Voyages chroniques (1997) de Corneille Hannoset
Rony Demaeseneer
Texte
Corneille Hannoset n’est pas un inconnu dans le milieu artistique belge.
Créateur polymorphe né à Bruxelles en 1926, il s’est avant tout illustré comme sculpteur, dessinateur et typographe proche du mouvement Cobra.
Il collabora notamment avec l’architecte belgo-polonais Constantin Brodzki en tant que scénographe dans le cadre de l’Expo 1958 mais aussi dans le cadre du Musée du cinéma de Bruxelles.
Designer avant-gardiste, Hannoset se passionne très tôt pour les arts naïfs.
Mais qui se souvient encore qu’il fut également auteur?
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Son compagnon de route Pierre Alechinsky sans doute qui préface en 1997, l’année de la mort de son ami, son texte Voyages chroniques paru dans la collection Alentours des éditions Tandem.
Dans ce court texte introductif, sensible et délicat, Alechinsky rappelle que ce n’est pas là son coup d’essai. Cinq ans plus tôt, Hannoset avait en effet publié aux éditions de la Différence, alors dirigée par son amie Colette Lambrichs, un récit poignant sous le titre Jean Ferdinand ou la revanche d’un enfant très observateur en hommage à son père, coiffeur frustré de n’avoir pas pu embrasser une carrière de peintre.
Au-delà de l’aspect autobiographique, le livre propose aussi une chronique vivante de la vie quotidienne à Bruxelles sous l’Occupation.
Dès réception du manuscrit, Colette Lambrichs est emballée et n’hésite pas à le publier. Il faut dire que la complicité avec l’éditrice ne date pas d’hier. Au début des années 1970, il avait fondé avec elle «Le Ready Museum», musée virtuel d’avant-garde, et avant l’heure, qui conçut entre autres une exposition intitulée «La Vénus de Milo ou les dangers de la célébrité» et dont le catalogue, recherché aujourd’hui par les collectionneurs, témoigne du côté ludique ainsi que du double hommage aux deux Marcel, Duchamp et Broodthaers.
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Mais revenons sur ce recueil Voyages chroniques, rédigé à Saint-Idesbald en 1996 alors que le plasticien se sait malade et sans doute perdu.
Il évoque, avec humour et profondeur, sous forme d’instantanés, sur cette pulsion quasi sensuelle qui scanda sa vie, la découverte de l’autre à travers un autre lieu, une appétence pour l’expérience du Divers chère à Segalen.
Il y a comme une fièvre, à la fois amoureuse et maladive, dans ces micro-souvenirs des pays que l’on aborde «comme une fille avec laquelle on ne couchera qu’une seule fois». Condensé fragmenté d’une vie mue par la curiosité, par l’appel du large auquel on répond présent parce qu’on n’a pas d’autre choix. Le titre sonne comme une fatalité. Pas d’échappatoire quand on a contracté le virus car les voyages, comme l’écrit l’auteur, «devinrent chroniques comme certaines bronchites».
Inutile dès lors d’insister sur l’importance accordée ici au corps en mouvement, en déplacement, des souvenirs d’errance qui sonnent comme un ultime écho de cette vie dont l’auteur sait qu’elle s’éloigne désormais définitivement.
C’est sans conteste cet écart, cette tension entre l’effervescence du voyageur et la fébrilité du moribond qui donne au texte sa densité. Le lecteur est dès lors emporté dans le tourbillon soudain de ces soixante pages qui sont comme autant de cartes postales, de timbres (pour lesquels l’auteur avoue une dilection dès l’enfance) estampillés à l’enseigne du Cobra, en provenance de Calcutta, Sumatra, La Paz ou Bombay.
Alors, Hannoset écrivain-voyageur? Assurément puisqu’il se voyait lui-même en «donjuan géographique», dans la lignée d’autres arpenteurs qui ont pour noms Chatwin, Kerouac ou Bouvier. Une place de choix donc dans le train des écrivains pour ce «dandy de grand chemin»!
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Extraits de Voyages chroniques:
«Pour ce Péruvien qui demande si c’est loin du lieu de naissance du Christ ou ce Texan qui pense qu’il s’agit d’une province espagnole, la Belgique c’est le bout du monde. Pour moi aussi, considérée de Singapour, et je ne m’en éloigne que pour y revenir. Bruxelles, c’est ma niche – la niche d’où je m’échappe.»
«Enfant, je collectionnais les timbres-poste. Celui du Costa Rica exerça sur moi un effet magique. Y aller était devenu une obsession. Je me documentai: le seul pays où l’on peut voir d’un coup d’œil circulaire les deux océans, le seul pays sans armée…Ce pays unique, assurément conforme à l’image de mon timbre préféré, il me le fallait.»
«Je rouvre un atlas de géographie: mon catalogue. Comme toi, je contemple mes rêves. Un téléviseur pour l’un, et pour l’autre…Australie?»
Bibliographie:
Jean Ferdinand ou la revanche d’un enfant très observateur, Bruxelles et Paris, Presses de la Bellone - éditions de la Différence, 1992.
Voyages chroniques, Gerpinnnes, Éditions Tandem, 1997.
© Rony Demaeseneer, revue Le Carnet et les instants n° 211, 2e trimestre 2022, Bruxelles