© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Ulysse à l’école des héros

Catherine Gravet

Texte

 

Pour Cristal

 

La guerre de Troie aurait pu ne pas avoir lieu : si l’on suit l’argumentation des personnages de la célèbre pièce de Jean Giraudoux (prémonitoire en 1935), il aurait suffi que les Grecs rendent Hélène aux Troyens pour éviter la tragédie annoncée par Cassandre, redoutée par Andromaque XX. Mais sans guerre, pas de héros, et de tous les héros de l’Antiquité (on situe la guerre de Troie au XIIIe siècle avant Jésus-Christ), Ulysse est certainement l’un des plus admirables : sa bravoure exceptionnelle et son intelligence rusée en font le prototype de l’homme dans toute sa virilité épanouie. D’ailleurs sa mort, annoncée par une prophétie de Tirésias qui rappelle étrangement le mythe d’Œdipe, marque la fin de l’âge des héros, et donc des récits de la mythologie classique.


ULYSSE FROM BAGDAD


Pourtant, trente-quatre siècles plus tard, Ulysse, et surtout Homère, inspirent encore les écrivains. C’est le cas d’Éric-Emmanuel Schmitt qui publie, en 2008 (chez Albin Michel), un roman au titre des plus explicites : Ulysse from Bagdad XX. Les enseignants ne s’y sont pas trompés. Dans sa réédition du récit à des fins didactiques XX – l’œuvre est recommandée pour les élèves de 3e en France – Laurence Sudret propose quelques extraits de l’Odyssée, accompagnés de questions et consignes, parmi lesquelles, immanquablement, celle de comparer les deux récits. La brève interview de Schmitt réalisée par Sudret pour l’occasion XX, révèle l’intention de l’auteur, comme le faisait déjà le « Journal d’écriture de Ulysse from Bagdad, Albin Michel, 2008 » (extrait également proposé par Sudret XX) : « personne ne perçoit un héros dans un migrant sans papier. L’identifier à Ulysse lui donne la noblesse que notre temps lui refuseXX». 

Les différences entre Saad Saad, le héros du roman de Schmitt, et son prédécesseur empêchent pourtant qu’on les confonde ! Joëlle Cauville l’a bien montré dans son article «Réécriture de la figure mythique d’Ulysse dans Ulysse from Bagdad d’Éric-Emmanuel Schmitt XX» . Leur rapport à la guerre est complètement différent : comme le résume Cauville (p. 15), Saad Saad
     s’éloigne de sa patrie, non pour partir en guerre mais au contraire pour fuir la guerre, non pour une quête héroïque comme celle qui conduira Ulysse à Troie afin de sauver l’hon¬neur des Grecs mais pour échapper à un régime dictatorial, s’évader d’un pays à feu et à sang et s’inventer un avenir en Grande-Bretagne, démocratie occidentale qui a donné le jour à Agatha Christie, à qui lui et sa petite amie Leila vouent une admiration sans bornes. 


Le jeune Saad Saad n’est pas un guerrier, loin de là. L’invasion améri-caine correspond au moment de ses premiers émois amoureux ; quand les chars américains entrent dans Bagdad, en état de siège, lui et Leila s’embras-sent et s’étreignent, fous de désir, désir qui, décuplé par les dangers, l’amène à penser que la guerre est « infiniment plus érotique que la dictature » (p. 45).
La situation économique et la succession de drames, qui déciment la fa-mille, contraignent finalement le dernier mâle encore en vie, Saad Saad, à l’exil. Ce voyage d’un jeune Irakien désespéré devient le prétexte à des ren-contres de plus en plus abracadabrantes, à l’instar de celles d’Ulysse dans l’Odyssée. Des épisodes revisités, les rencontres avec Circé (chapitres 6-7 d’Ulysse from Bagdad / Chant IX de l’Odyssée), le Cyclope (chapitre 9 / Chant IX) et surtout les sirènes (chapitres 7-8 / chant X) sont traitées de la manière la plus grotesque. Comme le souligne Cauville, Schmitt s’amuse… aux dépens de qui ?
Arrivé au Caire, Saad Saad obtient enfin un rendez-vous avec une fonc-tionnaire des Nations unies dont le nom est indiqué sur l’étiquette de son cartable : « Docteur Circé » (p. 122). Cette sociologue diplômée de Columbia University estime que Saad Saad aurait pu espérer obtenir le statut de ré-fugié politique si seulement il était parti quand le tyran Sadam Hussein était encore au pouvoir. L’Irak ayant été «libéré» par les États-Unis d’Amérique, la démocratie s’installe et ceux qui quittent leur patrie sans lutter ne sont que des lâches…
La guerre « de libération », la guerre civile, les massacres, la corruption, la violence, les ruines, tout cela ne serait qu’un mauvais moment à passer selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR). Saad Saad, culpabilisé, hu-milié, mais lucide et sarcastique, est en rage :
     ils [les Américains] ne nous ont pas envahi, ils nous ont délivré ; ils n’ont pas créé la confusion dans notre pays, ils butent sur des Irakiens incapables de recevoir la paix. Je croyais avoir affaire à des justiciers ; je me rends compte que je traite avec des vainqueurs. (p. 129) 
Et lui est le perdant.

