© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Charleroi Danse: «Travailler en constellation». Fabienne Aucant

Alexia Psarolis

Texte

C’est visiblement détendue que Fabienne Aucant arrive au rendez-vous.
Avenante, la nouvelle directrice de Charleroi Danse prend le temps de nous expliquer le projet qu’elle a conçu pour le Centre chorégraphique.

Après un déficit dont avait hérité, en 2017, sa prédécesseure Annie Bozzini, la situation financière est aujourd’hui assainie, permettant de faire face à la crise énergétique.

C’est donc sur de bonnes bases que les axes de son programme vont pouvoir se déployer sur des «territoires physiques, humains et digitaux».


Tu succèdes à Annie Bozzini, auprès de laquelle tu as travaillé pendant cinq ans. Comment te positionnes-tu par rapport à la ligne et aux projets qu’elle a impulsés?

 

Je me place dans la continuité de ce modèle existant, unique en Europe, à mi-chemin entre Maison de la danse, Centre chorégraphique et Centre scénique.

Nous avons une vision assez claire de ce qu’est et doit être l’institution vis- à-vis de la profession, des artistes, des publics, un endroit qui permet le développement des politiques de la danse.

Nous avons eu la chance d’avoir à la tête de Charleroi Danse une opératrice avec une grande expérience de la danse et de l’institution.
Je souhaite poursuivre cette ligne avec une direction générale et artistique qui se déploie sur deux sites, Bruxelles et Charleroi.




*



Quand bien même le projet s’inscrit dans une continuité, il se doit d’évoluer avec son époque et d’être en résonance avec elle. Sur le combat féministe, le décolonialisme, le rapport à l’environnement…
Comment ne pas se résigner, inventer autre chose dans une période d’énormes mutations?
Nous sommes dans une forme d’expectative: que va-t-il arriver?
Pour les jeunes, qu’est-ce que cela va signifier demain de prendre un cours ou d’aller voir un spectacle de danse?
Comment les deux implantations vont-elles dialoguer?


Cette déclinaison sur deux sites géographiques distincts est historique.
A Bruxelles, La Raffinerie, avant Annie Bozzini, était déjà un lieu dédié à la recherche, à la profession en tant que telle, où se passaient les répétitions; à Charleroi, l’offre culturelle en arts de la scène est moins importante évidemment.

Au vu des missions que nous nous donnons et du projet à développer, je pense que, dans cinq ans, il y aura un effet miroir: les deux structures tendront à se ressembler en termes de mission et d’identité.

Nous souhaitons développer l’offre universitaire et académique également à Charleroi. Nous projetons d’y créer le Bachelier Danse et interprétation, en collaboration avec ARTS (École supérieure des Arts, ndlr) à Mons et la Haute École Condorcet, après l’ouverture du Master danse à Bruxelles.

Quant à La Raffinerie, elle est ancrée dans un quartier en mutation, avec, notamment, le développement du pôle Manchester, des bâtiments appartenant à la Région de Bruxelles-Capitale mis à disposition pour des associations telles que Recyclart, Decoratelier, l’asbl Impulsion… La Raffinerie accueille des publics scolaires, des cours pour enfants, des stages de danse pendant les vacances avec des associations de la commune de Molenbeek, lieu de diversité culturelle, où La Raffinerie est implantée.

Je souhaite favoriser la circulation entre les deux lieux, au niveau des spectacles mais aussi des publics avec des liaisons de bus pour faciliter l’accès et les déplacements.
Nous sommes un laboratoire chorégraphique mais aussi social, et ce, sur les deux implantations, pour lesquelles je défends une vision commune et cohérente, de part et d’autre. Il s’agit d’un seul et même projet.



Quelles sont les faiblesses que tu as pu identifier et les actions à mener pour y remédier?



La diffusion en Wallonie est un axe qu’il faut continuer de développer.
En tant que Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, notre responsabilité s’étend à tout le territoire. Le projet consiste à mettre sur pied un réseau de danse wallon.
Si la danse se fait plus présente dans les communes et les centres culturels, la médiation suivra, ainsi que des résidences et de la production à plus long terme.

Ce projet à dimension politique et territorial devrait être porté par un nouveau décret sur la diffusion; la réflexion est en cours.
A notre échelle, afin de constituer ce réseau, il s’agit d’identifier les lieux qui ont le désir de présenter la danse dans leurs espaces et de fédérer ces structures, qu’elles soient un centre culturel, un festival, un musée, un espace public où la danse s’est développée ces dernières années.

Profitons du fait que l’art chorégraphique est très mobile et polymorphe pour aller à la rencontre des publics.
Cet art est capable d’adaptabilité dans différents contextes. Nous souhaitons proposer un accompagnement des responsables de structures pour mieux faire connaître la danse via un programme de formations destinées aux professionnels.

La mallette pédagogique, conçue l’année dernière, constitue l’un des outils, mais il n’est pas le seul. Je pense également qu’un incitant financier serait nécessaire pour aider ces lieux à programmer de la danse. Vincent Thirion (directeur de Central à La Louvière, ndlr) – il faut le souligner – a initié un réseau chorégraphique wallon.




L’équipe en place est-elle maintenue? L’Identité graphique va-t-elle changer?



