© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Village

Caroline Callant

Texte

C’est un chemin qui grimpe et se perd dans les collines abreuvées de soleil. L’ombre et la lumière se le partagent. Un ruisseau y fait son lit de nourrisson quand les neiges des sommets se laissent fondre au printemps. Entre les grosses pierres et des pans de rocher, je poursuis mon ascension. Je ne puis m’empêcher d’être ce cheval qui interrompt seulement sa marche pour brouter l’horizon, pour enfouir son museau dans les fougères et cueillir juste ce qu’il faut de fraîcheur. Les galets qui s’entrechoquent et dévalent les pentes, répercutent avec douceur le bruit de mes sabots.

C’est un chemin qu’on emprunte depuis des siècles à pas de moutons ou de chèvres accompagné d’un chien ou d’un âne ayant sous la main le bâton qui facilite la marche. C’est un chemin dont on se garde bien de révéler l’existence sur les cartes, il n’existe que dans les souvenirs de quelques personnages mystérieux qui parlent peu. On peut le suivre à l’infini, il peut vous perdre.

Pourtant aujourd’hui, en ce jour de février, il est joueur. Il siffle, il gazouille, il s’envole à vos pieds comme le font les perdrix. Il plane, il croasse ou se froisse. Il ne me parle que de ma solitude comme si je n’étais qu’un humain sans troupeau, sans destin. Comme si ma seule activité était de subir ses farces, de me laisser le contempler lui et sa vigueur de sorcier, lui et le paysage qu’il embrasse sous mon nez. Mousses et lichens parcourent les flancs de gros rochers leur permettant de témoigner qu’il y a plusieurs millions d’années, ils bouillonnaient de vie.


Finalement, après bien des heures de questionnements sur ma véritable nature, après avoir douté de chacun de mes pas, j’arrive aux pieds d’un muret dont le but est visiblement de signaler l’entrée d’un labyrinthe ou d’un village. On y entre que si on accepte de laisser le troupeau à l’extérieur, l’âne, le cheval, le chien, le bâton attendront dans cet espace plat où l’herbe pousse verte et croquante.


La première maison est habitée par un figuier dont les branches en cette saison ne portent encore aucune feuille aucun fruit. Elles sont comme un poème écrit dans une langue presque illisible. Elles sont comme la signature du ciel en bas de son tableau.
Toutes les autres demeures sont occupées par le silence que laisse derrière elle la destruction volontaire. La végétation fait ce qu’elle peut pour combler le vide. Une source a refusé de bruire.


Sur ce qu’il reste de la place, entouré de fantômes, de récits et de légendes, un olivier majestueux protège ce qu’il reste d’ombre afin que quelqu’un, mais c’est très peu probable, s’asseye sur l’unique pierre qui subsiste du banc qui regardait la mer. On voit les collines se délecter du bleu qu’elles trouvent en abondance entre les brumes avant qu’elles ne deviennent nuages. On voit la mer répéter son mes-sage de vagues en vagues, être plus éclatante qu’un miroir. Sa parole est d’argent.


L’air me manque, ma soif sait ne pas pouvoir trouver de puits dont l’eau froide l’étancherait, mes bras sont las, mes jambes tremblent. La lumière se glisse en moi jusqu’à trouver mes veines et chacun de mes organes, même mon coeur change de couleur. Jamais, je ne retrouverai l’espoir d’être le cheval menant son troupeau de mots, et
marchant toujours et toujours de phrases en phrases, sans parvenir à me faire entendre. Je sens que je deviens une femme. Lorsque je veux chercher à comprendre pourquoi mes mains encore hésitent, je ne vois plus que la tige remplie d’épines, les feuilles dont le vert montre de toutes petites dents et je devine qu’encore ensommeillé, au bout de moi-même, doit exister l’improbable bouton qui donnera peut-être le jour à une fleur sauvage.

Metadata

Auteurs
Caroline Callant
Sujet
Réalisme magique
Genre
Prose poétique
Langue
Française