© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Le Cloître de sable (1998) de Jacques Cels

Rony Demaeseneer

Texte

Certains livres n’ont pas la chance de passer à la postérité. Relégués en notes de bas de page, absents de la plupart des anthologies, méconnus, presque oubliés, plusieurs titres méritent pourtant de figurer en meilleure place dans l’index des œuvres citées.
Une chronique pour redécouvrir certains de ces ouvrages perdus de vue…



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S’il n’y avait eu l’initiative heureuse et récente de rééditer Le Cloître de sable dans la jeune collection des «Sous-exposés» aux éditions Névrosée, l’œuvre protéiforme de Jacques Cels (1956-2018) alimenterait sans nul doute cette rubrique des textes perdus de vue.
De l’essai consacré à Bataille ou Michaux au roman en passant par le théâtre et la poésie, Jacques Cels aura développé une écriture exigeante et singulière.
Une exigence caractéristique de l’homme qu’il fut et qu’il n’a eu de cesse de transmettre au cours de sa carrière de professeur de français dans l’enseignement secondaire, à ses élèves dont j’ai eu la chance de faire partie.
Une langue précise, rigoureuse donc qui cherche constamment l’élégance dans le style. Une écriture qui fait la part belle au «travail des mots» comme le rappelle avec pertinence André Possot, ami de longue date de l’auteur, dans la préface à cette nouvelle édition.


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Homme de la conversation, grand lecteur d’Erasme ou de Montaigne, humaniste et agnostique, Cels est un romancier-penseur avant tout.

Au rythme de la pensée qui se déploie à travers l’écriture romanesque répond celui, parfois effréné, des dialogues entre les personnages dont on découvre, au fil de la lecture, les passions, les secrets, les désillusions.

Le Cloître de sable est le récit d’une disparition, d’une recherche, de quêtes initiatiques en quelque sorte par le biais desquelles les personnages se révèlent, s’interrogent, s’évitent parfois.
Dans cette étrange lumière de l’attente, le tempo lent de l’écriture permet à l’auteur de multiplier les strates et par là, de nous livrer ses propres questionnements, les liens mystérieux qui unissent la littérature, la musique et les arts plastiques, la question de la croyance, les vertus de la «disputatio» au sens scolastique.

La constante recherche d’une certaine forme de sagesse par le dialogue et le raisonnement caractérise les personnages des romans de Jacques Cels.



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Roman philosophique ou métaphysique assurément mais pas seulement car ce serait sans compter l’œil du romancier.
En scénographe et dramaturge, l’auteur parvient à plonger le lecteur dans une atmosphère énigmatique où les lieux, ici la villa La Méridienne, la mise en scène procèdent de cette étrangeté, formant ainsi «une réalité visuelle et mentale qui ne soit pas une copie du quotidien» XX, pour reprendre les mots de l’auteur.

Si les cadres dans lesquels évoluent les personnages semblent baigner dans une sorte de sfumato, ils n’en sont pas moins évocateurs des climats et des ambiances, chers au romancier.
La méditerranée, l’Italie et en particulier la Toscane, l’ombre portée d’un mur embrasé de soleil sont les décors où se meuvent les protagonistes en proie aux doutes, aux errements, aux attentes.
Toujours désireux de comprendre le présent, de dialoguer dans l’instant, ils s’inscrivent pourtant dans un temps romanesque qui apparaît comme décalé, dans une épaisseur de temps qui s’écoulerait presque plus lentement que leur vie propre.
Comme un faisceau de lumière qui éclairerait les planches d’un théâtre d’ombres, la langue de Jacques Cels illumine les rencontres que chacun peut faire au cours de sa vie avec une œuvre d’art, avec un auteur, une amie, un homme, une femme ou tout simplement avec soi!


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[Extrait]


«Au cœur même de cette closerie blondoyante, où l’ombre et la clarté se neutralisaient, où par moments notre abandon au silence contrebalançait exactement le poids de nos paroles, jamais nous ne tardions à éprouver l’extraordinaire sensation d’être en un point du monde où venaient s’éteindre tous les conflits, d’être installés dans la pupille d’un œil cosmique où même les puissances les plus antagonistes acceptaient enfin de signer un définitif accord de paix, comme si dans cet espace, ouvert et claustral, rêche et polisseur, plus aucune partie de la matière, visible ou non, ne pouvait projeter de dominer les autres.»





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Note 
1. Extrait de Carnet d’une pièce ; journal d’automne 1994, dans Erasme et les abeilles, Ambedui, 1996.


Bibliographie sélective de Jacques Cels

Mâchures, Point de fuite, 1979.
États d’un motif d’absence, Talus d’approche, 1981.
Le Batyscaphe, Labor, 1994.
Le Déjeuner de Paestum, Luce Wilquin, 1996.
Le Cloître de sable, Luce Wilquin, 1998, rééd. Névrosée, 2020.
Les Îles secrètes, Luce Wilquin, 2000.
La Poudrière, Luce Wilquin, 2002.

© Rony Demaeseneer, revue Le Carnet et les Instants, n° 208, 3e trim. 2021

Notes

  1. Extrait de Carnet d’une pièce ; journal d’automne 1994, dans Erasme et les abeilles, Ambedui, 1996.

Metadata

Auteurs
Rony Demaeseneer
Sujet
Roman par Jacques Cels. Auteur belge. Le Cloître de sable. 1998
Genre
Chronique littéraire
Langue
Français
Relation
Revue Le Carnet et les Instants, n° 208, 3e trim. 2021
Droits
© Rony Demaeseneer, revue Le Carnet et les Instants, n° 208, 3e trim. 2021