Ouvrir les horizons - Rencontre avec Iris Bouche
Alexia Psarolis
Texte
Iris Bouche s'est formée à la danse classique à Anvers, à Rudra (l'école de Maurice Béjart à Lausanne) puis auprès d'Alvin Ailey à New York. Elle intègre Rosas et danse de 1995 à 2001 dans la compagnie d'Anne Teresa De Keersmaeker. Suit une expérience en freelance en tant que danseuse (avec notamment Sidi Larbi Cherkaoui...) et chorégraphe.
Elle enseigne la danse au Conservatoire Royal d'Anvers/AP Université XX depuis octobre 2011 et est coordinatrice artistique du Professional Bachelor.
Comment avez-vous été amenée à travailler sur la danse et le handicap ?
Le travail sur les restrictions m'a toujours fascinée, et du fait de mes études, les limites spécifiquement dans le champ artistique. Comment les danseurs recherchent-ils les limites et de quelle façon ils dépassent les obstacles ? Tandis que je suivais ma formation pour devenir enseignante, la structure fABULEUS m'a demandé de créer une pièce pour les jeunes.
Engagée dans ma recherche sur les limitations personnelles, j'ai eu envie de travailler sur ce thème : comment le médium de la danse peut-il faire bouger un corps qui n'est pas formé comme le tien. Pour ce projet, je me suis adressée à Goele Van Dijck, qui avait travaillé avec Adam Benjamin, le fondateur de Candoco, et nous avons réuni de jeunes danseurs, avec et sans handicap.
Toutes les connaissances que j'avais accumulées jusque là en tant que danseuse professionnelle ont été remises en question. On a une idée figée de la façon dont un danseur est formé.
Comment avez-vous procédé pour cette création ?
Cela a été difficile de trouver des danseurs avec un handicap. On a donc lancé un appel mais personne ne s'est présenté. On a presque fait du porte-à-porte auprès d'institutions pour jeunes en Flandre mais nos recherches n'ont rien donné. Quel canal fallait-il utiliser pour atteindre les institutions ? Celles-ci ne voulaient pas mettre des jeunes sur scène et ne comprenaient pas ce que l'on voulait faire. On a finalement trouvé des gens individuellement, par des connaissances.
Puis les représentations ont commencé mais les jeunes avec un handicap se sont retrouvés face à une difficulté : les structures qui donnaient les subventions à la compagnie avaient fixé un nombre de représentations difficile à atteindre du fait, par exemple, de la fatigue... Les règles restaient strictes et n'ont pas du tout été adaptées au projet. J'ai fait ma thèse sur ce spectacle et j'en tire la conclusion qu'il existe un véritable fossé entre le monde des personnes dites «valides» et le monde de celles avec un handicap.
Nous avons également dû nous confronter aux programmateurs qui se demandaient dans quelle case ils allaient bien pouvoir placer ce spectacle. Devaient-ils annoncer qu'il s'agissait d'un spectacle de danse avec des jeunes en situation de handicap ou juste mentionner qu'il s'agissait d'un spectacle de danse avec des jeunes, ce que nous souhaitions ? Finalement cette option a été retenue ; nous voulions éviter à tout prix les préjugés. Un spectacle d'une heure est-il suffisant pour aller au-delà du handicap? Les spectateurs ont répondu affirmativement. Les jugements négatifs sont venus des personnes qui n'avaient pas vu le spectacle.
Quels sont vos objectifs concernant la formation en danse au Conservatoire d'Anvers?
Après cette expérience, j'ai obtenu une bourse de recherche pour explorer plus encore ce thème des limites avec des artistes issus d'autres champs artistiques. Ensuite, j'ai intégré le secteur de l'éducation puis suis devenue responsable de la formation.
Je me suis interrogée : qu'est-ce qu'une éducation en danse contemporaine aujourd'hui ? Doit-elle être axée sur l'aspect performatif ou bien doit-elle s'ouvrir à d'autres horizons ?
J'ai commencé à contacter différentes écoles à l'étranger, qui proposent également un master ou un baccalauréat en danse. Nous nous sommes posé collectivement cette question de l'éducation en danse et de cette hiérarchie au Conservatoire, où la musique est en haut de la pyramide, puis vient le théâtre et, en bas, la danse, le parent pauvre.
Le bâtiment où est situé le Conservatoire abrite aussi d'autres départements comme l'orthopédagogie. Il est important de créer des ponts entre les disciplines. Les jeunes avec lesquels j'ai travaillé sont touchés d'une façon médicalisée mais ce toucher n'a rien à voir avec le « toucher exploratoire » de la danse. Des étudiants en orthopédagogie pourraient découvrir que le toucher n'est pas que médical. La formation en danse doit être plus ouverte, ce qui permettrait également de trouver du travail ensuite.
La danse inclusive fait officiellement partie de notre programme. Nous proposons depuis cette année un module de dix heures, à la fois théorique et pratique. J'aimerais beaucoup inviter Candoco dans le cadre de la formation. Après les trois ans du Baccalauréat en Danse, les étudiants ont la possibilité de poursuivre leur formation pour devenir professeur de danse et de choisir un projet socio-artistique pour leur stage.
Parlez-nous du programme d'échange qui a lieu en avril à Anvers...
Du 20 au 25 avril 2015, le département danse du Conservatoire Royal d'Anvers organise un programme d'études intensif autour de la danse inclusive, de la danse et du handicap. Cette semaine fait partie d'un programme d'échange Erasmus qui a été initié par des structures d'études supérieures : Fontys à Tilburg, Duncan Centre Conservatoire à Prague et nous-mêmes.
L'objectif du projet est de redéfinir la vision du corps dans la danse contemporaine et d'explorer de nouvelles pistes pour l'éducation en danse.
Chaque école a choisi un thème. Nous avons choisi le thème de "l'autre regard sur le corps (Re/thinking Bodies)". Chaque école vient avec 20 étudiants, qui peuvent participer aux workshops, aux débats, aux conférences. Nous ne prétendons pas être des experts ; nous avons une expérience et souhaitons échanger, inspirer et réaliser une cartographie des initiatives existantes.
Qu'est-ce qu'un spectacle d'inclusion ? Un spectacle n'est pas inclusif juste parce qu'un danseur handicapé est sur scène. Adam Benjamin dans Making an Entrance explique bien cela. On ne parle plus de danse intégrative mais on préfère le terme « inclusive ».
Dans « intégration », il y a l'idée qu'un petit groupe doit s'adapter à un groupe plus grand. Alors que l'inclusion renvoie à des groupes égaux malgré les différences, avec les mêmes valeurs.
Nous voulons réaliser un site internet, mettre en ligne les ressources pédagogiques des quatre écoles et partager tous les documents.
Cette semaine a pour objectif d'ouvrir nos horizons. Candoco n'a jamais joué en Belgique. Ici, on n'est pas « culturellement inclusif » ! Je suis sûre que nous sommes en retard. Tout le monde a le droit de danser !
Notes
- RE/THINKING BODIES Du 20 au 25 avril 2015 Ateliers, tables rondes, conférences, spectacles Artesis Plantijn Hogeschool Antwerpen www.ap.be