Après six ans, l’image graphique nécessite une mise à jour mais le nom du Centre chorégraphique ne changera pas; son identité double représente un défi à faire passer visuellement.
La refonte du site internet est également prévue. Je reste attachée au support papier, avec une brochure saison, voire un hors-série pour rendre compte des résidences, du travail participatif… Pas de changement en termes d’équipe, sauf la nomination d’un adjoint à la direction, Bertrand Lahaut (auparavant au Théâtre de Liège), au vu de l’ampleur des sites et des missions.
La présence physique sur chaque site me paraissant indispensable, je me répartirai entre Bruxelles et Charleroi.



Quelles sont les lignes-phare de ton projet?



La question du territoire est centrale. Elle se pose naturellement par cette double implantation de Charleroi danse et de cette circulation nécessaire entre les deux sites.
Comment va-t-on travailler en termes de durabilité, de réseaux internationaux? L’ancrage, notre environnement proche, le covid, l’écologie… autant de considérations socio-économiques et environnementales qu’on ne peut ignorer.

«Nos Futurs» répond à une envie et un besoin de développer un projet européen. Il va puiser dans l’identité carolo, une Europe des bassins miniers, de cette communauté de destin du charbon et de l’acier. Dans le nord de la France, dans la Ruhr en Allemagne, en Angleterre, en Pologne… autant de lieux où l’investissement politique et culturel a permis la redynamisation du territoire.

Ce patrimoine industriel a constitué des espaces pour de nouveaux lieux culturels. Il s’agit de mettre en réseau des structures (telles que le Festival international de Manchester, le PACT Zollverein, le CDC de Roubaix, la Tanzhaus de Düsseldorf, le Tanztheater de Wuppertal, le Nowy Teatr de Varsovie…) et de leur proposer des laboratoires d’échanges artistiques, de résidences et de recherche.

Avec, à la clé, un temps de partage et un état des lieux de ces recherches. La danse, dans le rapport au vivant peut, en tant que discipline artistique, apporter des réponses face aux questions qui nous animent aujourd’hui.



Sur quels critères as-tu sélectionné les quatre artistes associés pour les cinq années à venir?



J’observe que le soutien accordé durant les cinq années précédentes à Louise Vanneste, Julien Carlier, Lara Barsacq et Ayelen Parolin a permis d’accélérer le développement et le rayonnement de leur compagnie.
Ces artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, comme ceux choisis aujourd’hui, n’étaient pas subventionnés par un contrat-programme, ce qui reste l’un de mes critères de sélection, afin d’apporter le soutien d’une institution, d’une structure d’accueil.

Mercedes Dassy, Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre, Damien Jalet sont les quatre artistes que j’ai sélectionnés en regard de leur parcours et de ce moment de leur carrière, des chorégraphes plus qu’émergents mais pas encore totalement reconnus d’un point de vue institutionnel.
Mercedes Dassy, tout comme Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre appartiennent à une nouvelle génération de chorégraphes; il et elles travaillent sur la physicalité, la recherche d’états de corps mise au service d’un propos.
Damien Jalet, quant à lui, est un artiste belge d’envergure internationale, reconnu à l’étranger mais dont la visibilité est plus retreinte en Belgique. Il souhaitait retrouver un ancrage local, notamment pour des raisons écologiques. Sans structure de soutien ni de compagnie, il a fonctionné, jusqu’à présent, comme un électron libre, hors système… une figure atypique qui peut représenter une source d’inspiration pour éveiller d’autres façons de penser et de créer.



*



De quelle façon va se traduire le soutien renforcé aux artistes émergents, autre axe de ton projet?


Avec l’impulsion de nouveaux temps forts.
Les danses urbaines sont d’une richesse et d’une inventivité très importante; elles constituent un pan de la danse contemporaine qu’on ne peut plus ignorer.

Comment faire pour que le Centre chorégraphique s’ouvre davantage à ces cultures, en allant plus loin que la programmation de pièces?
C’était déjà l’enjeu des Fancy Legs, lancées cette année à La Raffinerie, et du futur festival En vogue qui se déroulera à Charleroi, visant à rassembler les artistes chorégraphiques.
Il faut prendre le temps de découvrir et d’étudier les nouvelles tendances urbaines.



Annie Bozzini, interrogée à sa nomination, espérait que l’institution et la profession puissent marcher ensemble. Est-ce le cas aujourd’hui?



Un dialogue s’est instauré, une confiance, une reconnaissance de l’institution par les artistes et réciproquement.
Développer les partenariats, les collaborations demeure un axe important.
Notre position est centrale – et c’est une grande responsabilité – mais ne doit pas être surplombante.

Je préfère que Charleroi danse soit un carrefour.
Le secteur va comprendre qu’il est préférable de travailler en réseau, en constellation.
Avec cette dialectique: garder son autonomie, défendre ses intérêts, une dynamique de dépendance et d’indépendance que l’on va cultiver de part et d’autre pour avancer de la façon la plus constructive possible. De sorte que le Centre chorégraphique se mette au service de la profession tout en posant des choix artistiques.


 

© Alexia Psarolis, Fabienne Aucant, revue Nouvelles de danse, Bruxelles, 4e trimestre 2022

   



© 2023, Alexia Psarolis, Fabienne Aucant, revue Nouvelles de danse n° 85, 4e trim. 2022, hiver 2022-2023




Metadata

Auteurs
Alexia Psarolis
Sujet
Charleroi Danse. Maison de la danse. Centre chorégraphique. Centre scénique. Fabienne Aucant. Projet 2023
Genre
Entretien
Langue
Français
Relation
revue Nouvelles de danse n° 85, 4e trim. 2022
Droits
© 2023, Alexia Psarolis, Fabienne Aucant, revue Nouvelles de danse n° 85, 4e trim. 2022