© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Mimy Kinet : « Je ne connais pas la révolte. Je suis simplement entrée en révolution »

Mélanie Godin

Texte

Mimy Kinet est une poétesse belge dont les œuvres complètes viennent d’être rééditées à l’Arbre à paroles dans une anthologie au titre évocateur, Le temps de passer. Le temps, thème récurrent dans son parcours poétique « qu’il ne faut pas brusquer [...] sinon il se venge de nous ».  XX

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Mimy Kinet est née à Grupont en Ardenne en 1948. Elle est considérée comme l’une des plus belles voix de la poésie francophone du XXe siècle.
C’était une femme frêle, petite, discrète, avec de grands yeux marron.
Elle avait un regard que ses amis proches disaient empli de tendresse, et qui, lorsqu’elle vous fixait, vous fouillait jusqu’au bout de vous-même.
Elle a été directrice de la revue RegART, membre du comité de lecture de l’ancienne équipe de l’Arbre à paroles de la maison de la poésie d’Amay.

Elle a eu trois enfants, et a joué un rôle essentiel de passeuse de poésie, notamment pour ses traductions d’auteurs grecs contemporains.
Elle a commencé à publier à l’âge de 40 ans, en 1988, et est décédée en 1996, on parle donc de moins de dix ans d’écriture.

En 1997, un an après sa mort, est sortie une première anthologie, réalisée par André Doms et Pierre-Yves Soucy, un collector depuis lors épuisé. Vingt ans plus tard, une nouvelle anthologie paraît, réalisée par Claude Donnay et Agnès Henrard, où la préface originale est reprise avec quelques ajouts.
À noter que ce nouvel ouvrage a été enrichi d’une série de textes encore inédits et scrupuleusement sélectionnés pour leur maturité.


Une œuvre poétique
Mimy Kinet n’a pas eu la reconnaissance à laquelle elle aurait pu prétendre en regard de la qualité de son écriture, mais elle fait partie de ces écrivains qui ne cherchent pas la renommée à tout prix.
En dehors d’un cercle littéraire restreint, elle était une inconnue. Discrète, presque marginale, elle laisse pourtant des textes d’une puissance absolue.
Passionnée par la langue française (elle était romaniste de formation), elle affectionnait particulièrement les phrases bien construites et dépensait beaucoup d’énergie et d’attention à trouver le mot juste. Le beau était en elle, mais elle trainait une souffrance, une désespérance liées au monde de l’enfance perdue.

Dans cette nouvelle anthologie, on retrouve les textes déjà publiés de son vivant :
Hypogées (Éd. L’Horizon vertical, 1991), pour une construction souterraine, une tombe, comme une métaphore de ses propres souterrains, illustrés par des monotypes du peintre Arthur Grosemans ; une plaquette, Requiem ; Le discours du muet suivi de fables du mardi (Éd. L’Arbre à paroles, Éd. du Noroît, 1994) recueil qui a attiré le plus les regards lors de sa publication. On y (re)découvre ses œuvres initiales, Nostos (1990) ainsi qu’une suite de textes réflexifs, Pollens, datée de 1989 et qui vient compléter son œuvre poétique.
Le dernier ensemble porte le titre de Précis d’inconsistance (Éd. L’Arbre à paroles, coll. « Textimage », 1996).
Parmi les écrits posthumes sélectionnés, il y a un corpus de 32 poèmes intitulé À voix tue, un second portant le titre de Mots murés et un troisième Demain ne s’ajoutera plus jamais à ma vie. Derniers nés, une suite de poèmes sans titre, clôture la somme de ses écrits.

L’enfance, la mort et le silence...
La poésie de Mimy Kinet n’appartient à aucune école, à aucun groupe, à aucun courant précis. Le lecteur comprend instantanément qu’elle se sentait captive d’un monde trop étroit pour elle. C’est une poésie du réel, basée sur l’expérience même de la vie. Une poésie noire, autocentrée, mais pas narcissique ni hermétique. Pas impudique non plus.
Elle s’interroge en permanence sur le sens de la vie, de son début à sa fin. Elle l’expérimente, la ressent, essaie de donner un ordre, un sens grâce à la parole poétique. La vie est une errance qu’elle tente de matérialiser dans l’écriture.
Pour elle, les racines de notre existence sont attachées au vide. Sa poésie questionne et se questionne sans cesse.
Elle nous interroge sur notre provenance, nous associe à ses questions, tente de traduire en mots le monde que nous partageons tous. Souvent, la chute est inéluctable :
« Questionne, /mais défie-toi des réponses : / elles sont toutes fausses. »

