Exploration du langage de la bande dessinée. Rencontre avec Thierry Van Hasselt
Fanny Deschamps
Texte
Thierry Van Hasselt est auteur de bande dessinée, plasticien, scénographe, installateur, graphiste et professeur à Saint-Luc. Il est aussi l’un des membres fondateurs du Frémok, plateforme d’édition indépendante bruxello-bordelaise menée par un collectif et issue de la rencontre d’artistes passionnés. Depuis vingt-cinq ans, les livres publiés par le Frémok proposent une bande dessinée qui sort du cadre, repousse sans cesse ses frontières avec l’art plastique et la narration littéraire.
*
Que ce soit au niveau du format de ses livres (parfois très petits ou très grands, épais ou minces), par les techniques plastiques utilisées pour les réaliser, les sujets traités, le Frémok n’est jamais là où on l’attend.
Formé dans les années nonante par un groupe d’étudiants en art réunis par des aspirations et projets communs, le Frémok, qui s’appelle alors Frigo Production, puis le Fréon, a commencé en créant des ouvrages faits maison, à la photocopieuse, en sérigraphie ou en gravure. De la microédition artisanale à tout petit tirage. Dès cette période, la conscience des moyens de production et la volonté de dépasser une qualité standard constituent la pierre angulaire de leur travail. Ultra-exigeant sur la qualité d’impression, le collectif investigue en particulier ce champ technique.
Thierry Van Hasselt, un des membres les plus actifs du Frémok, y publie une œuvre singulière, qui commence avec la parution de Gloria Lopez. Dans ses albums de bande dessinée, on entre en immersion dans l’image, dans une narration tout sauf classique, on perd ses repères pour mieux se laisser happer. Il a récemment reçu le Prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles en bande dessinée pour son ouvrage Vivre à Frandisco, réalisé avec l’artiste Marcel Schmitz, créateur d’une ville imaginaire.
Thierry Van Hasselt, comment a commencé votre parcours dans la bande dessinée?
J’ai aimé la bande dessinée très jeune et j’ai voulu très tôt en faire mon métier. Après une scolarité un peu douloureuse, j’ai commencé la bande dessinée à Saint-Luc à Bruxelles. Cela a été une période de découverte, de liberté et d’ouverture vers des univers dont je ne soupçonnais pas l’existence. Alors qu’au départ je m’intéressais à de la bande dessinée plutôt classique, j’ai découvert le travail de Lorenzo Mattotti, qui a provoqué en moi un déclic : il était possible de connecter la peinture, la grande littérature et la bande dessinée. Mattotti a été le passeur qui m’a permis d’autres découvertes comme celles de la bande dessinée espagnole, de la revue d’Art Spiegelman Raw, du travail d’Alex Barbier, de José Muñoz… J’ai ensuite rencontré le groupe Moka, constitué par des étudiants de Saint-Luc un peu plus âgés que moi, parmi lesquels il y avait Éric Lambé ou Alain Corbel, et qui avait créé une revue. Nous nous sommes au départ clairement inscrit dans la prolongation de ce groupe qui n’a pas duré mais dont nous avons récupéré l’énergie. Nous avons repris le flambeau en créant d’abord le groupe Frigo Production puis, après une restructuration du groupe, les éditions Fréon.
Plus tard, nous avons rencontré les gens d’Amok à Paris et avons décidé de travailler ensemble, ce qui a donné naissance au Frémok.
Nous investissons beaucoup dans la production et la fabrication. C’est notre terrain d’expérimentation. Nous travaillons de près avec un photograveur qui lui-même collabore étroitement avec un imprimeur. Notre manière de travailler est hors norme, nous utilisons une technique d’impression tout à fait nouvelle. Aujourd’hui, ce sont souvent les auteurs qui scannent leurs propres illustrations. Or, ils ne sont pas formés pour le faire. L’évangile doré de Jésus Triste (réalisé avec La « S ») a été imprimé avec deux noirs pour obtenir une saturation d’encre proche de celle de la linogravure.
Le Frémok travaille avec La « S » Grand Atelier qui propose des ateliers de création pour des artistes mentalement déficients. Qu’est-ce qui vous a mené à collaborer sur des projets collectifs puis sur Frandisco?
