Traduction de la poésie wallonne
Bernard Thiry
Texte
En avril 2023, la Société organisait une journée de mise à l’honneur de nos membres correspondants.
À cette occasion, quatre d’entre eux ont eu l’occasion de prendre la parole sur des sujets de leurs choix, soit en lien avec les langues régionales de Belgique romane, soit à propos de sujets d’études proches de nos considérations.
Les intervenants ont accepté de faire part de leurs présentations par écrit et nous nous proposons de les publier dans Wallonnes, au fil des numéros.
Voici la présentation de la contribution du membre correspondant Jean Robaey, par Bernard Thiry.
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Présentation
Le plus heureux des hasards – littéraires, éditoriaux, académiques et de toute autre qualification tutélaire par quoi l’on trouve à célébrer les circonstances de pareille coïncidence – nous a amenés à faire la connaissance de Jean Robaey; ce fut à l’occasion de la découverte d’un article d’abord, d’un livre ensuite, dans lesquels il nous a donné à lire ses traductions, en italien, de textes wallons d’auteurs de chez nous.
Dans la revue «Soglie» v. note 1, d’abord, il a traduit, en 2018, deux poèmes de Victor George et trois de Jean Guillaume. Une brève présentation préalable des auteurs introduit le lecteur italien à une connaissance des enjeux: la langue wallonne et ses sous-variétés, son lent déclin comme langue vernaculaire, l’origine de sa riche littérature, sa survivance comme langue littéraire et l’importance des deux auteurs ensuite traduits.
La surprise fut plus grande encore de voir, en 2021, un livre paraître qui confirmait la persévérance de Jean Robaey à faire connaître, en italien, des auteurs de chez nous; et ce fut Jean Guillaume qu’illustre «I grandi carri» 2.
L’ouvrage contient une anthologie de 39 textes traduits en italien de l’«Œuvre poétique wallonne» et de «Pa-drî l’s-uréyes» du poète cité, accompagnée de notes critiques, d’une bibliographie et d’une présentation judicieusement intitulée «Una lingua volentieri segreta» – titre inspiré d’un aveu de l’auteur lui-même sur sa poésie, lors d’une entrevue dont l’enregistrement a permis de conserver la mémoire 3.
La présentation de l’œuvre en postface (p. 99-110) égrène des thématiques d’intérêt: un hommage à la mère wallonne du traducteur (car c’est décidément toujours de racines que le wallon nous parle; quand s’y ajoutent les ailes de l’élan poétique, un message profondément humain ne peut manquer); une évocation de l’histoire de la littérature wallonne et de l’existence de traductions anciennes en italien; Jean Guillaume et quelques éléments de sa biographie, des caractères de son écriture poétique et des influences littéraires qui l’ont inspiré; principes suivis dans la traduction proposée; et enfin, cruciale pour notre lecture, la métaphore du «tchaur» dans l’œuvre traduite.
Le titre de l’anthologie, «I grandi carri», est, à ce propos, original du traducteur; il est judicieux et puissant, conforme, en cela, au sens de l’inspiration des textes. Le traducteur s’en explique («Il titolo …è mio e ripropone la metafora del carro, privilegiata dal poeta», p. 109); l’analyse du texte, du reste, approuve ce choix: j’ai relevé, en effet, dans l’œuvre entier, pas moins de treize occurrences du mot «tchaur», l’un des ingrédients les plus révélateurs de l’inspiration terrienne et élément thématique majeur observé dans l’œuvre de Jean Guillaume.
Dans l’idée d’un chacun, la possibilité - la chance! - de découvrir de la littérature wallonne traduite dans d’autres langues, et en italien en particulier, doit être proche de l’invraisemblance … et voilà que le prodige s’est réalisé: «Un homme de chez nous, de la glèbe féconde 4, a fait jaillir ici…» une œuvre qui a trouvé à émouvoir et faire souche dans la lyrique italienne.
Modeste par son ancrage local wallon, mais universel par son contenu, ce chef-d’œuvre de notre littérature retentit, à présent, dans les échos de la langue de Dante (qui, lui aussi, après tout, a écrit son chef-d’œuvre dans son dialecte, le florentin).
Le phénomène était suffisamment surprenant pour susciter notre curiosité: comment et par quel énigmatique chemin de mémoire, de racines redécouvertes et approfondies, cet auteur et ces textes de notre terroir en viennent-ils à être ainsi traduits ?
Pourquoi le choix de Jean Guillaume parmi nos auteurs wallons?
Pourquoi le choix de ces textes?
Et pourquoi «I grandi carri», ce titre neuf, original, sans antériorité dans les choix de notre auteur?
L’occasion était belle d’approfondir notre connaissance du traducteur. Avec Joseph Dewez, à la source du projet, nous sommes entrés en contact d’empathie avec lui, en recherche d’informations sur son rapport au wallon et sur les tenants et aboutissants de son travail.
De tout cela, l’entretien épistolaire que nous avons échangé avec lui parle abondamment et dans le détail. Laissons-lui ici la parole…
© Bernard Thiry, revue Wallonnes, 3e trim.-2023, Liège, Belgique
Notes
1. Soglie. Rivista Quadrimestrale di poesia e critica letteraria, Anno XX, n. 2-3, agosto-dicembre 2018, Due poeti valloni, p. 14-23
2. Guillaume Jean, I grandi carri, Traduzione e cura di Jean Robaey, Bohumil Edizioni, Bologna, 2021
3. Guillaume Jean, Œuvres poétiques wallonnes, Namur, PUN, 2007, archives sonores, coffret de 3 cd et livret
4. Aurzîye (argile) est le titre d’un des recueils les plus éclairants de la poétique de Jean Guillaume.