Chypre, étape ultérieure du périple, donne aux candidats réfugiés l’occa-sion de se soumettre à de nouveaux interrogatoires. Le HCR ne trouve ja-mais assez grave la situation décrite par les demandeurs d’asile. Cette fois, Saad Saad se méfie : il prétend avoir oublié son nom, son origine – il n’est personne – et maintient cette stratégie avec d’autant plus de conviction qu’il s’aperçoit que son interlocuteur, un énorme fonctionnaire qui le déteste, dé-crit comme un énorme batracien ou comparé à un ogre, est borgne. Il profite d’un moment d’inattention de ce nouveau Polyphème pour lui enfoncer un compas dans l’œil et lui voler ses clés…

Mais ce n’était qu’un rêve, son bourreau est toujours là et le fantôme de son père lui apparaît pour lui faire la morale et lui reprocher de mentir (p. 167). Fantôme du père (bibliothécaire, il avait des lettres) qui, par ailleurs, ne cesse de citer Homère et pourrait bien être inspiré de celui de Rudolf Virag, père XX de Léopold Bloom, personnage central d’Ulysse de James Joyce (1922).

Quant aux sirènes, monstres subtils de la légende, ce sont, chez Schmitt, « neuf rockeuses aux yeux charbonnés, aux cheveux en pétard, habillées en “Lolita chez le croque-mortˮ » (p. 132) d’origine suédoise qui ont formé un groupe à succès, d’abord intitulé les « Bébés démoniaques ». Mais
     elles n’avaient rien en commun avec les femmes-poissons, aucune ressemblance avec ces beautés aux seins nus, à l’œil vibrant, dont les longs cheveux couvraient une croupe agile terminée en queue d’écailles, créatures fatales qui, paraît-il, noyaient les ma-rins après les avoir séduits. (p. 135-136) 
Les Sirènes « justifi[…]ent leur nom par leur stridence », elles imposent leur laideur, leur hystérie, leur obscénité, leurs hurlements assourdissants à un public en transe. Elles permettront malgré elles à Saad Saad et son ami Boubacar de quitter l’Égypte… Schmitt propose ici une inversion du stéréo-type qui lui donne en même temps l’occasion d’un coup de griffe au showbiz.

Emprunts évidents et assumés à l’épopée, mais bien peu vraisemblables, ces trois épisodes hautement parodiques éloignent le personnage – que nous hésitons à qualifier de « héros » – de l’Irak et de la guerre. Nous hésitons également à adhérer à l’hypothèse de Cauville :
     Saad Saad contribue au renouvellement du mythe du héros : « l’une des rêveries les plus constantes de l’homme XX» . En effet, en lui s’incarne parfaitement le modèle héroïque que Philippe Sellier caractérise dans son ouvrage Le mythe du héros par « e désir d’échapperXX, aux limites d’une vie terne pour accéder à la lumière, la volonté de quitter les bas-fonds pour les hauts espaces XX 
Sellier écrit à la suite : « la passion de la souveraineté et de la gloire. Nous désirons tous être dieu XX . » Cette définition du héros, négligée par Cauville, ne s’applique en aucun cas à Saad Saad qui, certes, rêve beaucoup et voudrait améliorer sa condition et celle de sa famille, mais ne recherche au-cune gloire.
Selon Deproost, Van Ypersele et Watthee-Delmotte, pour être un héros, il faudrait, au minimum, que l’homme mette une valeur au-dessus de sa vie, le héros serait « celui qui prend le risque de perdre sa vie pour être fidèle à cette valeur XX» . Saad Saad remplit peut-être cette condition dans la mesure où l’expatriation, à laquelle il songe d’abord « mollement », comme « par paresse » (p. 24) quand il a quinze ans, lui est ensuite imposée par sa mère, comme un devoir filial pour aider sa famille quand la ville de Bagdad est devenue un enfer (pp. 58 et 66) – c’est sur les indications de Circé qu’Ulysse descendit aux enfers où l’âme de sa mère, Anticlée, le rassura (Chant XI).
Il est vrai que c’est l’Ulysse de l’Iliade qui risquait sa vie pour des valeurs guerrières, celui de l’Odyssée, guidé peut-être par des valeurs pacifiques (?), ne cherchait qu’à retrouver ce que la guerre lui avait ravi (sa femme, son vieux père, ses terres, son chien XX…), grâce, malgré tout, à l’aide tutélaire d’Athéna, déesse de la stratégie militaire. Saad Saad, clandestin, « sous-homme » (p. 211), lutte aussi, à titre individuel, contre la « peur de n’être rien » (p. 219). Ulysse, lui, descend de Zeus et, quand il se déguise en mendiant, c’est une ruse de plus.

