Hommage à Jean Brumioul
Guy Fontaine
Texte
Binamé Moncheû Brumioul,
Dispôy qui nos nos k'nohans – çoula fêt saze ans –, vos m'avez tofér diné mi p'tit no. Èt mi, qu'a vint-ans d' mons qu' vos, dji v's-a tofér loumé Moncheû. Si vos l' volez bin, oûy, po v' dîre adiè, dji va fé parèy qui vos... Èt dj'a lès pinses qui çoula n' sèrè nin po v' displêre.
Cher Jean,
Chaque fois que nous quitte un membre titulaire de la Société de langue et de littérature wallonnes, un grand vide se crée qu'il est de plus en plus difficile de combler. Lorsque, en 1974, le décès de Fernand Stévart laissa son siège vacant, ils furent bien avisés, ceux qui te choisirent, pour lui succéder.
Ils élisaient ainsi un homme de radio, certes, celui-là qui, à vingt ans, le 16 décembre 1944, le pays à peine libéré, présentait sa première émission sur les ondes de la Radio nationale belge ; celui-là qui fut une des âmes de la station liégeoise de l'INR (aujourd'hui RTBf.), celui-là qui y fut journaliste, puis rédacteur en chef, qui participa à la création d'Antenne-soir, qui se donna, entre 1945 et 1960, à la production – mais surtout à l'écriture – de feuilletons radiophoniques, celui-là aussi qui y fut le producteur des émissions dialectales wallonnes, aujourd'hui raréfiées à l'excès. Ils élisaient également un auteur dramatique de talent, qui a mainte fois enchanté le public du Théâtre Arlequin avec Viens chez moi, j'habite en Wallonie, Monsieur Franck viendra ce soir, Les pieds dans l'Urne et tant d'autres.
Ils élisaient surtout un passionné de Liège, de son histoire et, avant tout, de sa langue, ce wallon que tu avais appris dans les travées du théâtre du Trianon et que tu chérissais. N'est-ce pas toi qui, le samedi matin, ne parlais que le wallon à tes filles afin de leur transmettre ce langage qui, tu le revendiquais, fait partie de notre identité ?
Bien que parfois quelque peu pessimiste quant à l'avenir de nosse nozé patwès, tu nous as laissé de la poésie avec So lès vôyes di Moûse, du théâtre avec, entre autres – et le relevé est loin d'être exhaustif – I broûle, i djale, Qwand li steûle vinrèt, L'ome ås clignètes ou, pour la radio, Li creus d'amoûr, Li vwèle.
À ceux qui s'étonnaient de ton apparente facilité dans l'écriture, alors que tu menais celle-ci parallèlement à ta carrière radiophonique, à ceux-là qui te parlaient d'inspiration, tu répondais : « L'inspiration, c'est le travail !»
As-tu considéré comme la récompense de ce travail le prix du mérite wallon que te décerna le Gouverneur de la province de Liège en 1992 ?
Tu fus président de la Société de langue et de littérature wallonnes au sein de laquelle, plus tard – et en tous cas depuis que je l'ai rejointe en 1998 – tu assuras, avec quelle maîtrise, et jusqu'à tes derniers jours, la délicate tâche de trésorier, succédant ainsi en quelque sorte une deuxième fois à Fernand Stévart.
Toi qui fus par ailleurs, et tu l'as montré dans ta vie professionnelle, un homme de la modernité, tu as, une fois pour toutes, renoncé à utiliser dans cette tâche un quelconque programme informatique, préférant faire confiance à ta belle écriture, à ta calculette et, parfois, à ta petite machine à écrire, sans que jamais on n'ait pu prendre l'exactitude de tes comptes en défaut.
« Je suis un régionaliste, affirmais-tu, un indécrottable Liégeois ! »
N'était-ce pas toi qui te cachais sous les traits de Tchantchès lorsque celui-ci s'écriait, dans À l'awête dè Payis d' Lîdje : « Awè, dj'a 'ne lådje gueûye, mins m' coûr èst co pus grand. Èt pus vite qui dè d'ner dès côps d' linwe èt dès côps d' tièsse, dj'a p'-tchî dè d'ner dès côps di spale. Dji m'ènonde, dji m'èstchåfe, dji m' måvèle, dji hoûle cwand-on rote so mès pîds, come tot bon lîdjwès ; mins qu'on m' djåse frank'mint èt qu'on m' sitinde li min, dji d'vin amiståve. Come tot bon lîdjwès ! »
Nos consœurs et confrères, Jean, sont tristes comme moi. Tous, comme moi, partagent la peine de tes filles, de toute ta famille. Tous, avec moi, te disent au revoir.
Vos nos-alez lèyî bin d'seûlés, Jean.