Plusieurs thèmes centraux habitent son œuvre. Les plus marquants sont le silence, l’enfance, la solitude, la mort, tous reliés les uns aux autres à des degrés divers.
L’enfance, ou plus précisément, l’origine de la vie, est tombée dans l’oubli et est devenue inaccessible, avec comme unique horizon, inévitablement, la mort.
Pour Mimy, l’enfance et la naissance sont un signe de fermeture. Un vide s’est créé dès ce moment-là et elle se retient, lucide, toujours prête à tomber. Comme si les rêves qui nous habitent depuis l’enfance ne pouvaient jamais se réaliser ni s’exaucer.
« "Vivre sa mort" : le slogan fait fureur / alors que dans l’ataraxie du monde / chaque enfant d’aujourd’hui sait / qu’il lui faudra mourir sa vie. »

À la lecture de ses écrits, la question de l’origine apparaît comme une ligne fluorescente parcourant l’ouvrage d’un bout à l’autre.
Les femmes apparaissent tantôt sous les traits de certaines héroïnes de la mythologie (Psyché, Antigone, Perséphone), tantôt telle une « Madame Ève » découragée ou encore une « vieille femme sans avenir ».
Elle est aussi la mère, lasse, celle qui a porté les enfants, mais rien ni personne ne lui apporte « les clés, les vies, les labyrinthes ».
La maternité et sa complexité, les tâches quotidiennes qui l’occupaient (et qui semblaient l’aliéner) sont une matière poétique en soi qu’elle exploite toujours dans cette idée que « la vie ne nous pardonne pas de l’avoir mise au monde ».
Les femmes et les hommes sont tous « les naufragés d’une inavouable tendresse ».

Pierre-Yves Soucy, éditeur et ami proche de la poétesse, écrit dans un article XX à son sujet :
« Kinet vit sa vie comme s’il s’agissait d’une condition étonnamment stagnante, irrécupérable puisqu’elle est enclose dans la perspective de sa fin, une perspective de silence absolu sous les arcades de la démesure de l’éternité ».

La poésie de Mimy Kinet est une poésie du destin, et en cela elle touche à une certaine universalité. Singulièrement, et c’est important de le souligner, sa poésie est aussi remplie d’humour. Cynique et drôle, elle se joue des mots et de la vie
« La poésie est l’accomplissement du suicide d’un désespéré n’ayant ni corde ni code pour en finir avec le rêve »
ou encore : « Il ne pouvait pénétrer dans un ascenseur sans prendre peur. Non qu’il fût claustrophobe. Mais il était si petit qu’il ne pouvait atteindre le bouton qui menait au ciel ».
Désenchantée par rapport à l’amour, le sens de la vie et la voie sans issue sur laquelle nous sommes tous en (dés)équilibre, elle use de mots durs, piquants, qui témoignent d’un caractère fort, atypique, résistant, presque « féministe » dans un entourage qui ne l’était pas forcément.

Et s’il faut s’en aller...
La poésie de Mimy est faite de doutes et d’inquiétude permanents. Se sentant « apatride » et « orpheline d’une terre invisible », elle trouve dans la Grèce un refuge apaisant et acquiert même une maison sur une île grecque.
Parlant le grec moderne, elle était fascinée par sa poésie et était proche d’artistes grecs comme Aki Roukas, Photis Ionatos et Costa Lefkochir.

Elle participe à la traduction de Petit livre pour les grands rêves de Tassos Livaditis. Poète né en 1922 à Athènes, celui-ci a de nombreux points communs avec sa traductrice : malgré la publication d’une vingtaine de recueils de poésie, il ne fréquentait pas les sphères littéraires et affectionnait l’anonymat. Communiste, il a été déporté pendant deux ans dans l’île de Makronissos au cours de la guerre civile qui a ravagé le pays. Une nuit d’hiver 1949, il attendait en compagnie d’une dizaine de prisonniers l’heure de l’exécution ; le poète a écrit alors ce qu’il croyait être son dernier texte :
« Gardien, mon frère, lorsque demain tu recevras l’ordre de tirer, ne vise pas mon cœur : dans ses profondeurs vit toujours ton visage d’enfant. Je ne voudrais pas que tu le blesses ».
L’ordre d’exécution a été annulé, mais on peut voir ici pourquoi Mimy aimait particulièrement son écriture et les sujets traités dans sa poésie. Le souvenir de l’enfance, ou ce qu’il en reste, demeure un point de connexion entre elle et les autres, ce qui fait que, finalement, nous ne sommes peut-être pas seuls :
« Je n’ai pas fait le choix / D’épouser ce pays / Ou de lui résister. // (...) En ce lieu exilée, / Étrangère là-bas, / J’ignore tout de mes pas, / Ma volonté a fui. // Et je bâtis des îles / Comme on fait des abris. / Elles soufflent des tempêtes, / Enfantent des gorgones / Et des poissons divins. // J’ai peur d’y accoster, / J’ai peur... // Mais je n’ai plus le choix. »