Autre caractéristique du héros, il « ne devient pas héros mais […] naît héros. […] Son enfance est une vie cachée XX» . Mais que connaît-on de l’en-fance d’Ulysse ? On soupçonne qu’il soit né d’un viol, drôle d’entrée en matière. Yann Queffélec a montré dans Noces barbaresXX ce qu’un enfant (Ludo) devient en pareilles circonstances. Fils de Sisyphe ou de Laërte, Ulysse est élevé par une nourrice, Euryclée, qui l’aime (chant XIX). Comment a-t-on éduqué cet enfant pour qu’il devienne un héros ? Le confier à son grand-père maternel, Autolycos (qui lui donna le nom de « Fâché », Odusseus), et à ses oncles, pour qu’ils lui enseignent l’astuce, la ruse, la chasse, le courage aura-t-il suffi ? Comment fabrique-t-on un héros ? On connaît certes l’intransigeance des mères spartiates qui préfèrent un fils mort à un fils vaincu XX. La recette ne semble pas unique ni le résultat garanti.

Saad Saad, lui, est « accueilli comme une merveille » dans une famille où il est le premier garçon après quatre filles. Son sexe, cette « nouille rose qui gigotait entre [s]es cuisses » lui vaut des cris d’extase, la révération de toute la famille (p. 12), un statut privilégié qui le fait vivre au Paradis, dans un « enclos merveilleux peuplé de femmes dévouées » (p. 17). Peu à peu, le gamin prend conscience de sa masculinité en se comparant à ces filles et femmes (« bruyantes et passionnées », p. 28) qui l’entourent. Lui n’est pas « obsédé » par le mariage, et les mâles, eux, travaillent, discutent, boivent du thé à la menthe avec leurs amis, jouent aux dés, aux dominos, aux échecs (cf. p. 21)…

En Irak (comme à Ithaque d’ailleurs), les rôles comme les espaces réservés aux deux sexes sont distincts. Les hommes sortent, s’attablent à la ter-rasse d’un café, profitent du soleil (p. 52), tandis que les femmes – qui ont seules le droit de pleurer bien entendu (pp. 55, 179) – « tiennent leur foyer » (p. 70). Le modèle d’homme est clairement défini par ces tâches essen-tielles : « travailler, gagner de l’argent, […] assurer la survie des femmes qui travaillent à la maison et des enfants qui ont besoin d’apprendre » (p. 93), sans oublier « les soins qu’on doit aux morts, […] organise[r] leur toilette funèbre, dépose[r] leurs ossements en terre ». Schmitt délivre plus de détails sur la formation du jeune Irakien qu’Homère sur celle de l’illustre Ithaquien, mais pour fabriquer un héros, il s’agit de construire sa masculinité, sa virilité, liée intrinsèquement à la guerre (même s’il ne la fait pas) puisque les femmes, elles, ont été exclues non seulement de la chasse, mais surtout « na-turellement d’une fonction sociale majeure : la guerre ». C’est ce que la phi-losophe Olivia Gazalé démontre dans son essai Le Mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes XX. Quoique son père ou son amoureuse, Vittoria (alias Nausicaa), en pensent, Saad Saad n’est décidément pas Ulysse.


LETTRES FRANÇAISES DE BELGIQUE


Jean-Marie Klinkenberg a démontré comment, depuis les années 1960-1980, les auteurs belges francophones sont entrés dans une phase « dialectique » dans la mesure où ils s’efforcent, consciemment ou non, d’allier l’actualité internationale à la réalité belge XX . Avant cette période déjà, un romancier comme Alexis Curvers (1906-1992) raconte, dans Tempo di Roma (Robert Laffont, 1957), le périple d’un jeune belge en Italie : au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Jimmy fuit la misère du bassin liégeois pour cher-cher travail et fortune à Rome. Le roman autobiographique de Conrad Detrez (1937-1985), L’Herbe à brûler (Calmann-Lévy, 1978), retrace le parcours d’un jeune homosexuel qui quitte le séminaire de Louvain pour s’engager dans les luttes révolutionnaires en Amérique du Sud. Pierre Mertens (né en 1939) produit un modèle du genre avec un roman, Terre d’asile XX, dont le héros, Jaime Morales, réfugié chilien en Belgique après le coup d’État du géné-ral Pinochet, doit réapprendre à vivre en surmontant le cauchemar de la dictature et des tortures, mais aussi la solitude. Certaines illustrations de couver-ture montrent le lien avec Bruxelles :


