© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Atlas sonore de la quarantaine

Philippe Boula de Mareüil [texte français]

Texte

Le confinement ne se prête guère à la linguistique de terrain. Pour des langues minorisées comme le wallon, dont les locuteurs sont le plus souvent pensionnés, seules quelques enquêtes ont été rendues possibles par la fin de la quarantaine de 2020: elles sont en ligne à l’adresse

 voir web   https://atlas.limsi.fr/?tab=be


Aussi avons-nous entrepris de recueillir, via Internet, une quarantaine de traductions de la fable d’Ésope « La bise et le soleil », dans des langues/dialectes minoritaires d’Europe, dont des langues sans territoire compact comme l’aroumain.

Ces langues, objets de stigmatisation à l’instar du rromani, soulèvent des questions non moins intéressantes que le wallon ou le francique. L’hétérogénéité de ces langues, presque consubstantielle à leur état minoritaire, va ainsi alimenter un discours commun, puriste, fixiste et essentialiste : « on ne dit pas ça comme ça » ou, entre deux variétés de ces langues, « ils [les autres] ne parlent pas comme nous ».

L’atlas sonore des langues de France, Belgique, etc. a été élargi aux langues minoritaires d’Europe, dont nous avons cherché à contacter des locuteurs à distance, les invitant à s’enregistrer eux-mêmes, les téléphones portables, notamment, donnant aujourd’hui d’excellents résultats.

Non seulement la crise sanitaire nous a empêchés de nous déplacer, mais encore aller des Îles Féroé au Grand Nord scandinave, des Pays baltes aux Balkans, aurait été dispendieux et coûteux en temps.
Le confinement nous a également permis de rajeunir la moyenne d’âge de nos témoins, des collègues linguistes nous proposant d’enregistrer leurs filles, locutrices natives des langues/dialectes qui nous intéressaient.

Envoyant une dizaine de courriers électroniques par jour, de fil en aiguille, à des relations de relations, ce fut plus rapide que prévu.
À partir de langues dominantes comme l’anglais, l’allemand, etc., nous avons ainsi reçu des traductions de la fable d’Ésope dans:

- 5 langues celtiques : gallois, cornique, gaéliques écossais, mannois et irlandais ;

- 4 langues finno-ougriennes :sámi (anciennement nommé lapon), võro, meänkieli et kven (langues fenniques respectivement d’Estonie, de Suède et de Norvège) ;

- une langue balte de Lettonie, le latgalien et une prononciation restituée du grec ancien, clin d’œil à Ésope (que nous avons cartographiée en Attique) ;

- 15 langues ou dialectes germaniques: féroïen, gutnisk (vieille langue de l’Île de Gotland), scots (des Îles Shetland), northumbrien (également au Royaume-Uni), frison, limbourgeois et groningois (tous trois aux Pays-Bas), saxon, bas saxon (Plattdüütsch), palatin et hessois (deux variétés franciques), souabe et vorarlbergeois (deux variétés alémaniques), nord-tyrolien, bavarois et styrien stoan (ces quatre dernières variétés cartographiées en Autriche) ;

- 6 langues slaves : sorabe (Allemagne), cachoube (Pologne), morave (Tchéquie), ruthène (Slovaquie), bunjevac (Voïvodine), goran (Kosovo) ;

- 4 variétés de langues balkano-romanes : aroumain, istro-roumain, moéso-roumain (de l’ancienne province romaine de Moesia superior, dans l’actuelle Serbie) et roumain de Transylvanie, qui viennent s’ajouter à des enregistrements réalisés et transcrits antérieurement, dans:

- 4 (autres) langues sans territoire compact : rromani, yiddish, judéo-espagnol et arménien occidental.


Même si cela ne vaut pas la richesse des rencontres personnelles, les échanges que nous avons eus à distance ont été l’objet de belles anecdotes, telle cette locutrice de meänkieli qui s’est répandue en excuses pour le retard de sa réponse. C’était que, dans son troupeau de 48 rennes, les femelles avaient mis bas et qu’il fallait bien s’en occuper.

Toutes ces langues seront prochainement accessibles à partir de la même adresse que celle que nous avons mentionnée plus haut.

Elles nous ont déjà assuré quelques polémiques. Évidemment et dans les cas extrêmes, si l’on n'interagit plus dans ces langues sur les marchés ou dans les bals, la posture selon laquelle « on ne se comprend pas [d’un village à l'autre] » gagne en pertinence.
Il est donc important de revitaliser cette diversité linguistique.

Philippe Boula de Mareüil, revue Li Rantoele n°95- 2020
© licence de libre utilisation CC-BY-SA 4.0


Metadata

Auteurs
Philippe Boula de Mareüil [texte français]
Sujet
Confinement 2020. Linguistique. Wallon. Langues minorisées. L’atlas sonore des langues de France et de Belgique.
Genre
Chronique linguistique
Langue
Français
Relation
Revue Li Rantoele n° 95-2020
Droits
© licence de libre utilisation CC-BY-SA 4.0