© 2015, Josse Goffin, Regard à gauche

Sur un air de saxophone

 Bernard Louis

Texte

Sur un air de saxophone, la journée de décentralisation du 4 octobre

Disons-le d'emblée : la journée de décentralisation n'attira pas à Dinant un public nombreux. La présence de l'un ou l'autre fidèle ne suffit pas à atténuer notre déception. La distance à parcourir, le temps ensoleillé et la température clémente de ce samedi 4 octobre ont-ils fait « déserter » un certain nombre d'amies et d'amis de notre Société et du wallon ? C'était pourtant l'occasion de faire connaissance avec la gastronomie et le folklore de la cité mosane tout en rendant hommage aux victimes des massacres de Dinant. Et de découvrir une ville frémissant déjà à l'approche du bicentenaire de la naissance d'Adolphe Sax.
À 10 heures, la séance, suivant le trajet de l'invasion, débutait par la communication de Renée Boulengier-Sedyn, Henri Bragard et d'autres : des Prussiens « malgré eux ». Notre consœur rappela le Traité de Vienne de 1815 et l'annexion des cantons de Malmedy et de Waimes à la Prusse, puis la politique de germanisation menée sous Bismarck, laquelle atteignit les écoles de cette région en 1876. Dans ce contexte, dit-elle, beaucoup de Wallons germanisés se sont résignés à participer à la Grande Guerre, dont un d'entre eux sur quatre ne revint pas.
D'autres, tout en respectant le pouvoir en place, défendirent la primauté de la culture romane, tels les abbés Pietkin et Bastin, et, plus fortement encore, Henri Bragard qui fonda le Club wallon de Malmedy en 1877. Une fois enrôlé, comme d'autres, il garde une attitude passive dans les combats et, dès sa démobilisation, lutte pour la « désannexion » des cantons de l'Est. Son opposition aux germanophiles dans l'entre-deux-guerres lui vaudra d'être arrêté par les nazis et emmené dans un camp de concentration où il mourra en 1944.
La communication de Marc Duysinx suivit. Notre secrétaire en vacances à l'étranger avait chargé Esther Baiwir de lire son texte, intitulé : Liège, 14-18, la Grande Guerre en chansons.
Il fait d'abord référence à son grand-père, Joseph Duysenx, dont il possède l'intégralité de l'œuvre. Chez lui, les chansons de caractère plus sérieux ou officiel sont écrites en français. Les chansons où perce l'humour naturel du compositeur, sont rédigées en wallon. Deux exceptions toutefois : À l' mémwére dès prumîs sôdårs touwés à l' guére du quatwaze èt ètèrés à Rabozèye (1915), et l'émouvante chanson sentimentale Ni plorez pus ! (1916).
Les chansons d'autres auteurs, souvent anonymes et presque toujours écrites sur des airs connus, consistent en satires, plêhants bokèts, textes sentimentaux ou patriotiques, et pamphlets. Des épisodes dramatiques, comme celui du cavalier Antoine Fonck, première victime militaire (4 août) et la bataille de Rabosée, premier engagement entre les deux armées (5-6 août), sont traités en chansons.
Autres thèmes retenus par les chansonniers en liégeois : les privations, le ravitaillement, le retour des prisonniers, la découverte d'un casque ennemi ou les accapareurs.
Joseph Dewez intervient ensuite et cite d'abord deux extraits des Kriegscayès (textes de Lucien et Paul Maréchal) décrivant avec compassion les massacres de Dinant. Puis il explique le titre de sa communication : Les Kriegscayès ou la langue wallonne comme viatique pour temps de guerre. Cette langue wallonne, dit-il, a accompagné et soutenu les Rèlîs namurwès « pendant leur traversée, soit de l'occupation, soit de l'enlisement dans les tranchées, soit de l'exil tant dans les camps de prisonniers en Allemagne qu'à l'arrière du front, en France. La passion du wallon leur a donné courage et espérance. »