Ulysse from Bagdad est difficile à ranger dans cette phase dialectique, dans cette catégorie de romans. Certes l’actualité internationale y est pré-sente, mais le héros ignore que la Belgique peut être une terre d’asile et qu’elle a produit un auteur de roman policier au moins aussi célèbre qu’Agatha Christie. De plus, la nationalité d’Éric-Emmanuel Schmitt est-elle indiscutable ? L’afflux de migrants, notamment en provenance de la Syrie en guerre, a provoqué une « crise migratoire » sans précédent en Europe, et est certainement devenu l’une des préoccupations majeures des années 2010. La littérature belge francophone s’en fait-elle l’écho ?


« PATRICIA »


Sans aucune prétention à l’exhaustivité, nous avons repéré un autre roman, celui de Geneviève Damas, Patricia XX qui illustre à sa manière le drame des migrants. Si l’on en croit le titre, l’héroïne serait une femme. L’intrigue semble le confirmer : en voyage au Canada, Patricia, une Française, ren-contre Jean Iritimbi Zuma, un Centrafricain sans papiers, qui travaille (au noir) dans l’hôtel où elle est descendue. Elle tombe amoureuse de lui et le ramène en France avec elle. La structure du roman pourrait l’infirmer: il se compose de trois récits, selon les points de vue de deux narratrices et d’un narrateur : d’abord celui de Jean, puis celui de Patricia, enfin celui de Vanes-sa, la fille cadette de Jean. Car Jean Iritimbi en est le pivot. 

De guerre, il n’est jamais question. Quand Jean Iritimbi explique pour-quoi il a quitté le pays qui l’a vu naître, alors que les employés du service de l’immigration veulent « des récits de sang et de coups ; des morts et des blessures » (p. 13), ce n’est rien de cela qu’il dit : « Dans mon pays, je ne parviens pas à être un homme, un père comme je le voudrais. » (p. 14). Il voulait que ses filles fassent des études, que sa famille vive dans « une mai-son, avec un jardin, une voiture, une grande télévision. » (p. 12). Un « réfu-gié économique » en somme, ni un guerrier, ni un rescapé de génocide, ni un opposant politique. Même quand il invente « une histoire de violence, de re-ligion » (ibidem), il ne convainc pas.


Pourtant, en République centrafricaine, la guerre civile fait rage. La presse fait état d’un rapport (127 pages) d’une commission d’enquête de l’ONU qui dénombre entre 3 000 et 6 000 morts en deux ans (du 5 décembre 2013 au 14 août 2014) XX. Jean est né à Kembé et le 13 octobre 2017, RFI Afrique rapportait un massacre de musulmans dans cette ville XX. Mais peut-être Jean est-il parti trop tôt (alors que Saad Saad était parti trop tard)… C’est sa femme, Christine, qui évoque la vie de plus en plus dure à Bangui : les dangers qu’elle affronte, « les tirs, les routes coupées, les barrages » (p. 34), mais aucun prétendant trop insistant.

Bien qu’il ne se soit pas battu, bien que Damas ne rende pas le lien expli-cite, Jean a-t-il quelque chose d’un nouvel Ulysse ? Il a traversé l’océan en avion pour arriver au Canada, puis à Niagara Falls, où « tout était blanc et gris ». Sur place, il change souvent de ville, d’endroit. Avec et grâce à Patri-cia, il retraverse l’océan, en passant par New York, pour s’installer à Paris. Ensuite, il est à Trouville où il voit la mer pour la première fois ! Et, sa femme et ses filles ayant dû arriver à Marseille, il « emprunte » la voiture de Patricia pour les rejoindre. Mais le bateau, en provenance de Tripoli, a fait naufrage, elles seraient à Montanezza, en Sicile. Il s’y précipite et n’y re-trouve que sa fille cadette Vanessa. Il repart donc pour Rome ; il les cherche-ra, dit-il, « sans relâche, dans les îles et ailleurs » (p. 56). Si elles sont mortes, c’est leurs dépouilles qu’il devra trouver pour leur donner une sépulture dans la terre des ancêtres, il ira « sur les plages, au fond de la mer, dans les fosses communes » (p. 57).

