Thomas Gunzig. Des histoires au bout des doigts. (in Dossier)
Alexia Psarolis
Texte
Un cinéaste, une danseuse, un écrivain, soit le collectif nommé Kiss & Cry, comme le spectacle éponyme au succès que l’on connaît. Deux ans après Kiss & Cry, le collectif récidive avec Cold Blood, repris cet automne à Liège et à Bruxelles. Un spectacle de « nanodanse » mêlant danse, cinéma et littérature, où les personnages et la danse sont interprétés par des doigts.
Thomas Gunzig XX signe le texte, telles sept nouvelles, sept variations sur le thème de la mort. Derrière la prose poétique aux accents mélancoliques, on reconnaît l’humour noir cher à l’écrivain. Entretien avec un créateur d’histoires.
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Vous appréciez autant les films de série B et Z que les films d’auteur ; vous passez de la nouvelle au roman, du livre pour la jeunesse à des scénarios et chroniques. Est-ce le goût de l’éclectisme qui a fait de vous un écrivain protéiforme ?
Non, il s’agit d’une suite de hasards et de rencontres ; je n’avais à la base pas de désir particulier d’aller dans autre chose que la littérature, le roman ou la nouvelle. Quand je reçois une invitation de la part de quelqu’un de sympathique, de motivé et d’inspiré, j’ai tendance à vouloir me lancer dans l’expérience par curiosité, peut-être par défi personnel. Toute forme d’écriture qui me sort de mes habitudes ne peut que m’enrichir. Il est important pour moi de toujours rester en mouvement pour rester en éveil.
Est-il aisé de passer d’un genre à un autre ?
C’est devenu aisé avec le temps mais, finalement, je ne vois pas de grandes différences entre tout ce que je fais ; seul le médium change. La scène, le cinéma, la BD… peuvent sembler très différents mais la réflexion reste la même : raconter des histoires, travailler sur l’émotion provoquée par les mots, comprendre la mécanique émotionnelle des lecteurs, des spectateurs…
Comment avez-vous collaboré sur Kiss & Cry et Cold Blood ? Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?
Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey avaient conçu une petite séquence de danse de doigts. Ils ont eu envie de faire un spectacle plus long sur cette base-là, en intégrant une narration, et m’ont proposé une collaboration. Nous ne savions pas dans quel ordre commencer, écrire d’abord, faire la création ensuite… Pour Kiss & Cry, nous avons décidé de tout réaliser simultanément : faire des expériences d’images, de plans, de chorégraphies, de mise en scène, de musique. J’étais présent dans l’atelier durant plusieurs semaines, essayant de m’inspirer de ce qu’ils faisaient pour trouver un sens narratif, puis eux enrichissaient leur recherche à partir de ce matériau. Nous étions dans un processus très dynamique, d’allers-retours constants, d’écriture quasiment dans l’instant. Pour Cold Blood, j’ai voulu radicaliser la démarche d’écriture. Mon travail a consisté à trouver une cohérence narrative parmi 15 séquences que Jaco et Michèle Anne avaient préalablement sélectionnées. Comme un jeu de puzzle.
Est-ce la première fois que vous collaborez avec une chorégraphe ? Êtes-vous un spectateur de danse ?
Oui, c’est ma première collaboration avec une chorégraphe. Je n’ai jamais été un spectateur de danse. Je me souviens avoir vu petit un spectacle de Béjart avec mon père, ça ne m’a pas vraiment touché. Je dois reconnaître que je n’ai malheureusement aucune culture chorégraphique.
Kiss & Cry et Cold Blood mêlent cinéma, littérature – univers qui vous sont familiers – et la danse. Vous êtes-vous senti déstabilisé par la présence de la danse dans le projet ?
Non, je me sens déstabilisé uniquement lorsque l’on fait abstraction de la narration. Dès lors que les choses s’intègrent à une histoire, je peux commencer à comprendre la logique des choses même si celles-ci me sont très étrangères. Les séquences dansées dans Kiss & Cry et dans Cold Blood s’intègrent dans une narration et font sens ; elles viennent souligner une émotion à un moment donné, ce n’est pas une danse qui vaut pour elle-même. Il y a une filiation avec la comédie musicale, que je comprends mieux. Raconter une histoire est une des choses les plus difficiles au monde sur laquelle on fait souvent l’impasse en prétextant qu’il faut dépasser la narration. En fait, on fait l’impasse parce que c’est compliqué.