C’est Anne-Françoise Rouche, directrice de La « S », qui est venue vers nous. Ils organisent des résidences d’artistes dans le cadre de leur projet de mixités entre artistes mentalement déficients et artistes contemporains. Ils souhaitaient travailler dans le domaine de la bande dessinée, et le côté expérimental du Frémok, ses libertés par rapport aux normes de la bande dessinée canonique, leur ont donné envie de venir nous chercher. Après une première réaction de perplexité, car on s’interrogeait sur ce vers quoi cette collaboration allait nous mener, nous avons accepté. Cela nous motive toujours d’aller vers l’inconnu et là où on ne nous attend pas. Très vite, ce travail de collaboration s’est révélé être transformateur pour nous. Cela a en fait bouleversé nos pratiques de la bande dessinée, puis donné lieu à la création d’une plateforme d’édition commune, Knock Outsider, dédiée à l’art brut contemporain et à la recherche autour de cet art.
En quoi cela a-t-il bouleversé les artistes du Frémok?
Nous sommes des artistes plutôt cérébraux, avec une conscience théorique. Nous avançons dans une autoréflexion constante de nos pratiques. Nous nous sommes soudain confrontés à des artistes qui n’étaient pas dans cette intellectualisation du travail, mais plutôt dans une grande liberté par rapport au médium. Ce télescopage-là a amené une sorte de choc esthétique, puis une autorisation de partir dans des directions dans lesquelles, encombrés par notre théorie ou notre culture, nous ne serions pas allés seuls. Je pense notamment au projet que j’ai réalisé avec Marcel Schmitz : quand je travaille seul, le ton est beaucoup plus grave, avec un rapport au monde présentant plus d’angoisse, de pesanteur. Avec Marcel, je suis parti dans une espèce de jubilation, de joie de vivre, des choses beaucoup plus élémentaires, aussi bien dans la façon d’aborder le dessin que dans le sujet, qui est la découverte d’un monde heureux, ludique, même si une certaine gravité est aussi présente. Nous sommes heureux de travailler ensemble et c’est aussi ça que je raconte. Jamais je n’aurais pensé faire un travail dans l’optimisme, l’humour et la légèreté tout en posant des questions fondamentales et profondes. Je n’en reviens toujours pas, à vrai dire, d’avoir fait une telle bande dessinée. Parallèlement, je continue à travailler seul et c’est alors un travail beaucoup plus sombre, écorché.
Votre style graphique évolue sans cesse. De Gloria Lopez à Vivre à Frandisco, votre technique diffère. Comment expliquez-vous cela?
Je n’ai pas une mais plusieurs techniques de prédilection. Je me pose d’abord la question du sujet : de quoi est-ce que je veux parler ? Qu’est-ce que je veux convoquer dans un récit ? La technique suit. Je vais trouver un outil qui me permettra, de la façon la plus adéquate, d’en parler.
Pour Gloria Lopez, qui traite de perception mentale et de flou de conscience, j’ai utilisé la technique du monotype, où l’image n’est jamais fixée et semble toujours pouvoir se diluer. Pour traiter cette question d’apparition/disparition du sujet, c’était la plus appropriée. Pour un autre de mes projets, lié à la danse, avec la chorégraphe Karine Ponties, qui parle de ces mouvements mentaux, j’ai utilisé la même technique, en continuité avec Gloria Lopez.
Pour Vivre à Frandisco, qui traite de la ville, j’avais envie d’utiliser un outil d’architecte et de revenir à quelque chose de très simple. Je n’avais jamais travaillé au trait. C’était pour moi un très grand déplacement graphique et esthétique, mais qui correspondait bien au déplacement du sujet. Je suis donc parti sur cet outil que je n’avais qu’à peine expérimenté auparavant par des croquis dans des séries de carnets.
J’aime débuter une nouvelle technique en même temps qu’un projet. Je suis en train de travailler sur d’autres récits à la peinture à l’huile et en couleur, ce qui est donc encore tout autre chose.
Comment se passe le processus de création d’un projet ? Passez-vous par une longue période de maturation?