Patricia perd sa trace, on le devine errant, rendu fou par le remords. Nous sommes bien loin du mythe d’Ulysse qui, dans les îles et sur les plages, ne cherche pas le cadavre de son épouse ! Pénélope l’attend, bien vivante et dé-sirable, dans son foyer. Éluder plus d’une centaine de prétendants, quelle ab-négation ! Patricia, elle, attendra en vain ce compagnon infidèle et menteur, en prenant soin de Vanessa, complètement traumatisée par sa malheureuse aventure. Sans amour ni amoureux, sans gratitude de la part de la fillette, sans reconnaissance aucune, le sacrifice de Patricia est grand : les femmes ici sont des martyres plus que des héroïnes !

L’identité de Jean, malgré la précarité de sa situation sociale, se construit, outre cette relation implicite au mythe d’Ulysse, sur une conception stéréo-typée du masculin dominant. Et ce, selon un autre mythe, celui de la virilité, tel que le décrivent Élisabeth Badinter XX ou Olivia Gazalé XX. Avant de quitter son pays, Jean Iritimbi « a[vait] la force » (p. 35), il pensait qu’il était un homme. Il se souvient de la première fois qu’il a vu Christine, son regard, sa moue, son rire et ses hanches qui ondulent sur la musique : « Elle a seize ans, moi, vingt-deux » (p. 47). Il a juré qu’elle serait à lui, il voulait la faire céder, il a réussi à la séduire grâce à son insistance, et aussi grâce à la moby-lette sur laquelle il l’emmenait. On ne pense guère à Ulysse qui conquit Pé-nélope en sortant vainqueur des jeux organisés par Icarios pour départager les candidats.

Quand ils se marient, Christine arrête ses études (de littérature ?) et trouve du travail de couture (p. 48). Tous les stéréotypes de genre sont ici réunis, dans une brève description des rapports Jean / Christine. Comment a-t-il pu abandonner cette femme, qui lui a donné deux filles (mais pas de fils) ? Il se rend compte que « la vraie richesse c’est de rester avec ceux que l’on aime » (p. 13) mais il est trop tard pour être moins « macho ».
Être un homme, c’est aussi accomplir son devoir de fils. Or, quand il apprend que son père va mourir, il ne peut ni aller le revoir, ni le veiller, ni l’enterrer dans la terre de leurs ancêtres… Il laisse ces tâches à ses sœurs res-tées sur place, il est un mauvais fils (p. 19-20). Son identité se fissure, sa virilité est mise en cause. Aussi, quand Patricia, craignant les rafles à Paris, lui interdit de sortir seul de l’appartement, Jean se sent-il infantilisé, dévirilisé (p. 30). Le foyer n’est décidément pas la place de l’homme. Il lui obéit pour-tant quelques jours, puis sort sans sa permission, en dépit du risque. Une « colère sourde » gronde en lui quand Patricia tente encore de l’en empê-cher : « Ce n’est pas une vie » lui dit-il (p. 31). Patricia doit se résigner à le laisser libre, il ne lui appartient pas.

Il faut encore ajouter un trait à ce portrait finalement peu flatteur XX. L’addiction au jeu pousse Jean Iritimbi à exiger de Patricia qu’elle lui donne de l’argent pour aller jouer au casino (p. 24 notamment). Certes, il se donne bonne conscience en se disant qu’il doit envoyer de l’argent à sa famille : les 4 603 dollars qu’il gagne en une soirée seront les bienvenus (p. 28). Il n’en apparaît pas moins odieux. Si Geneviève Damas s’est inspirée de la littéra-ture pour construire son personnage, elle a pu trouver chez Sophocle (Phi-loctète), Euripide (dans Hécube et Le Cyclope), Platon (Sur le mensonge), Pindare (Néméenne), Ovide (Métamorphoses), Sénèque (Les Troyennes), et même Shakespeare (Troïlus et Cressida) des Ulysse menteurs, perfides, cruels, machiavéliques, à la conduite abominable de vilenie, de trahison ou de brutalité cynique XX.


*


CONCLUSION


Peut-être existe-t-il d’autres tentatives de fictionnaliser les guerres d’aujourd’hui (la Grande Guerre et celle de 1940-1945 sont souvent évoquées XX) , peut-être le mythe d’Ulysse est-il revisité autrement, nous sommes curieuse de les découvrir. Mais si Schmitt et Damas ont voulu représenter le migrant en héros, ils n’ont pas réussi.

À la suite du sauvetage d’un enfant tombant d’un balcon (le 26 mai 2018), les médias ont pu organiser un « Gassama show » avec plus de suc-cès. Le jeune malien Mamadou Gassama, 22 ans, est maintenant pompier, il a été décoré de la médaille Grand Vermeil de la Ville de Paris, et reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron qui lui a promis sa naturalisation… Les « ménestrels médiatiques » racontent à l’envi le sauvetage, la glorification, mais aussi l’arrivée en Italie en 2013, après avoir réussi à traverser la Méditerranée, le passage par le Burkina Faso et le Niger, les geôles libyennes, les coups et les brimades sous le soleil écrasant du Sahara… Mamadou continue de traverser les mers puisqu’il était attendu aux États-Unis.

