© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Savoir-dire pour vouloir-faire, un livre de Pascal Kané

 Anne Feuillère

Texte

Du plaisir de la conversation

À partir de 1969, et pendant 12 ans, Pascal Kané a exercé cet « étrange métier qui n'en est pas vraiment un », de critique aux Cahiers du Cinéma. Là, où « débarrassé du souci de plaire ou d'informer », il a pu exercer son œil avant de passer derrière la caméra pour réaliser plusieurs films.

Dans les critiques de Pascal Kané, on retrouvera ce goût littéraire des critiques des années 70, héritières des analyses de Lacan, nourries de la sémiologie de Barthes, portées par les idéologies politiques de l'époque très prégnantes.

Savoir-dire pour vouloir-faire, qui reprend critiques, essais, conversations avec ses amis critiques, est un livre foisonnant, parfois doctoral, parfois obscur, surtout généreux et finalement modeste.

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Le bonheur des recueils d'articles de cinéma, c'est qu'il nous invite à une certaine flânerie. On les embarque dans son sac, et on les ouvre n'importe où, n'importe quand, le temps d'y lire quelques pages sur La femme d'à côté ou sur les films de Brian de Palma. On les garde dans un coin puis, parce qu'on a vu ou revu Soupçons d'Hitchcock et qu'on se souvient avoir feuilleter l'ouvrage, on se replonge dans une analyse.

Ils sont là, pas besoin de chercher dans une pile de vieux journaux pour remettre la main sur tel ou tel papier. Ils s'offrent à la lecture comme un chemin de traverse, un moment de rêverie, un recueil de poèmes, un livre d'aphorismes... Ils se donnent comme une réflexion historique sur - par exemple ici - « le naturalisme à la française ». Théorisant, cherchant, élaborant sous nos yeux de lecteurs, de la pensée, ils s'offrent en pédagogue ou en historien. Mais quand ils prennent la forme de recueils, comme ici, c'est dans l'effeuillage qu'ils trouvent leur plein sens.

Dans son « Épiloge », un dernier petit chapitre, Pascal Kané balance des notes, quelques réflexions lâchées, à peine construites, des éclairs d'idées ici sur La nuit du Chasseur, là sur les films de Nicholas Ray. Juste des propositions étayées de pistes à suivre. Moins d'une page ici, deux pages par là. Parfois, des éclairs d'idées qui livrent sur les films dont il est question ici une autre lumière, un éclairage d'un seul coup très différent. Ailleurs, ça n'est qu'une graine qui ne demande qu'à pousser dans l'intériorité de notre propre regard de lecteur-spectateur.

Si le travail de la critique cinématographique est d'inaugurer un dialogue entre une œuvre et un spectateur et d'inviter les lecteurs à y participer, Kané le fait ici avec beaucoup de générosité. Et c'est cette structure même du dialogue qui préside à l'écriture sous jacente du recueil divisé entre chronologies, études diachroniques et transversales, analyses de films mais aussi de réalisateurs... Avec Louis Skorezi, devenu ensuite l'une des plumes légendaires de Libération, mais surtout avec Serge Daney justement, l'un de ses amis, Kané inaugure des dialogues autour de leurs activités et de leur rapport au cinéma.

Et c'est de Daney que Kané tient le titre de ce recueil de textes, d'une longue conversation où leur métier ne consistait pas à évaluer si un auteur avait assez de savoir-faire pour vouloir-dire, grille de lecture héritée d'une certaine tradition de la critique classique, mais bien l'inverse : où il s'agissait pour eux, la seconde génération des critiques des Cahiers qui verraient elles aussi son lot de passage à la réalisation de savoir-dire pour vouloir faire.

L'implication dans l'œuvre d'un tel point de vue évacue d'elle-même toute question d'évaluation. La critique n'y est que l'espace d'un apprentissage du cinéma. Et pour cette seconde génération de critiques aux Cahiers du Cinéma, qui comme la première, allait passer pour un certain nombre d'entre eux derrière la caméra (Kané mais aussi Jean-Louis Comolli, Olivier Assayas, Pascal Bonitzer...), ce travail du regard, qui quittait le territoire de la note et de l'évaluation, devenait le moment d'appropriation : il s'agissait de questionner un film à partir de quoi il parle, comment il en parle, par quelles nécessités il passe pour en parler.

Que ce métier n'est pas de l'ordre de l'évaluation, mais de l'ordre de la proposition, voilà ce que l'ouvrage de Pascal Kané nous rappelle avec beaucoup de générosité une fois de plus. « Je crois profondément à cette fécondité de l'interrogation critique, creusant des sillons où germeront d'imprévisibles récoltes. Et c'est pourquoi tout travail critique doit être envisagé dans sa continuité, comme une aventure de l'esprit, moins assujetti à la conjoncture qu'à une impérieuse nécessité intérieure ». Voilà qui remet avec délicatesse les pendules à l'heure.

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Savoir-dire pour vouloir-faire
, Pascal Kané, éd. Yellow Now, 2015

 

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 Anne Feuillère