Ça commence par une envie. Je travaille depuis quinze ans sur un projet évoquant la figure de l’ogre, commencé à la suite de l’affaire Dutroux. L’autre point de départ de ce travail est la lecture d’un livre de George Bataille sur le procès de Gilles de Rais. J’ai fait une connexion entre ces deux personnages.
Par ailleurs, je travaille sur toile à l’huile et c’est lié à des choses plus intimes.
C’est toujours l’envie qui me lance dans un récit, sans que je ne sache vraiment où je vais. Il y a toujours de l’improvisation. L’envie crée une première image puis les choses se développent progressivement.
Quel moment préférez-vous dans ce processus?
Quand ça commence à prendre forme, quand la séquence commence à naître. La bande dessinée, c’est une écriture à part entière : on est déjà en train d’écrire avec des images. J’essaie directement de raconter avec des images, associées avec des mots ou juste entre elles, puis je vois si ça fonctionne. Par après, je ressens le besoin de faire un plan ou des découpages pour restructurer mais pas au départ du projet. Il n’y a pas de long travail préparatoire qui précède la mise en images.
Depuis le début de votre carrière, vous êtes autant éditeur qu’auteur. En quoi ces deux pratiques s’influencent-elles l’une l’autre?
Être éditeur, c’est avoir l’opportunité de rentrer dans le travail d’auteurs que j’admire, c’est avoir des raisons de discuter avec eux et d’apprendre. Et cela a un écho direct sur ma pratique d’auteur. Alex Barbier, par exemple, qui est un des auteurs contemporains les plus importants en bande dessinée, m’a beaucoup apporté à propos de la structure narrative de la bande dessinée. Il a une approche de la déconstruction du récit proche d’écrivains comme William Burroughs. Son travail est lié à toute une réflexion sur le statut de l’image : la façon dont l’image picturale prend en charge le récit différemment d’un dessin à la ligne claire, par exemple en utilisant le flou, la disparition, la suggestion. Ce qui m’intéresse, c’est de discuter avec cet auteur de la façon dont on va pouvoir faire un livre à partir de son travail, et de comment le produire. J’apprends beaucoup de choses de toutes ces discussions. Accompagner une œuvre de manière fondamentale, la comprendre de l’intérieur, tout cela enrichit ma pratique personnelle. Il en est de même pour tous les auteurs avec qui je travaille, que ce soit des auteurs proches comme Dominique Goblet, Vincent Fortemps ou Frédéric Coché, ou des auteurs rencontrés dans le cadre du Frémok.
Comment le Frémok choisit-il de publier un projet?
Le Frémok existe depuis une vingtaine d’années et, au fil du temps, notre fonctionnement a beaucoup évolué. Aujourd’hui, il n’y a plus que deux auteurs impliqués dans le travail quotidien (Yvan Alagbé et moi), mais une dizaine de personnes y travaillent. Tout le monde est bénévole. Certains postes sont rémunérés à la tâche, mais il n’y a aucun salaire.
Il n’y a pas de hiérarchie, c’est une structure horizontale où toutes les décisions éditoriales sont prises collégialement par vote, via un blog interne. Les projets sont discutés par un premier cercle de coordination et une série d’auteurs historiques et fondateurs du Frémok : Vincent Fortemps, Dominique Goblet, Olivier Deprez, Frédéric Coché, Paz Boïra… : au total, une quinzaine de personnes votent les projets. Nous publions entre six et dix livres par an, le choix est donc parfois difficile : il y a de très bons livres qu’on ne fera pas.
On cherche des choses inattendues, qui utilisent les codes et le langage de la bande dessinée ou détruisent ces codes d’une manière particulière. Nous sommes dans un questionnement constant du médium.
Le Frémok sort du cadre : que ce soit par le format de l’objet-livre, par des illustrations présentant un aspect brut et des techniques peu classiques, ou une narration qui ne respecte pas les codes auxquels les lecteurs sont habitués, on sent une démarche expérimentale. En quoi cela correspond-il à la ligne éditoriale du Frémok?
La plupart des artistes avec lesquels on travaille sont des plasticiens. Ils envisagent donc le dessin d’une manière décalée par rapport à celui de la bande dessinée traditionnelle, qui est sans doute plus fonctionnel, plus directement narratif et univoque.
