La dernière leçon de Michel Cheval
L'équipe de Contredanse
Texte
«Michel Cheval, comme l’animal». Pour qui ne le connaissait pas, c’est ainsi que notre ancien directeur et ami avait l’habitude de se présenter.
Nous n’avons cessé, depuis, de filer la métaphore hippique bien accordée à son allure.
Silhouette longiligne, cheveux noués en catogan, notre collègue a mené sa vie tambour battant. Pouvait-il se douter que, quatre années après avoir pris sa pension, une triste rubrique de Nouvelles de Danse lui serait consacrée?
Comment raconter sans émotion ce personnage romanesque, militant anarchiste et libertaire, voyageur-photographe, expert ès bulles...?
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Passe-Muraille, la voix aux détenus
Impossible d’évoquer son parcours professionnel atypique sans faire référence à des jalons biographiques. 1977, Michel Cheval, criminologue et psychologue, entame une thèse de doctorat sur la réinsertion des détenus.
Des travaux qu’il mènera en lien avec un autre Michel, un certain Foucault, auteur de Surveiller et Punir. Malheureusement, ses travaux scientifiques seront stoppés net en août 1979, lorsqu’avec l’avocat Graindorge – encore un Michel – il sera pris dans la tourmente d’une des affaires politico-judiciaires les plus célèbres de notre petit pays.
En 1980, pour «rendre à la prison la haine qu’elle [lui] a donnée», Michel Cheval décide avec d’autres activistes de créer sur les ondes de Radio Air Libre une émission radiophonique qui donne voix aux détenus.
À l’époque, l’évolution technologique permet aux radios libres d’émerger ; les ondes ne sont pas encore saturées et les prisonniers ont comme rare distraction le transistor acheté à la cantine.
L’émission Passe-Muraille leur permet alors de communiquer avec leur famille et de faire entendre au dehors la réalité du monde carcéral.
Ce regard clairvoyant que Michel portait sur le monde lui permit de saisir l’urgence des situations, son audace d’en proposer des alternatives et son engagement de les mettre en œuvre.
Passe-Muraille est restée emblématique pour des générations de militants qui, aujourd’hui encore, veulent offrir aux prisonniers un canal de communication.
Du Tilleul à la Balsamine
Mais ce n’est pas la radio qui nourrit l’homme et, c’est Carine Ermans du Théâtre du Tilleul qui tendra la main à Michel Cheval en lui proposant un boulot de régisseur.
Après un passage chez Liebens à l’ETM, et au Groupov, il rejoindra la Balsamine, où il entamera une très longue et fructueuse collaboration avec Martine Wijckaert.
D’abord régisseur, programmateur, puis directeur.
En février-mars 1992, avec l’équipe d’Indigo (Machiels, Braconnier, Rangoni), il crée à la Balsamine le festival Danse à la Balsa.
Thierry Smits, Nadine Ganase, Diane Moretus, Fatou Traoré, Carmen Blanco Principal, Monica Klingler, Marian del Valle seront parmi les premiers artistes à y présenter leur travail.
Mais ce qui fait la spécificité de ce festival, c’est autant la découverte d’œuvres d’artistes émergents que la convivialité qui y règne. Public et artistes y sont accueillis «comme à la maison» pouvait-on lire dans le dossier de presse de l’époque.
Ce festival reste toujours la référence en matière de soutien à l’émergence et inspire nombre de programmateurs encore aujourd’hui.
Période contredansienne
Après un long séjour en Amérique centrale, c’est à Contredanse qu’il posera ses valises professionnelles.
Et c’est là que nous avons découvert l’animal!
Un directeur hors norme, prônant l’horizontalité avant l’heure, une bienveillance restée, encore aujourd’hui, le credo de la structure.
À Contredanse, Michel Cheval n’était pas un directeur qui traçait des lignes, un capitaine de bateau qui aurait donné le cap, sa patte était la responsabilisation de chacun dans les projets que nous menons.
Partages de livres, discussions politiques, blagues potaches, découvertes musicales ou cinématographiques ont rythmé notre quotidien à Contredanse, en parallèle des projets artistiques développés par l’association, formations, rencontres et soirées festives autour de la sortie d’ouvrages.
Par son écoute attentive, il aura coloré l’accueil des stagiaires ; par sa générosité, tous nos chorégraphes et artistes invités se seront sentis «comme chez eux». Sans limite, il aura encadré toutes ces activités avec la discrétion et la passion qu’on lui connaît.
Car la danse, Michel l’a aimée et soutenue durant de longues années.
À Contredanse, pendant plus de 20 ans, à la Balsamine et à la RAC, où, comme coprésident aux côtés de Patrick Bonté, il défendit le secteur chorégraphique avec sa fougue habituelle. Un engagement sans faille, entre coups de pouce aux artistes et coups de gueule contre l’institution. Car le Cheval, sensible et généreux, était également rock et rebelle!
Passionné d’arts vivants, spectateur assidu, bibliophage... Son livre de chevet? La Dernière Leçon de Noëlle Châtelet, un plaidoyer pour le droit de mourir dans la dignité. À l’image de Michel, parti au galop et à pas de velours.
Si «Dieu est un fumeur de gitane», comme le chantait Gainsbourg, on peut déjà l’imaginer en bonne compagnie.
Alexia, Anne, Baptiste, Claire, Florence, Isabelle, Laurent, Yota, Contredanse
© Revue Nouvelles de danse n° 79, 1er trimestre 2021