On continue à imaginer drames et tragédies, saupoudrés d’exotisme : Mamadou, musulman, a grandi à Yaguiné, dans l’ouest du Mali. Sixième d’une famille de neuf enfants, père agriculteur, le gamin montre les cica-trices sur ses mains et fait le geste du sécateur coupant l’herbe des champs. Sa mère est morte en 2011. Adolescent, il travaille en Côte-d’Ivoire. Il doit rentrer à cause de la guerre civileXX
La guerre ou sa menace est un ingrédient indispensable. C’est à coup d’images, de scoops, de buzz, voire de fake news qu’on fabrique des héros aujourd’hui. « Le nouveau Spider-Man est Hercule après ses travaux » lit-on dans Libération (ibidem). C’est à Hercule que pense le journaliste, mais aus-si, dans un autre registre, à la copine de Mamadou, parce que le sexe fait partie de la recette – mais les jeux de motsXX? Pas sûr cependant qu’on en parle encore dans trente-quatre siècles.


Les romanciers pour qui le livre est une marchandise qu’ils veulent vendre avant tout en prendront de la graine, les écrivains engagés ou ceux qui se font une haute idée de la littérature XX reliront leurs classiques et trouveront autre chose pour enflammer le public. 

Ainsi Madeline Miller, romancière américaine, forte de sa formation classique (elle enseigne le latin et le grec), choisit-elle délibérément Circé comme héroïne et narratrice de son dernier roman ; elle lui fait dire qu’Ulysse aimait à répéter « Tous les héros sont des imbéciles », Circé ajoute : « Mais il pensait : tous les héros sauf moi. Et qui l’[aurait] corrig[é] s’il s’[était] tromp[é] ? XX»
Miller répond peut-être ainsi à l’injonction d’Hélène Cixous : « Il faut que la femme s’écrive : que la femme écrive de la femme XX » afin de rectifier, en inventant de nouveaux mythes, en imaginant de nouvelles héroïnes, ce « trajet de scybale XX » qui lui a longtemps été assigné.


© Catherine Gravet, revue Les Cahiers internationaux du Symbolisme, 2018.


Notes
1. Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu. Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1982. Pièce jouée pour la première fois le 22 novembre 1935 au Théâtre de l’Athé¬née sous la direction de et avec Louis Jouvet. Elle met en lu-mière le pacifisme de l’auteur.
2. Éric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad. Pa-ris, Albin Michel, 2008. Nouvelle édition avec un journal d’écriture : Éric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad. Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche », no 31897, 2010.
3. Paris, Magnard, « Classiques contemporains », 2017. Les pages entre parenthèses, dans le texte, renvoient à cette édition.
4. Laurence Sudret, « Interview exclusive », dans Éric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad. Paris, Magnard, « Classiques contemporains », 2017, p. 283-286. 

5. Idem, pp. 277-280. Deux extraits du Chant IX (épisodes de la rencontre avec les lotophages et avec le Cyclope), dans la traduction d’Eugène Bareste (1842).
6. Idem, p. 283.
7. Dans la revue Tangence, « Présence du mythe dans la littérature francophone contemporaine », n° 101, 2013, p. 11-21. En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/tce/2013-n101-tce0853/1018872ar.pdf
8. Il s’est suicidé et revient hanter son fils… La mort du père de Saad Saad, abattu par des GI, est absurde et ridicule.
9. Cauville renvoie à Paul-Augustin Deproost, Lau-rence Van Ypersele et Myriam Watthee-Delmotte, « Héros et héroïsation : approches théoriques », dans Les Cahiers électroniques de l’imaginaire, no 2, 2002-2003, p. 1, en ligne : http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/ucl /documents/cahiers2.pdf (page consultée par Cau-ville le 17 mai 2011, par nous en août 2018).
10. La virgule, ajoutée par Cauville, empêche d’accéder au sens de la phrase. 

11. Cauville cite ici le même extrait que celui cité dans la référence précéd.: Philippe Sellier, Le Mythe du héros. Paris, Bordas, 1985, p. 9.
12. D’après Deproost, Van Ypersele et Watthee-Delmotte, art. cité (p. 1-33).
13. Idem, p. 3.
14. Cf. idem, p. 4.
15. Cf. idem, p. 2. 

16. Prix Goncourt 1985.
17. L’éducation spartiate est réputée comme particu-lièrement sévère : les enfants les plus faibles sont éliminés à la naissance, les plus forts nourris au « brouet noir », la mère tend son bouclier à son fils partant à la guerre avec ces mots : « Reviens dessus ou dessous »…
18. Paris, Robert Laffont, 2017, p. 110.
19. Jean-Marie Klinkenberg, « La Production litté-raire en Belgique francophone : esquisse d'une so-ciologie historique », dans Littérature, n° 44, 1981, p. 33-50.
20. Bruxelles, Labor, « Espace Nord », 1978.