Nous pensons que dans le processus du dessin, il existe des indices de lecture qui peuvent conduire à d’autres paramètres qu’uniquement ceux du sujet et du mode de représentation. L’histoire du dessin, de sa fabrication et de sa conception, vont conditionner le récit et le ton du livre. Je pense par exemple à Frandisco ou aux livres de Frédéric Coché, où l’on sent vraiment le travail du graveur. Tout cela amène une couche de narration supplémentaire. C’est de la narration.
C’est une pratique habituelle dans la peinture, dans une œuvre plastique ou dans certaines œuvres littéraires, et cela me semble naturel qu’on puisse utiliser le même processus en bande dessinée. Du fait que notre pratique n’est pas limitée à la bande dessinée, puisque nous sommes pour la plupart aussi plasticiens ou travaillons l’écriture, il est normal que nous amenions des pratiques liées à d’autres médiums dans celui de la bande dessinée. Cela peut étonner au premier abord puisqu’on n’y est pas habitué dans le monde du Neuvième Art, mais c’est justement ce qui est intéressant : voir ces nouvelles couches de possibilité dans une bande dessinée.
Cette approche de la narration peut-elle expliquer que nombre d’albums du Frémok présentent peu ou pas du tout de texte, invitant à entrer dans le récit avant tout par l’image?
Oui. Une narration doit être portée autant par le texte que l’image ou uniquement par les images. Et c’est même parfois dans ce second cas que le projet est le plus littéraire, ou le plus narratif. Je prends comme exemples Par les sillons de Vincent Fortemps et Le fils du roi d’Éric Lambé, deux livres complétement muets, dans lesquels on retrouve une dimension de littérature romanesque expérimentale très puissante et polysémique. Pour moi, c’est comparable à de la grande littérature. C’est une question de style d’écriture, et, dans ce cas-ci une écriture graphique, par l’image.
Les mots peuvent être présents mais ne doivent pas être là pour combler un sens insuffisant dans les images. Ils doivent eux aussi être polysémiques, porteurs de sens. Il faut qu’ils aient une autonomie, et il peut y avoir une contradiction, un jeu entre mots et illustrations et que chacun porte suffisamment le récit sans être inféodé l’un à l’autre.
C’est grisant de travailler uniquement avec l’image, sans doute aussi parce qu’il reste encore énormément de choses à faire. Sur Frandisco [qui est muet, ndlr], je n’ai pas réussi à mettre un texte qui ne referme pas les images. D’un autre côté, nous allons le rééditer en ajoutant des notes explicatives à la fin car il manquait une mise en contexte, et il est important que les gens en sachent plus sur le projet. Tout ce que j’y représente a des raisons d’être qui échappent à la lecture.
On peut concevoir vos livres comme pointus. Comment envisagez-vous votre rapport au public?
On essaie de mettre un maximum d’atouts pour que les livres puissent atteindre un public le plus large possible. En revanche, on ne sélectionne pas les projets en se posant la question du public, on se pose uniquement la question de leur pertinence artistique. Une fois qu’on a pris la décision de publier tel livre, on se demande comment arriver à le vendre, bien sûr, et comment en parler, accompagner ce livre et, s’il est compliqué, comment donner les clés pour le lire. Par exemple, pour le projet Knock-outsider, nous avons réalisé une gazette afin de communiquer, via une interview d'AF Rouche, la directrice de La "S" Grand Atelier, sur la démarche du projet qui restait un peu mystérieux.
Nos livres peuvent être impressionnants, en ceci qu’ils sont presque primitifs, très simples, en fait, ils ne nécessitent rien d’autre pour y avoir accès que de s’autoriser à entrer dedans. Par les sillons de Vincent Fortemps est un grand livre contemplatif, sans texte, très pictural, dans lequel il faut simplement se laisser aller, se promener. Il faut simplement accepter qu’il y ait des choses qui échappent à la compréhension. L’idée est donc de donner les clés au public, de lui dire qu’il est invité à entrer dans ces livres, destinés à tout un chacun. Nos publications ne sont en aucun cas élitistes.
