© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Espace Nord, le patrimoine littéraire à l’usage de tous

 Nausicaa Dewez

Texte

Espace Nord, collection patrimoniale dédiée aux Lettres belges francophones, fête en 2015 ses 32 ans et compte plus de 330 numéros à son catalogue.
Gérée par Les Impressions nouvelles et Cairn.info, la collection s'ouvre à plusieurs nouveautés, tout en restant fidèle à ses principes de base.
On en parle avec Tanguy Habrand, responsable de la collection.

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Le Carnet et les instants : Tanguy Habrand, vous assurez depuis un peu plus de trois ans les fonctions de responsable de la collection Espace Nord. Pourriez-vous tout d'abord nous retracer l'histoire de cette collection ?

Tanguy Habrand : La collection Espace Nord est née en 1983, dans un contexte où la littérature francophone belge n'allait pas de soi. Espace Nord prenait en quelque sorte la relève de la collection « Passé Présent » développée quelques années auparavant par Jacques Antoine, en lui apportant le critère de l'accessibilité que permet le format de poche. La collection s'est d'emblée située, dans son organisation, à l'intersection des pouvoirs publics, des universités et du monde des Lettres et de l'édition. Ce sont les éditions Labor qui en ont assuré la conduite pendant plus de vingt ans, puis le Groupe Luc Pire et La Renaissance du Livre. Après avoir longtemps soutenu la collection Espace Nord, la Fédération Wallonie-Bruxelles en est devenue propriétaire en 2010 et a confié sa gestion à des acteurs du monde de l'édition par voie de marché public. Cette gestion est assurée aujourd'hui à la fois par Les Impressions Nouvelles et Cairn.info pour le numérique.

La collection est donc à présent éditée par les Impressions Nouvelles. Quelles inflexions ce nouvel éditeur a-t-il voulu donner à la collection?
Je pense que ce qui a guidé nos actions dès le départ a été le respect du travail accompli. Nous n'avions pas l'intention de remettre en cause un modèle qui avait fait ses preuves et avons plutôt cherché à l'améliorer en gardant toujours cette question à l'esprit : comment inscrire Espace Nord dans la société d'aujourd'hui, tant du point de vue de l'enseignement que du grand public ?
La solution de facilité consisterait à accoler l'adjectif « numérique » à nos moindres faits et gestes, ce qui serait tout à fait dans l'ère du temps. Nous développons évidemment le catalogue numérique de la collection en collaboration étroite avec Cairn.info, au rythme d'une quinzaine de titres par an, mais ce n'est qu'un rouage parmi d'autres.
Nos premières interventions ont porté aussi bien sur des aspects techniques (esthétique des couvertures, diffusion et distribution, actualité des contrats) que sur des choix éditoriaux avec un comité éditorial diversifié, de manière à couvrir le plus grand nombre d'époques et de sensibilités. En cela, notre travail relève avant tout de l'adaptation à une époque et du perfectionnement.


Restez-vous fidèle au principe d'accompagner les textes d'une postface et d'une bio-bibliographie ?

Oui, car l'appareil critique en fin de volume participe aussi de la spécificité de la collection. Il convient toutefois d'adapter le ton et les intentions de chaque postface aux volumes publiés.
Les nouvelles éditions des Villages illusoires (Émile Verhaeren) et de Bruges-la-Morte (Georges Rodenbach) que Christian Berg est en train de préparer, la refonte en terme de structure du recueil des Nouvelles du Grand Possible (Marcel Thiry) proposée par Pascal Durand, les postfaces d'Isabelle Ost à Circuit (Charly Delwart), de Daniel Laroche à Mémoires d'un ange maladroit (Francis Dannemark) ou de Rossano Rosi à Madrid ne dort pas (Grégoire Polet), portant sur des œuvres plus contemporaines – tous ces textes ont en commun leur dimension critique et répondent à un même critère d'accessibilité, mais ils se mettent avant tout au service des textes publiés.
Or ces œuvres – plus ou moins récentes, plus ou moins inscrites dans une « Histoire » littéraire – ne nécessitent pas le même accent porté sur des questions d'ordre stylistique, thématique, philologique, sociologique... Nous avons donc des postfaces plutôt issues de la recherche, sur le mode de la vulgarisation scientifique, et des postfaces plus ancrées dans la critique littéraire. Dans tous les cas, maintenir le principe des postfaces nous semble à la fois nécessaire et précieux, d'autant que les espaces réservés au discours sur la littérature se font rares.


Espace Nord est considéré comme une collection patrimoniale. Pourtant, dans les derniers numéros parus, Stéphane Lambert (Charlot aime Monsieur, Espace Nord 333) côtoie Robert Poulet (Handji, Espace Nord 323). Qu'est-ce qui dicte les choix des œuvres et auteurs qui font leur apparition dans la collection?