21. Paris, Gallimard, 2017.
22. Voir par exemple sur RFI Afrique, article posté le 10 janvier 2015 : http://www.rfi.fr/ afrique/20150109-rca-crimes-contre-humanite-pas-genocide-conclut-onu-centrafricains-musulmans/ 
23. « Dans le village de Kembe, au moins une ving-taine de musulmans auraient péri après l’atta¬que de groupes d’autodéfense venus de Bangassou » (http://www.rfi.fr/afrique/ 20171013-nouveau-massacre-sud-est-centrafrique-kembe-bangassou-minusca).
24. Élisabeth Badinter, XY. De l’identité masculine. Paris, Odile Jacob, 1992.
25. Olivia Gazalé, Le Mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes. Paris, Robert Laffont, 2017. Dé-jà cité. 

26. Pour l’homme comme pour la femme d’ailleurs, Patricia n’étant, à la rigueur, qu’une Nausicaa sans avenir, une pauvre Circé sans pouvoir ou une Pénélope sans prétendant…
27. Voir Dictionnaire des personnages littéraires et dramatiques de tous les temps et de tous les pays. Poésie, théâtre, roman, musique. Paris, Robert Laf-font-Bompiani, 1960, pp. 979-982.
28. Pour la Belgique francophone, rien sur la guerre à la rentrée 2018 selon Le Carnet et les Instants, en ligne : https://le-carnet-et-les-instants.net/2018/07/03/la-rentree-litteraire-2018/. On relira, par exemple, les romans de Xavier Hanotte (Manière noire, 1995), de François Emmanuel (La Passion Savinsen, 1998), de Bernard Tirtiaux (Noël en décembre, 2015)… 
29. Voir Quentin Girard, « Mamadou Gassama, droit d’agile », dans Libération, 31 mai 2018. En ligne : http://www.liberation.fr/france/2018/05/31/mamoudou-gassama-droit-d-agile_1655741
30. Parmi les questions posées à Mamadou : « As-tu monté ta copine avant de monter au balcon ? »…

31. Antoine Compagnon, La Littérature pour quoi faire ? Paris, Collège de France / Fayard, « Leçons inaugurales du Collège de France », 2008 (en ligne : https://books.openedition.org /cdf/524) définit les pouvoirs de la littérature et, peu avant de conclure, rappelle que « La littérature est un exercice de pen-sée ; la lecture, une expérimentation des possibles » dont nous avons grand besoin dans notre société.
32. Madeline Miller, Circé. Traduction Christine Auché. Paris, Rue Fromentin, 2018, p. 345.
33. Hélène Cixous, « Le Rire de la Méduse » (1975) dans Le Rire de la Méduse et autres ironies. Paris, Galilée, 2010, p. 37.
34. Hélène Cixous, « La Venue à l’écriture » dans Hélène Cixous, Madeleine Gagnon et Annie Le-clerc, La Venue à l’écriture. Paris, 10/18, « Féminin futur », 1977, p. 22.

 

 

 

NOTES

 