Mais la littérature s’est également aventurée sur le terrain de la recherche formelle, avec l’Oulipo notamment…
L’Oulipo a un aspect ludique mais reste pour moi une façon de se dédouaner de cette difficulté extrême de trouver une histoire. Quand on parvient à dépasser cette difficulté, quelle que soit la forme narrative – dansée, cinématographique, théâtrale… –, si l’histoire est bonne on peut tout faire. L’histoire, c’est la difficulté absolue qui fait fuir beaucoup d’artistes prétendant qu’on peut s’en passer. Les jeux oulipiens sont amusants deux minutes, au même titre que le Scrabble, mais ne génèrent pas des émotions de bonheur ou de tristesse !
Récit, nouvelles, prose poétique, les textes de Kiss & Cry et de Cold Blood naviguent entre des registres différents, mais sont tous deux empreints de mélancolie et d’humour noir…
Kiss & Cry est une histoire qui commence par ces mots : « Au début, on ne sait pas que c’est le début ». Cold Blood est un assemblage de nouvelles autour d’un même thème. Il débute par « À la fin, on ne sait pas que c’est la fin ». Il s’agit de sept variations sur la mort. Après avoir expérimenté différentes pistes, j’ai choisi la forme de la nouvelle qui correspondait mieux, selon moi, aux différentes séquences que Jaco et Michèle Anne me proposaient.
Jaco et moi sommes tous les deux sensibles à une forme de poésie sans aucun second degré mais nous aimons également plaisanter, désamorcer et réamorcer des choses, jouer sur plusieurs plans. Nous n’aimons ni la gravité, ni le sérieux. Je trouve merveilleux de pouvoir emmener le public de façon simultanée dans des émotions assez profondes et de le faire rire à la fois, de le conduire dans des chemins contrastés émotionnellement. La profondeur d’une émotion et la présence de l’humour ne sont pas incompatibles. C’est faire preuve d’assez peu de générosité par rapport au lecteur ou au spectateur que de lui imposer un sérieux pur et brut, ce n’est pas bon… c’est comme le cacao 100 %, c’est très amer !
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour écrire ces deux textes ?
Je ne pense pas que l’inspiration existe véritablement. Pour Cold Blood, Jaco et moi avons dressé une liste de morts absurdes et avons essayé de les faire coller aux séquences retenues. La forme de la prose poétique est venue naturellement. Le travail a consisté à partager une émotion avec les spectateurs.
Cold Blood pourrait être lu comme une longue métonymie : le mouvement des doigts suggère celui du corps ; la mort risible dit l’absurdité de la vie. Qu’en pensez-vous ?
Toutes les lectures sont bonnes ! J’avais surtout l’envie d’un commentaire joli et amusant sur la fragilité de la vie et l’absurdité de la mort ; cette absurdité est belle également, tout comme notre intense désir d’éternité qui n’existe pas…
Vous n’êtes pas sur scène durant le spectacle mais dans la salle, donc aux premières loges pour capter en direct les émotions du public…
Contrairement à l’auteur littéraire, l’auteur de théâtre a cette chance merveilleuse. C’est à la fois extraordinaire et très effrayant. Sentir la salle entrer en résonance avec ton texte est une chose qui te comble artistiquement.
Avez-vous d’autres projets avec le collectif ?
Je ne sais pas. Nous devons rester vigilants à ne pas réchauffer une vieille soupe. Si nous avons une idée formidable, pertinente et qui n’a pas déjà été développée dans Kiss & Cry et Cold Blood, pourquoi pas ? Cela demande un tel investissement humain !
Au moment de mourir, on ne voit pas défiler toute sa vie mais il reste une image, une odeur ; c’est le propos de Cold Blood. Écrire, serait-ce une façon de conjurer la mort ?
Non, c’est une façon de vivre plus intensément. Écrire, c’est travailler sur l’émotion, sur ce qui relie les gens, sur ce qui les fait vivre, sur ce qui nous donne du sens.
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Thomas Gunzig est écrivain, scénariste et chroniqueur. Son nouveau roman, La Vie sauvage, est publié Au Diable Vauvert, 2017. Le texte de Cold Blood paraît en novembre 2017 aux Impressions nouvelles.
© Alexia Psarolis, 2017
Notes
- Thomas Gunzig est écrivain, scénariste et chroniqueur. Son nouveau roman, La Vie sauvage, est publié Au Diable Vauvert, 2017. Le texte de Cold Blood paraît en novembre 2017 aux Impressions nouvelles