La notion de « patrimoine » ne renvoie pas forcément au passé et s'étend à tout ce qui présente un intérêt culturel ou artistique, pour un public donné. Nous devons nous montrer attentifs aux grands classiques et préparer, dans la mesure du possible, les classiques de demain.
La sélection des œuvres et des auteurs est effectuée en concertation avec le comité Espace Nord, mais il y a plusieurs modes de sélection.
Les œuvres qui relèvent, tout d'abord, des titres précédemment publiés dans la collection et auxquels il convient de donner une nouvelle vie: les premiers titres publiés en Espace Nord ont une trentaine d'années, il y a là comme un principe de mise en abyme, où la collection patrimoniale devient son propre patrimoine. Nous avons commencé ce travail de réédition avec des auteurs tels que Maurice Maeterlinck, Camille Lemonnier ou André Baillon, et allons approfondir ce travail avec Charles de Coster, Georges Eekhoud, Neel Doff, Michel de Ghelderode, Conrad Detrez ou encore Georges Simenon.
Une autre approche consiste à nourrir le catalogue de périodes peu représentées de l'histoire littéraire, que l'on pense au réalisme magique de l'entre-deux-guerres avec Handji de Robert Poulet (postface de Benoît Denis) ou au surréalisme avec une grande anthologie préparée en ce moment par Paul Aron et Jean-Pierre Bertrand. Sans oublier le dernier quart du XXe siècle : Histoires singulières de Jean Muno, de grands textes de Jacqueline Harpman, de Nicole Malinconi, de Pierre Mertens, qui ont été contemporains des premières années d'Espace Nord.
Pour les œuvres les plus récentes, nous veillons tantôt à saluer une trajectoire littéraire, tantôt à privilégier des auteurs très appréciés dans les écoles. C'est ainsi que la collection Espace Nord a pu inscrire à son catalogue Chants des gorges de Patrick Delperdange, La Seconde Vie d'Abram Potz de Foulek Ringelheim, Le Jour du chien de Caroline Lamarche, Les ours n'ont pas de problème de parking de Nicolas Ancion, Café Europa de Serge Delaive, Charlot aime Monsieur de Stéphane Lambert, et que nous suivons de très près les œuvres d'Armel Job, d'André-Marcel Adamek, de Xavier Hanotte, de François Emmanuel ou encore de Michel Lambert.

Une circulaire ministérielle récente incite les professeurs de français à l'étude de la littérature belge en classe. Comment la collection Espace Nord peut-elle aider les enseignants à rencontrer cet objectif?
Parallèlement aux postfaces, nous avons développé un outil spécifiquement adressé aux enseignants : des dossiers pédagogiques. Il en existe près d'une dizaine à l'heure actuelle, sur des titres tels que Pelléas et Mélisande (Maeterlinck), La Salle des profs (Wouters), Chants des gorges (Delperdange) ou Malpertuis (Ray).
Le rythme de production de ces dossiers a été fixé à 12 par an et nous avons tenu à ce qu'ils soient gratuits, dans un espace pédagogique sur le site web de la collection.
Ils sont axés sur la pratique enseignante avec des rubriques que l'on retrouve dans chaque dossier : présentation de l'auteur, de l'œuvre, inscription de l'œuvre dans une époque, thèmes abordés, ou encore et surtout séquences de cours en relation aux référentiels de compétences.
Dans une perspective plus large, il nous semble également indispensable de faciliter la circulation de tout un chacun au sein d'un catalogue très fourni. Nous réalisons à cet effet un catalogue sélectif de titres Espace Nord dans lequel les œuvres seront classées plus efficacement que par numéro au sein d'une collection. Y seront repris les grands mouvements de l'Histoire littéraire (en prolongement de la circulaire que vous évoquiez), les genres (le roman policier, l'uchronie, l'autofiction) ou encore les thèmes – qu'il s'agisse de la Première Guerre mondiale, de la mort d'un proche, de l'endoctrinement, de l'identité belge ou encore des rapports entre littérature et cinéma.


Quelles sont les grandes actualités de la collection en 2015 ?

L'année 2015 est très éclectique.
Plusieurs titres vont explorer différentes facettes de l'humour : les tribulations d'un Napoléon cherchant désespérément à reprendre le pouvoir (La Mort de Napoléon de Simon Leys), les petites manies de nos amis les « chiens-chiens » (La Constellation du chien de Pierre Puttemans), la philosophie poussée jusqu'à l'absurde avec Hegel ou la vie en rose de l'artiste-performer Éric Duyckaerts dont je recommande les vidéos en ligne à tous ceux qui n'auraient pas eu la chance de le voir.
Dans la même veine, nous rééditerons Le Mariage de Mlle Beulemans de Fernand Wicheler et Frantz Fonson, qu'on ne présente plus, et publierons également Jardin Botanique, réflexions à la fois sentimentales et ironiques sur l'identité belge d'Alain Bertrand, qui nous a quittés trop tôt l'an dernier.
Certains volumes auront valeur de grands ensembles : l'anthologie du surréalisme dont j'ai déjà parlé, une édition revue et complétée des Nouvelles belges à l'usage de tous établie par René Godenne, ainsi que l'anthologie d'une vie consacrée, parmi bien d'autres choses, à la critique : Littérature belge d'aujourd'hui, le meilleur des chroniques littéraires de Jacques De Decker, une histoire de la littérature comme elle vient.
Un texte injustement introuvable : Anvers ou les anges pervers de Werner Lambersy. Ou un Adamek inédit dans la collection Espace Nord : Le Plus Grand Sous-marin du monde.
Bref, tout un programme !


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 Nausicaa Dewez