Car, dès juillet 1914, les écrivains du cercle namurois sont dispersés. Au sortir de la guerre, ils se retrouvent et recopient leurs textes dans trois Kriegscayès pour qu'ils soient soumis à la critique d'un véritable comité de lecture, comme l'exige leur règlement. Le mot Kriegscayè serait dû à une boutade de l'un des leurs, le docteur Camberlin.
Pour quelque temps, autour de Thirionet et de Wartique se crée à Soltau le cercle des RNP : Rèlîs Namurwès Prij'nîs. Ainsi les écrivains du cercle traverseront-ils les épreuves en puisant dans leur identité la plus profonde la capacité de les surmonter tout en raillant aussi les Allemands.
Dernier orateur, Jean-Luc Fauconnier, avec l'appoint d'un appareil de projection, nous entretient de La première guerre mondiale dans les mémoires en wallon carolorégien de Félicien Barry (1899-1985). Ce n'est qu'en 1997 que le fils de l'auteur remit aux responsables de l'Association littéraire wallonne de Charleroi une épaisse chemise bourrée de plus de 2000 feuilles manuscrites. L'auteur y avait consigné, sous le titre Istwêres d'in scrîjeû walon, les souvenirs de sa vie. Ces feuilles furent rédigées dans les années 60.
Ancien étudiant à l'athénée de Charleroi, Félicien Barry installe un petit atelier d'imprimerie à la rue du Progrès, puis à la rue du Laboratoire ; il imprimera notamment Èl Chariguète (la toupie-sabot), mensuel entièrement en wallon. Puis ce fut en 1949 la rencontre avec Henry Van Cutsem et la publication d'èl bourdon, la revue de l'ALWAC, et aussi la publication de différents recueils d'auteurs wallons.
Jean-Luc Fauconnier a lu et commenté, sur un ton plus badin, quelques passages de ces mémoires : une histoire de cercueils d'Allemands déterrés à Tarcienne pour qu'ils aillent rejoindre le cimetière de Nalinnes, les visites dominicales de Félicien Barry à l'hôpital de Charleroi et les services qu'il rend aux blessés français, puis l'ambiance euphorique de la libération avec l'arrivée et le séjour parfois prolongé d'étrangers.
Félicien Barry écrivait dans une langue que l'orateur qualifie de κοινή carolorégienne ou de « wallon des ACEC ».
Rappelons que tout ceci se passait au Centre culturel de Dinant où nous avions été très gentiment accueillis à notre arrivée.
Après nous être attardés quelque peu devant la clepsydre de verre en forme de saxophone, nous sommes entrés à l'Hôtel de Ville où le bourgmestre Richard Fournaux nous reçut. Introduit par notre confrère Jean Germain, il prononça un assez long discours énumérant ses réalisations pour le centenaire de la Grande Guerre. Le maïeur, très enjoué, permit aussi au président de la SLLW de placer quelques mots de remerciement en wallon. Puis la flamiche et la Leffe s'offrirent généreusement à nous, servies par les Quarteniers de ladite flamiche en tenue d'apparat. Nous pûmes aussi à loisir admirer les tableaux qui ornent couloir et salons de l'étage. Le livre sur les villes martyres fut remis à Joseph Dewez et à Bernard Louis.
Quelques pas en sens inverse sous un soleil radieux pour gagner le restaurant. Et de là, retour au Centre culturel pour la visite approfondie de l'exposition « Il était une fois... Dinant en 14 ». Axel Tixhon, professeur à l'Université de Namur nous guida et répondit à nos questions.
Merci à ce professeur, à M. Richard Fournaux, à Bernadette et Marc Baeken, les co-directeurs du CCD qui ont mis gracieusement la salle à notre disposition et nous ont accompagnés, à Mme Marie-Christine Lismont qui nous accueillit et nous accompagna pour la visite, et à notre confrère Jean Germain qui a pris en charge l'organisation de cette belle journée.
En fin de matinée, notre confrère s'était joint aux orateurs pour lire quelques textes wallons d'auteurs de la région, à propos de la Grande Guerre. Notre Société ambitionne de publier dans le volume de « Mémoire wallonne » qui reprendra les textes des communications, une petite anthologie des auteurs wallons de cette guerre.

Bernard LOUIS

 

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