FESTIVALS: Danse avec les foules. Entretien avec Céline Curvers et Géraldine Harckman
Naomi Monson
Texte
Cet automne 2015, Bruxelles fut animée par la 4e édition du festival « Danse avec les foules » organisée par les artistes Céline Curvers et Géraldine Harckman.
À l’affiche, des spectacles qualitatifs destinés à tous.
La danse, oui mais pas seulement.
Pour la chorégraphe Céline Curvers et la plasticienne Géraldine Harckman, la danse est empreinte d’une dimension sociale évidente. Décloisonner, mélanger, collaborer, impliquer... Autant de volontés qui accompagnent la conception multidisciplinaire et participative des deux créatrices.
Fondatrices de l’asbl Espaï en 2007, association partenaire du Centre Lorca, où la danse et les arts plastiques se côtoient au service de projets pédagogiques, les organisatrices du festival « Danse avec les foules » défendent une vision solidaire de l’art. La plupart des spectacles programmés s’insèrent au cœur de l’espace urbain, tantôt dans le quartier Anneessens, tantôt square de l’Aviation à Anderlecht.
Exportée là où on ne l’attend pas, la danse contemporaine s’offre l’espace d’un week-end le luxe d’être à la portée de tous.
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Après avoir fondé l’association Espai, vous poursuivez votre collaboration en organisant, en 2011, la première édition du Festival Danse avec les Foules. Qu’est-ce qui vous a incitées à créer ensemble ce festival?
C.C.: C’est un spectacle de la compagnie Ex-Nihilo que Géraldine a vu à Marseille qui nous a donné envie d’organiser un festival avec des propositions d’artistes dans l’espace public. Avec notre association, qu’on avait déjà créée à ce moment-là, il s’agissait de proposer des projets pédagogiques autour de stages et d’animations dans les écoles, avec pour principale préoccupation le mélange des publics. Le festival s’inscrit dans cette continuité.
Vous avez la volonté de mêler l’art à l’associatif. Vous organisez ce festival en collaboration avec, entre autres, le Centre Lorca. Vous avez également pour partenaires la Cocof, la Ville de Bruxelles, le CPAS d’Anderlecht...
G.H.: Il y a beaucoup d’associations dans le quartier Anneessens, on essaie d’y faire circuler l’information. Petit à petit, des collaborations sont nées. On a toujours très envie de travailler tant avec des personnes qui n’ont pas facilement accès à la culture qu’avec ceux pour qui c’est plus évident. On veut mélanger ces publics. Il s’agit aussi de faire des ponts entre les animations que nous organisons au Centre Lorca et le festival. Il y a des croisements, des rebondissements entre les deux.
Comment attirez-vous ce public intergénérationel et hétéroclite?
G.H.: Nous n’avons pas l’idée d’un public cible. Tout comme notre partenaire le Centre Lorca, nous proposons des projets, des objets artistiques qui seront eux-mêmes vecteur de la rencontre.
D’une part, des projets se réalisent dans la rue, pour la rue, ce qui a pour effet d’attiser la curiosité du public.
D’autre part, certaines créations incluent le public et le font participer.
L’envie est de mélanger des personnes, des âges, des milieux. Dès lors, la programmation du festival est pensée en ces termes, il s’agit de plaire tant aux artistes et aux amateurs de danse qu’aux spectateurs d’un jour.
Comment choisissez-vous les intervenants de votre festival et qu’est-ce qui oriente la manière dont vous allez les programmer ?
C.C. et G.H.: Au moment de la création du festival, nous avons contacté des artistes que nous apprécions. Avec le temps, nous observons que des artistes viennent spontanément vers nous avec la volonté d’y prendre part.
Si l’essentiel des spectacles est choisi parce que nous les avons vus et aimés, certains d’entre eux, tels que les projets participatifs, contiennent de l’imprévu. Dans ce cas, il s’agit d’artistes dont on apprécie la manière de travailler, à qui on décide de faire confiance.
Le contenu du festival a aussi la particularité d’être très diversifié.
Cette année par exemple, les danseurs Nicolas Vladyslav et Lisi Estaras ont élaboré un duo de danse contemporaine qui questionne les thèmes de fusion et de séparation, tandis que la compagnie 3.6 / 3.4 de Vincent Warin proposera un spectacle vélo-BMX et violoncelle qui promet d’être acrobatique. Karin Vyncke sera également à l’affiche avec un projet urbain qui a pour centre une caravane. Jean-Marc Fillet présentera une création qui explore la rencontre avec l’autre. La compagnie Dyo mettra en scène un spectacle de marionnettes qui s’intéresse à la nécessité de nos faiblesses au sein de la relation qui lie les parents à l’enfant...
Suite à un appel à projets, nous avons également sélectionné deux projets de création qui se réaliseront durant une résidence de trois mois dans le quartier Anneessens : Luca Aeschlimann de la Cie Carré Curieux ; et Kapla Corpus, une initiative du plasticien Charli Maisonabe et de la chorégraphe Stéphanie Auberville.
Votre festival a la particularité de s’inscrire dans l’espace public : rue des Foulons, place Anneesens, esplanade de l’Europe, Recyclart, skateparc des Ursulines, pont des Tanneurs...
G.H.: ... Oui. Dès lors, au moment de l’élaboration de la programmation, nous sommes également attentifs au parcours dans la ville, à la manière dont les spectateurs vont déambuler d’une représentation à l’autre.
Cette année, elles seront implantées soit dans le quartier Anneessens soit au square de l’Aviation à Anderlecht.
La dimension in situ peut être vue comme une sorte de logique sous-jacente du festival.
Encore une fois, il s’agit de décloisonner : en s’invitant dans la ville, le spectacle nous permet de vivre différemment l’espace urbain, de nous l’approprier.
Rapprocher la danse des arts plastiques, est-ce essentiel pour vous ?
G.H.: En collaborant sur nos projets pédagogiques, nous avons vite compris que ces disciplines s’enrichissent mutuellement.
Par exemple, en s’hybridant avec le mouvement, les arts plastiques offrent à la danse une autre vision de l’espace, et vice versa.
Il s’agit pour nous d’abolir la distinction entre le domaine de l’art et celui de la vie.
Pour moi, l’art est un endroit qui nous permet de ressentir des choses intimes et fondamentales en tant qu’être humain, il nous permet de réfléchir sur nous-même et sur notre rapport aux autres.
En quoi l’aventure de ce festival a-t-elle nourri votre propre parcours artistique?
C.C: Très simplement, je dirais qu’elle m’a permis ne plus avoir peur des gens. Etre dans la rencontre.
G.H.: Quant à moi, le fait d’être à la fois moi-même créatrice et programmatrice m’a offert un supplément de liberté dans les rencontres artistiques et les codes qui s'y jouent à chaque fois.
Pour rappel:
Le 4e édition du festival « Danse avec les foules », a eu lieu les 17 et 18 octobre 2015, en collaboration avec le Centre Lorca.