La question de la diffusion, de la représentation en librairie, de l’accès à nos livres, c’est quelque chose qui nous questionne et nous y travaillons. Cela prend beaucoup de temps et de ressources dans un marché hostile, saturé, concentré. Il y a quelque chose de politique à continuer à faire nos livres tels qu’ils sont conçus dans un tel contexte éditorial et économique. Nous essayons d’être sur le terrain, nous y allons avec nos moyens et c’est au cœur de notre réflexion quotidienne. Les réseaux sociaux nous permettent aussi d’être proches du public.
Quel regard portez-vous sur le monde éditorial actuel?
Pendant longtemps, on ne voyait pas arriver de relève qui apporte quelque chose de nouveau. Les nouveaux éditeurs indépendants semblaient plus consensuels. Or, depuis quelques années, on observe un renouvellement avec des nouvelles maisons d’édition présentant une grande qualité de production. Tout le monde rame dans le secteur, et peine à atteindre un modèle économique stable, mais certains y arrivent, même à toute petite échelle. Je pense à la revue de bande dessinée Lagon, en risographie, à Misma, 2024, Arbitraire ou Super-Structure en Belgique… Il y a une scène, qualitative et innovante, mais il y a également une vraie difficulté à s’insérer dans le marché. L’édition de création reste très fragile et malmenée, de l’auteur au libraire en passant par l’éditeur.
Le Frémok continue à fonctionner d’une part parce qu’il repose sur cette structure de bénévoles et d’autre part grâce au soutien des institutions publiques. Des aides à la publication et au fonctionnement nous permettent d’exister.
Alberto G a été publié avec le Seuil, Plus si entente ou Paysage après la bataille avec Actes Sud… Comment se sont passées ces coéditions?
Nous sommes allés voir Actes Sud parce que nous avons pensé que ces livres, à travers cette association, pourraient toucher un public plus large. Il s’agissait de projets qui avaient un potentiel de vente important et qui représentaient un énorme chantier au niveau de la conception et de la fabrication, impliquant un investissement financier que nous ne pouvions pas nous permettre. Pour ces différentes raisons, nous sommes allés voir Thomas Gabison, dont nous aimons le travail éditorial, et il s’est montré enthousiaste par rapport au projet. Cette collaboration était donc l’opportunité de réaliser ce Paysage après la bataille [qui a remporté le Fauve d’Or 2017 au festival d'Angoulême, ndlr] d’Éric Lambé et Philippe de Pierpont sans y engager toutes nos ressources financières.
Il y a aussi eu la publication, toute récente, d’Apparitions Disparitions et autres mouvements (des mêmes auteurs). Il s’agit d’une réédition en une volume de trois récits, publiés auparavant chez différents éditeurs, et dont certains n’étaient plus disponibles. Ils ont été en partie réécrits. Cela a été l’occasion de refaire entièrement la photogravure.
Vous enseignez la bande dessinée à Saint Luc. Quel en est l’impact sur vos activités d’auteur ou d’éditeur?
Être professeur, c’est un peu comme être éditeur puisqu’on est dans l’accompagnement du travail d’autres personnes. Cela aide à verbaliser des questionnements et les rendre plus clairs. Cela m’a posé un problème pendant un certain temps, car quand je commençais à dessiner, j’avais une petite voix de prof dans la tête qui analysait mon travail comme j’analyse celui des étudiants. Je perdais alors en spontanéité. J’ai résolu depuis lors ce souci, notamment via la collaboration avec des artistes mentalement déficients, ce qui m’a complètement libéré.
J’apprécie ce grand écart entre le métier de prof, où je suis dans l’analyse et la réflexion, l’expertise, et travailler avec La « S », où on est dans une spontanéité fondamentale, sans directive.
En tant que prof comme dans l’édition, je suis confronté à des personnalités riches, inattendues, au talent énorme qu’il faut arriver à canaliser, à amplifier, et qu’il ne faut surtout pas réduire ou diriger. Chez les étudiants, ce talent est encore parfois en germe. Il faut les accompagner dans ce questionnement, leur donner les outils techniques, des pistes. C’est un défi et un apprentissage quotidiens.
© Fanny Deschamps, 2018