© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

L'art du haïku

Dominique Chipot

Texte

L'instantanéité caractérise ce qui ne dure qu'un court espace de temps, ce qui disparaît à peine apparu.
Portée aux nues par notre société moderne qui privilégie l'éphémère (surtout de consommation), elle influence les échanges sociaux (twitter, vine, snapshat,...) et les arts.
Je me risque à l'évoquer dans son rapport au haïku.

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Parce qu’il est souvent comparé à la photographie, le haïku devrait se saisir sur le vif. Certains auteurs y attachent une grande importance, un tel exercice de style valorisant la vivacité d’esprit et une certaine maîtrise du langage.
Mais ce n’est pourtant pas l’essentiel car le lecteur, qui ignore tout de la genèse du haïku qu’il est en train de lire, recherche avant tout une impression fugitive, un effet de frappe. Le reste n'est pour lui que discours ou question d'éthique.
Ainsi, je préfère être ému par un haïku percutant qui a pris le temps de mûrir plutôt que lire une fadaise rapidement saisie, comme j'aime contempler les amoureux de Doisneau plus que de nombreux selfies sur le net, même si Doisneau a recomposé la réalité avec des modèles.

La rapidité n'est pas toujours gage de qualité. Ne l’oublions pas ! Il était de règle, à l’époque où la photographie argentique régnait, de considérer que trois images seulement, sur une pellicule de 36 vues, pouvaient être aisément exploitées.
Le haïjin, l’auteur de haïku, devrait s’en souvenir comme il devrait s’interroger sur les raisons qui ont poussé Bashô à peaufiner, cinq années durant, son dernier recueil, Oku no Hoso-michi (Chemin du Nord extrême).

L'art du haïku est de figer l'instant en perpétuel mouvement, afin de restituer en une fraction de seconde la sensation ressentie. Le présent n'étant que l'infinitésimal point de passage entre le passé et le futur, cette recherche du moment, décisif dirait Cartier-Bresson, oblige à maintenir ses sens constamment en veille au risque de ne pouvoir saisir le quotidien avant toute spéculation intellectuelle.
Faute d'attention, un moment chasse rapidement l'autre. Il faut donc s'efforcer à être présent pour saisir le présent. Rien de mystique. Simplement chasser ses pensées et concentrer ses sens, car seul le présent est source d'observation, tandis que passé et futur ne peuvent exister qu'au travers de la pensée. Le futur n'est en effet rien d’autre qu'une succession d'éventualités assemblées par notre imagination, et le passé un souvenir, un reflet d'une part de réalité déformé par des choses vues, lues ou entendues ultérieurement aux faits.

Pour accorder mon attention au présent, je dois rester spontané, disponible, réceptif et ne plus considérer le monde extérieur qui m'entoure comme une entité étrangère. L'observé et l'observant doivent se confondre et non être en dualité. Je dois m'arrêter de réfléchir, d’analyser ou de vouloir comprendre, et une fois débarrassé de ces œillères je dois ressentir ma présence dans cet environnement que j'observe, hic & nunc, pour mieux le percevoir et révéler ce qui m'a touché, cette vibration ressentie au plus profond de mon être en une fraction de seconde.

Je dois cependant ne pas oublier que tout événement, aussi simple soit-il, n'est pas sujet à haïku.
Seul le banal capable d'éveiller la sensibilité du lecteur doit avoir grâce à mes yeux. Si le premier croquis d'un enfant a une valeur inestimable pour ses parents, il n’a généralement aucun attrait pour autrui. La réalité est différente pour chacun. Les parents, aveuglés par leurs émotions, voient dans ce dessin une nouvelle étape franchie par leur enfant, tandis que toute personne étrangère à la famille ne juge le gribouillis que sur sa seule valeur artistique.
L'auteur du haïku doit en tirer leçon. Inutile de saisir urgemment toute scène vécue, ce qui n'a la plupart du temps qu'un intérêt limité pour le lecteur, mais chercher à restituer des moments privilégiés, riches de sensations.
Qu'importe l'oiseau sur l'épaule de l'épouvantail ou le lézard à la recherche d'ombre, si aucune émotion ne rend cet instant unique, exceptionnel.

« L'instant du haïku n'est pas un non-événement à l'état brut, mais un moment ordinaire transmis de telle sorte que sa résonnance va illuminer le lecteur au point qu'il criera au sensationnel ! »

© Dominique Chipot – Tous droits réservés.

Metadata

Auteurs
Dominique Chipot
Sujet
Haïku
Genre
Essai
Langue
Français
Droits
© Dominique Chipot