Que reste-t-il de Mudra ? Sur les traces d’une école mythique
Alexia Psarolis
Texte
À l’occasion de la parution prochaine de Mudra. 103 rue Bara. L’école de Maurice Béjart, de Dominique Genevois (éditions Contredanse), retour sur l’école fondée par le célèbre chorégraphe, à travers le regard de ceux qui l’ont fréquentée.
Qui n’a jamais entendu le nom de Maurice Béjart ? L’artiste français a marqué toute une génération de danseurs et de chorégraphes, son influence s’est répandue internationalement à une époque où l’on ne parlait pas encore de « danse contemporaine ».
En 1970, il ouvre une école de danse, sans nulle autre pareille, qui restera dans l’Histoire : Mudra (geste en sanskrit).
Petit retour en arrière pour comprendre ce rayonnement.
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En 1959, suite au succès rencontré par Maurice Béjart avec la présentation du Sacre du Printemps à Bruxelles, Maurice Huisman, le directeur du Théâtre royal de la Monnaie, propose au jeune chorégraphe de créer une compagnie de danse permanente : ce sera le Ballet du XXe siècle, qui apportera un souffle nouveau à la danse en Belgique.
Une dizaine d’années plus tard, Béjart va permettre l’émergence de nouveaux talents en fondant, à Bruxelles, une école de danse pluridisciplinaire alors unique en Europe : Mudra, Centre de perfectionnement et de recherche des interprètes du spectacle. L’école est abritée dans un ancien dépôt de locomotives, situé au 103 rue Bara, à Anderlecht.
Les élèves, admis sur concours, se forment durant trois ans à la danse classique et moderne, au théâtre, au chant, au rythme... avec des personnalités telles que Fernand Schirren ou Alfons Goris. Le chorégraphe en explique la philosophie : « La base de l’enseignement, c’est la danse. Mais l’idée était d’ouvrir l’école au chant, à la percussion, au yoga, au flamenco, à l’art dramatique. Cette recherche rejoint une théorie très ancienne : dans la tragédie grecque, dans le théâtre japonais, l’acteur joue, chante, danse. À Mudra, nous voudrons retrouver l’acteur total XX (...) Ce n’est pas une chose intellectuelle comme dans certaines écoles de théâtre ? » XX.
La dimension internationale de l’enseignement va se renforcer avec la création, en 1977, de Mudra-Afrique, située à Dakar, avec le soutien du président sénégalais Léopold Sédar Senghor et dirigée par la danseuse-chorégraphe Germaine Acogny.
La question du financement de l’école s’est posée dès les prémices. Après sept ans de jonglage budgétaire permanent, la reconnaissance de l’UNESCO arrive en 1977 et permet d’assainir les comptes... pendant un temps.
Suite à un conflit avec Gérard Mortier, alors directeur du Théâtre royal de La Monnaie, et à la perte de soutien financier, Maurice Béjart quitte la Belgique pour la Suisse en 1987 et, un an plus tard, ferme définitivement les portes de son école. Mais son ambition n’est pas évanouie pour autant et il prolongera l’expérience bruxelloise à Lausanne.
Le Ballet du XXe siècle cède la place au Béjart Ballet Lausanne en 1987, et, quatre ans plus tard, l’École-atelier Rudra Béjart Lausanne voit le jour, codirigée par le chorégraphe lui-même et Michel Gascard, empreinte de la même philosophie que celle qui prévalait à Mudra.
Dans la nuit du 4 mai 1992, un incendie se déclare rue Bara, anéantissant les archives de Mudra et les productions du Ballet du XXe siècle. La catastrophe signe « la deuxième mort de Mudra » XX.
Béjart, démiurge précurseur à la personnalité charismatique, a eu ses admirateurs et ses détracteurs. Au-delà des polémiques, force est de constater que Mudra a laissé des traces indélébiles dans l’histoire de la danse et dans le parcours personnel des danseurs qui l’ont fréquentée. Michèle Noiret, Pierre Droulers, Michèle-Anne De Mey, Karine Ponties, José Besprosvany, Anne Teresa De Keersmaeker, Félicette Chazerand, Maguy Marin... et bien d’autres ex-mudristes peuvent aujourd’hui en témoigner.
Notes
- Béjart Un instant dans la vie d’autrui, éd. Flammarion, 1979, cité par Dominique Genevois dans son livre Mudra. 103 rue Bara, à paraître aux éditions Contredanse.
- Interview de M. Béjart, cité dans Mudra. 103 rue Bara.
- Article de Jean-Marie Winants in Le Soir du 6 mai 1992.