Notes

  1. Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu. Paris, Gallimard, «La Pléiade», 1982. Pièce jouée pour la première fois le 22 novembre 1935 au Théâtre de l’Athénée sous la direction de et avec Louis Jouvet. Elle met en lumière le pacifisme de l’auteur.
  2. Éric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad. Paris, Albin Michel, 2008. Nouvelle édition avec un journal d’écriture : Éric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad. Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche », no 31897, 2010.
  3. Paris, Magnard, « Classiques contemporains », 2017. Les pages entre parenthèses, dans le texte, renvoient à cette édition.
  4. Laurence Sudret, « Interview exclusive », dans Éric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad. Paris, Magnard, « Classiques contemporains », 2017, p. 283-286.
  5. Idem, pp. 277-280. Deux extraits du Chant IX (épisodes de la rencontre avec les lotophages et avec le Cyclope), dans la traduction d’Eugène Bareste (1842).
  6. Idem, p. 283.
  7. Dans la revue Tangence, « Présence du mythe dans la littérature francophone contemporaine », n° 101, 2013, p. 11-21. En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/tce/2013-n101-tce0853/1018872ar.pdf.
  8. Il s’est suicidé et revient hanter son fils… La mort du père de Saad Saad, abattu par des GI, est absurde et ridicule.
  9. Cauville renvoie à Paul-Augustin Deproost, Laurence Van Ypersele et Myriam Watthee-Delmotte, « Héros et héroïsation : approches théoriques », dans Les Cahiers électroniques de l’imaginaire, no 2, 2002-2003, p. 1, en ligne : http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/ucl /documents/cahiers2.pdf (page consultée par Cauville le 17 mai 2011, par nous en août 2018).
  10. La virgule, ajoutée par Cauville, empêche d’accéder au sens de la phrase.
  11. Cauville cite ici le même extrait que celui cité dans la référence précédente : Philippe Sellier, Le Mythe du héros. Paris, Bordas, 1985, p. 9.
  12. D’après Deproost, Van Ypersele et Watthee-Delmotte, art. cité (p. 1-33).
  13. Idem, p. 3.
  14. Cf. idem, p. 4
  15. Cf. idem, p. 2.
  16. Prix Goncourt 1985.
  17. L’éducation spartiate est réputée comme particulièrement sévère : les enfants les plus faibles sont éliminés à la naissance, les plus forts nourris au « brouet noir », la mère tend son bouclier à son fils partant à la guerre avec ces mots : « Reviens dessus ou dessous »…
  18. Paris, Robert Laffont, 2017, p. 110.
  19. Jean-Marie Klinkenberg, « La Production littéraire en Belgique francophone : esquisse d'une sociologie historique », dans Littérature, n° 44, 1981, p. 33-50.
  20. Bruxelles, Labor, « Espace Nord », 1978.
  21. Paris, Gallimard, 2017.
  22. Voir par exemple sur RFI Afrique, article posté le 10 janvier 2015 : http://www.rfi.fr/ afrique/20150109-rca-crimes-contre-humanite-pas-genocide-conclut-onu-centrafricains-musulmans/
  23. « Dans le village de Kembe, au moins une vingtaine de musulmans auraient péri après l’atta¬que de groupes d’autodéfense venus de Bangassou » (http://www.rfi.fr/afrique/ 20171013-nouveau-massacre-sud-est-centrafrique-kembe-bangassou-minusca).
  24. Élisabeth Badinter, XY. De l’identité masculine. Paris, Odile Jacob, 1992.
  25. Olivia Gazalé, Le Mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes. Paris, Robert Laffont, 2017. Déjà cité.
  26. Pour l’homme comme pour la femme d’ailleurs, Patricia n’étant, à la rigueur, qu’une Nausicaa sans avenir, une pauvre Circé sans pouvoir ou une Pénélope sans prétendant…
  27. Voir Dictionnaire des personnages littéraires et dramatiques de tous les temps et de tous les pays. Poésie, théâtre, roman, musique. Paris, Robert Laffont-Bompiani, 1960, p. 979-982.
  28. Pour la Belgique francophone, rien sur la guerre à la rentrée 2018 selon Le Carnet et les Instants, en ligne : https://le-carnet-et-les-instants.net/2018/07/03/la-rentree-litteraire-2018/. On relira, par exemple, les romans de Xavier Hanotte (Manière noire, 1995), de François Emmanuel (La Passion Savinsen, 1998), de Bernard Tirtiaux (Noël en décembre, 2015)…
  29. Voir Quentin Girard, « Mamadou Gassama, droit d’agile », dans Libération, 31 mai 2018. En ligne : http://www.liberation.fr/france/2018/05/31/mamoudou-gassama-droit-d-agile_1655741
  30. Parmi les questions posées à Mamadou : « As-tu monté ta copine avant de monter au balcon ? »…
  31. Antoine Compagnon, La Littérature pour quoi faire ? Paris, Collège de France / Fayard, « Leçons inaugurales du Collège de France », 2008 (en ligne : https://books.openedition.org /cdf/524) définit les pouvoirs de la littérature et, peu avant de conclure, rappelle que « La littérature est un exercice de pensée ; la lecture, une expérimentation des possibles » dont nous avons grand besoin dans notre société.
  32. Madeline Miller, Circé. Traduction Christine Auché. Paris, Rue Fromentin, 2018, p. 345.
  33. Hélène Cixous, « Le Rire de la Méduse » (1975) dans Le Rire de la Méduse et autres ironies. Paris, Galilée, 2010, p. 37.
  34. Hélène Cixous, « La Venue à l’écriture » dans Hélène Cixous, Madeleine Gagnon et Annie Leclerc, La Venue à l’écriture. Paris, 10/18, « Féminin futur », 1977, p. 22.

Metadata

Auteurs
Catherine Gravet
Sujet
Personnage du héros en littérature à travers la figure d'Ulysse. Fictionnaliser les guerres.
Genre
Essai littéraire
Langue
Français
Relation
Revue Les Cahiers internationaux du Symbolisme, 2018.
Droits
© Catherine Gravet, revue Les Cahiers internationaux du Symbolisme, 2018.