a bien compris.


© Natalie Malisse, Revue Karoo, sept. 2018


Metadata

Auteurs
Natalie Malisse
Sujet
Film Lady Bird Greta Gerwich 2018 film apprentissage coming-of-age movie
Genre
Chronique cinéma
Langue
Français
Relation
Revue en ligne Karoo.me septembre 2018
Droits
© Natalie Malisse, revue Karoo 2018