Une exigence poétique
Mimy Kinet a eu un impact énorme sur la poésie dans les revues car elle était très méticuleuse et exigeante, tant pour la poésie des autres que pour la sienne. Lorsqu’elle était dans le comité de lectures de l’Arbre à paroles, elle a été une des premières à soutenir Hubert Antoine avant qu’il ne parte au Mexique (Prix Rossel 2016 pour Danse de la vie brève), pour son premier recueil de poésie paru à l’Arbre à paroles, Le Berger des nuages (1996). Elle était très proche de Rüdiger Fisher, fondateur des éditions en forêt/Verlag Im Wald en 1991. Il se disait non poète, mais fut le passeur de nombreux poètes belges, entre autres grâce aux conseils de Mimy.

Une de ses particularités est qu’elle donnait à ses amis des galets sur lesquels étaient écrits des vers. Sur des galets offerts à son ami et poète Marc Dugardin, on peut lire un vers de Tassos Livaditis
« tant d’étoiles au ciel et moi qui meurs de faim » ou encore « Cher Marc, ce galet pour construire le 4e mur de ta maison – "celui de la solitude" ».

Il n’y a pas de suite aux vrais départs
Il y a quatre ans, un des fils de Mimy Kinet, Olivier Rijckaert, a constaté que l’anthologie était épuisée. Il lui était inenvisageable que la voix de sa mère se taise une nouvelle fois. Lui est donc venue l’idée de rééditer son œuvre en y ajoutant de la nouvelle matière.
Cela a aussi été l’occasion d’organiser une fête en mémoire de Mimy Kinet le 12 novembre 2016 à la Cité-miroir à Liège, avec des œuvres de Costa Lefkochir qui entraient en correspondance avec certains de ses poèmes.
De nombreux témoignages s’y sont succédé : Photis Ionatos, Claude Donnay, David Giannoni etc. Etaient rassemblés des cercles familiaux et amicaux qui l’ont connue, animés par la volonté de faire à nouveau découvrir sa poésie à ceux qui ne la connaissent pas encore.

Mimy Kinet disait qu’« il n’y a pas de suite aux vrais départs », c’est à espérer qu’elle se soit trompée. Son voyage sur terre s’est terminé il y plusieurs années maintenant, elle a rejoint la nuit « pour accomplir la solitude des étoiles ».
Que ses mots s’usent à nouveau sur les portes de nos maisons.

morte à toutes nos paroles
sourde à tous nos sanglots
mais peut-être plus que jamais
écouteuse
si du vide naît un chant
s’il existe un nom
pour tous les noms oubliés
s’il se peut que tu entendes
enfin ce qui s’efface
en passant dans notre vie XX



© Mélanie Godin


Notes

  1. Mimy KINET, Le temps de passer – Œuvres complètes, L’Arbre à paroles, 2016. 366 p. - 22 €. Cet article a été réalisé suite à mes conversations avec quelques amis proches de Mimy Kinet : Marc Dugardin, Pierre-Yves Soucy et Claude Donnay
  2. Pierre-Yves SOUCY, « Au centre de nulle part. Poésie de Mimy Kinet » in Corinne BLANCHAUD & Cyrille FRANÇOIS (dir.) Pour la poésie. Poètes de langue française (XXe-XXIe siècle), Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2016
  3. Marc DUGARDIN, « À la mémoire de Mimy Kinet », dans L’Écoute infiniment, Rougerie, 1999

Metadata

Auteurs
Mélanie Godin
Sujet
L'oeuvre de la poétesse belge Mimy Kinet
Genre
Essai liitéraire
Langue
Français
Relation
Revue Le Carnet et les Instants 194 - 2e trim. 2017
Droits
© Mélanie Godin, 2017